CAA de PARIS, 6ème Chambre, 01/06/2015, 13PA02011, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la Fondation Franz Weber et l'association " Robin des bois " ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté leur demande du 3 mai 2011 tendant à l'annulation de l'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, ainsi que ladite décision ;

Par une seconde demande, les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux " ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite du 23 juillet 2011 par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté leur recours gracieux dirigé contre la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, ainsi que ladite décision ;

Par un jugement n°1115219 et 1115577/7-1 du 3 avril 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, respectivement enregistrés le 27 mai et le 21 novembre 2013, les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ", représentées par MeD..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1115219 et 1115577/7-1 du 3 avril 2013 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, en tant qu'elle a produit des effets antérieurement au 26 octobre 2011 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elles soutiennent que :
- l'inscription d'un élément du patrimoine culturel à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel d'un Etat est une décision faisant grief, dans la mesure où il s'agit de la première étape préalable à l'inscription au patrimoine de l'UNESCO ; leur requête remplit, en outre, tous les critères liés à la recevabilité ;
- la compétence du signataire de cette décision n'est pas démontrée ;
- cette décision est contraire aux stipulations des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'à son article 14 ;
- elle contrevient également aux stipulations de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, de la convention européenne sur la protection des animaux d'abattage, de la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie et de la convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques ;
- elle méconnaît pareillement les stipulations de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, dont les conditions ne sont pas réunies et qui ne peuvent concerner des éléments de patrimoine faisant l'objet d'une opposition ; le tribunal a entaché sur ce point son jugement d'une erreur de droit ; en outre, les consultations prévues à l'article 11b) de cette convention n'ont été que partiellement réalisées ;
- elle entre également en contradiction avec le second considérant de la Déclaration universelle des droits de l'homme ; le tribunal a entaché, sur ce point également, son jugement d'une erreur de droit ;
- cette décision, prise pour la défense d'intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, est entachée d'un détournement de pouvoir et marquée par une violation du principe d'impartialité ;
- dès lors que la décision contestée peut être regardée comme ayant été abrogée le 26 octobre 2011 au plus tard, elle devra être déclarée illégale pour la période antérieure à cette abrogation ;

Par mémoires en défense, enregistrés le 10 octobre 2013 et 21 avril 2015, le ministre de la culture et de la communication conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 28 novembre 2014, et un mémoire complémentaire enregistré le 31 mars 2015, l'Observatoire national des cultures taurines, représenté par MeB..., demande à la Cour d'admettre son intervention, de rejeter la requête et, enfin, de mettre à la charge des associations requérantes une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
- il a intérêt à intervenir, et son intervention est recevable ;
- les président des associations requérantes ne justifient ni de leur qualité, ni de leur intérêt à agir ; la requête est également irrecevable rationae temporis ;
- la décision en cause, décision dépourvue d'effet juridique ou, à tout le moins, décision d'espèce, est insusceptible de recours ;
- cette décision n'a pas été abrogée ;
- les moyens tirés de la méconnaissance de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, de la convention européenne sur la protection des animaux d'abattage, de la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie et de la convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques sont inopérants ;
- les autres moyens de la requête sont infondés ;

Par mémoires, enregistrés le 4 février 2015, et 12 mai 2015 les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ", représentées par MeD..., persistent dans leur conclusions, par les mêmes moyens.

Elles soutiennent, en outre, que :
- l'intervention de l'Observatoire national des cultures taurines de France, qui doit être regardée comme un appel concernant un litige distinct, est irrecevable ;
- l'intervention de l'Union des villes taurines de France est également irrecevable ;
- elles justifient que leur propre requête était bien recevable ;

Par un mémoire en intervention, enregistré le 28 mars 2015, l'Union des villes taurines de France, représentée par MeC..., demande à la Cour d'admettre son intervention, de rejeter la requête et, enfin, de mettre à la charge des associations requérantes une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- son intervention est recevable ;
- l'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France constitue une décision insusceptible de recours ;
- l'auteur de cette décision étant le ministre de la culture, les éléments avancés au soutien du détournement de pouvoir et de la méconnaissance du principe d'impartialité, qui concerne un directeur du ministère de la culture, sont inopérants ;
- les autres moyens de la requête sont infondés ;


