Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 24/11/2010, 333867, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 novembre 2009 et 16 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SAGA, dont le siège social est situé 31-33 quai de Dion-Bouton à Puteaux (92811) ; la SOCIETE SAGA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08VE03077 du 10 septembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0307014 en date du 1er juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1994 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge de cette imposition ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Michel, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la SOCIETE SAGA,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la SOCIETE SAGA ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Grand Palais a cédé le 7 mars 1994 les actions de sa filiale, la SOCIETE SAGA ; qu'en conséquence et par application de l'article 223 A du code général des impôts, cette dernière société est sortie, avec effet rétroactif au 1er janvier 1994, du groupe fiscal intégré dont elle faisait jusqu'alors partie ; que la filiale n'a réalisé que des déficits durant sa période d'appartenance au groupe allant du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1993 ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 1994, l'administration a estimé que la somme de 4 565 338 F (695 981 euros), versée par la société mère à sa filiale en exécution de la convention d'intégration et de la convention de sortie d'intégration, signées entre ces deux sociétés, et correspondant à l'impôt sur les sociétés auquel la SOCIETE SAGA a été assujettie au titre de l'année 1994, avait été déduite à tort par celle-ci de manière extra-comptable de son résultat imposable ; que la SOCIETE SAGA se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 10 septembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement en date du 1er juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1994 à raison de la réintégration de cette somme dans les résultats de l'exercice clos en 1994 ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant, d'une part, que les indemnités versées à un contribuable pour réparer une diminution subie par lui de ses valeurs d'actif, une dépense qu'il a exposée ou une perte de recette, dès lors que leur versement a été effectué non pour concourir à l'équilibre de l'exploitation, mais en vertu d'une obligation, qu'elle soit légale ou conventionnelle, de réparation incombant à la partie versante, ne constituent des recettes concourant à la formation du bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est elle-même de la nature de celles qui sont déductibles pour la détermination du bénéfice imposable ; qu'en vertu de l'article 213 du code général des impôts, l'impôt sur les sociétés n'est pas au nombre des charges déductibles du résultat ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 223 A du même code, dans sa rédaction alors applicable : Une société, dont le capital n'est pas détenu à 95 % au moins, directement ou indirectement, par une autre personne morale passible de l'impôt sur les sociétés, peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe. (...) /.../ Seules peuvent être membres du groupe les sociétés qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues aux articles 214 et 217 bis. ; qu'aux termes de l'article 223 B du même code : Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 217 bis. (...) ; qu'aux termes de l'article 223 E du même code : Les déficits retenus pour la détermination du résultat d'ensemble ne sont pas déductibles des résultats de la société qui les a subis. Il en est de même des moins-values nettes à long terme retenues pour le calcul de la plus-value ou de la moins-value nette à long terme d'ensemble ; que, lorsque la société mère se constitue, en application de l'article 223 A précité du code général des impôts, seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats des sociétés du groupe, les déficits subis par une filiale ne sont pas, en vertu de l'article 223 E du même code, déductibles des propres résultats de cette filiale mais sont retenus pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe selon les modalités définies à l'article 223 B de ce code ; qu'il résulte en outre des dispositions de ces articles que, lorsqu'une filiale sort du groupe fiscalement intégré dont elle faisait partie, les déficits dégagés par son activité pendant sa période d'appartenance au groupe demeurent acquis à celui-ci ; que la filiale a alors perdu le droit au report de ces déficits sur les résultats de ses exercices clos après sa sortie du groupe ; qu'aucune disposition législative ne fait obstacle à ce que, par convention, la société mère s'engage à dédommager une filiale déficitaire, qui sort du groupe, du préjudice qu'elle subit à raison des conséquences fiscales liées à la perte de ce droit ; que, si la somme versée par la société mère à une telle filiale, en exécution de la convention d'intégration conclue avec celle-ci lors de son entrée dans le groupe, a pour objet de compenser le supplément d'impôt sur les sociétés que cette filiale supportera après sa sortie du groupe en raison de l'impossibilité de reporter sur ses propres résultats ces déficits, à raison desquels le groupe bénéficiera d'une économie d'impôt, cette somme, dans la mesure où elle ne correspond pas à des déficits que, compte tenu de la législation alors en vigueur, elle aurait perdu le droit de reporter, compense des charges par nature non déductibles du bénéfice imposable en application de l'article 213 du code général des impôts ; que, dès lors, cette somme, que la société mère ne saurait légalement déduire de ses résultats pour la détermination de son bénéfice imposable, ne constitue pas une recette entrant elle-même dans la détermination du bénéfice imposable de la filiale ;