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée par la 32ème conférence générale de l'UNESCO du 17 octobre 2003 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sirinelli,
- les conclusions de Mme Vrignon, rapporteur public,
- les observations de MeD..., représentant les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ",
- les observations de MeA..., représentant l'Observatoire national des cultures taurines,
- et les observations de MeC..., représentant l'Union des villes taurines de France.


1. Considérant que les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux " relèvent appel du jugement du 3 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite du 23 juillet 2011 par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté leur recours gracieux dirigé contre la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, ainsi que de ladite décision ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par l'Observatoire national des cultures taurines et l'Union des villes taurines de France, ni sur la recevabilité des interventions de ces associations ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 2.1 de la convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, signée le 17 octobre 2003 : " On entend par "patrimoine culturel immatériel" les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d'un développement durable. " ; qu'aux termes de l'article 11 de la même convention : " Il appartient à chaque Etat partie : / (a) de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire ; / (b) parmi les mesures de sauvegarde visées à l'article 2, paragraphe 3, d'identifier et de définir les différents éléments du patrimoine culturel immatériel présents sur son territoire, avec la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales pertinentes. " ; qu'enfin, aux termes de l'article 12 de cette convention : " 1. Pour assurer l'identification en vue de la sauvegarde, chaque Etat partie dresse, de façon adaptée à sa situation, un ou plusieurs inventaires du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire. Ces inventaires font l'objet d'une mise à jour régulière./ 2. Chaque Etat partie, lorsqu'il présente périodiquement son rapport au Comité, conformément à l'article 29, fournit des informations pertinentes concernant ces inventaires. " ;
3. Considérant que les associations requérantes contestent la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, qui aurait été prise par le ministre de la culture et de la communication en application de l'article 12 précité de la convention de l'UNESCO pour la sauvegarde de ce patrimoine ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette décision, non formalisée, s'est matérialisée par la mise en ligne, sur le site internet du ministère, d'une fiche technique " d'inventaire du patrimoine immatériel " dédiée à la corrida, et a été confirmée notamment par les réponses ministérielles apportées, le 6 septembre 2011, à des questions parlementaires concernant cette inscription ; qu'il résulte toutefois des pièces du dossier que cette fiche ne figure plus, aujourd'hui, sur le site internet du ministère et que la corrida ne figure plus dans la liste des pratiques sportives qui y sont inventoriées ; que, dans ces conditions, la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France doit être regardée comme ayant été abrogée, antérieurement au prononcé du présent arrêt, sans avoir emporté auparavant la moindre conséquence juridique ; qu'il s'ensuit que les conclusions de la requête des associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ", tendant à l'annulation de la décision implicite du 23 juillet 2011 par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté leur recours gracieux dirigé contre la décision d'inscription de la corrida à l'inventaire du patrimoine immatériel de la France, ainsi que de ladite décision, sont devenues sans objet ;

4. Considérant, enfin, que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes formulées par les associations requérantes, par l'Observatoire national des cultures taurines et par l'Union des villes taurines de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation des associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ".
Article 2 : Les conclusions présentées par les associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ", ainsi que par l'Observatoire national des cultures taurines et l'Union des villes taurines de France, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux associations " Comité radicalement anti-corrida Europe " et " Droit des animaux ", au ministre de la culture et de la communication, à l'Observatoire national des cultures taurines et à l'Union des villes taurines de France, ainsi enfin qu'à la Fondation Franz Weber et l'association "Robin des bois".
Délibéré après l'audience du 18 mai 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Auvray, président assesseur,
- Mme Sirinelli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er juin 2015.

Le rapporteur,
M. SIRINELLILe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de la culture et de la communication en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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