Considérant, par suite, qu'en jugeant, pour estimer que c'était à bon droit que l'administration avait regardé l'indemnité en litige comme une recette imposable au titre de l'impôt sur les sociétés, que la perte du droit au report des déficits pour la SOCIETE SAGA ne pouvait être regardée comme un préjudice susceptible de créer, pour la société mère du groupe, une obligation de réparation, dès lors que cette perte résultait, non pas d'un agissement particulier de la société mère, mais de la seule application de la loi fiscale et que la filiale ne pouvait utilement se prévaloir de l'obligation contractuelle résultant de la convention d'intégration signée avec la société mère, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que, la société SAGA est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de régler les affaires au fond ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le point 2 de la convention d'intégration, conclue le 27 avril 1992 entre la société Grand Palais, société mère, et la SOCIETE SAGA, sa filiale, a pour objet la répartition des charges fiscales en cas de sortie de la filiale du périmètre d'intégration ; qu'il prévoit que La mère se rapprochera de la filiale pour déterminer contractuellement les modalités de prise en compte des surcoûts éventuels liés à la sortie de la filiale du périmètre d'intégration, quelle que soit la cause de la sortie... ; qu'il résulte de ces stipulations que, si la société Grand Palais ne s'est pas engagée à couvrir l'intégralité du préjudice subi par la SOCIETE SAGA constaté à l'occasion de la sortie de celle-ci du périmètre d'intégration, elle a, contrairement à ce que soutient le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, pris contractuellement un engagement sur le principe du versement d'une indemnité à sa filiale, quelle que soit la cause de la sortie de celle-ci de ce périmètre ; que le versement de l'indemnité de 695 981 euros par la société Grand Palais à la SOCIETE SAGA en application de la convention conclue entre les parties le 21 novembre 1994 lors de la sortie de la filiale du périmètre de l'intégration et qui, se référant expressément au point 2 de la convention d'intégration fiscale signée par ces sociétés, précise les modalités effectives de l'indemnisation prévue, a pour objet de compenser le supplément d'imposition que cette société supportera après sa sortie du groupe en raison de l'impossibilité de reporter sur ses propres résultats les déficits dégagés par son activité pendant sa période d'appartenance au groupe et qui demeurent acquis à celui-ci ; qu'il n'est pas soutenu par l'administration que, compte tenu de la législation alors en vigueur, la filiale aurait perdu le droit de reporter ces déficits si elle n'avait pas été membre d'un groupe fiscalement intégré ; que, par suite, cette indemnité, qui compense le supplément d'imposition, lequel, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'est pas une charge déductible pour la détermination du résultat, n'a pas la nature d'une subvention imposable entre les mains de la filiale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE SAGA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1994 ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des frais engagés dans la présente instance ainsi que devant la cour administrative d'appel et le tribunal administratif par la SOCIETE SAGA et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt en date du 10 septembre 2009 de la cour administrative d'appel de Versailles et le jugement en date du 1er juillet 2008 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont annulés.

Article 2 : La SOCIETE SAGA est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1994 à raison de la réintégration dans la base imposable de la somme de 695 981 euros.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 5 000 euros à la SOCIETE SAGA en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SAGA et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte parole du gouvernement.

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