Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 15/06/2009, 321873

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 octobre et 7 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Sylvain C, demeurant ... ; M. C demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 23 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa protestation tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé le 16 mars 2008 en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune de Vienne (Isère) ;

2°) d'annuler les opérations électorales qui ont conduit à la proclamation de l'élection de la liste conduite par M. Jacques A, le 16 mars 2008 ;

3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boutet, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat de M. A ;




Considérant qu'à l'issue du second tour des élections municipales qui se sont déroulées les 9 et 16 mars 2008 dans la commune de Vienne (Isère), la liste conduite par M. A, maire sortant, a obtenu 5 597 voix, celle conduite par M. C 5 515 voix, et celle conduite par Mme Cédrin 967 voix ; que M. C fait appel du jugement du 23 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa protestation tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées dans la commune de Vienne le 16 mars 2008 ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que, dans son mémoire complémentaire enregistré le 2 septembre 2008 devant le tribunal administratif, M. C soutenait que plusieurs associations, dont l'association Les contribuables associés - Secteur de Vienne et une association dite des habitants des Guillemottes, avaient procédé à la diffusion de tracts critiquant les projets de la liste qu'il conduisait et ainsi apporté un soutien à la campagne électorale de M. A, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral ; que le tribunal a omis de répondre à ce grief, qui n'était pas inopérant ; que par suite, M. C est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité et doit, pour ce motif, être annulé ;

Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 120 du code électoral pour statuer sur la protestation de M. C est expiré ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer immédiatement sur cette protestation ;

En ce qui concerne le décompte des voix :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à l'issue du second tour de scrutin, le nombre d'enveloppes trouvées dans l'urne était supérieur au nombre des signatures portées sur la liste d'émargement de deux unités dans le bureau de vote n° 4, et d'une unité dans les bureaux de vote n° 5, n° 15 et n° 22 ; qu'il suit de là que M. C est fondé à soutenir que cinq suffrages doivent être retranchés tant du nombre total des suffrages exprimés que du nombre de voix attribuées à la liste conduite par M. A, arrivée en tête à l'issue du second tour de scrutin ; qu'en revanche, M. C ne peut utilement se prévaloir de ce que, dans les bureaux de vote n° 14 et n° 23, le nombre de signatures portées sur la liste d'émargement était supérieur au nombre d'enveloppes trouvées dans l'urne pour demander que soient diminués le nombre des suffrages exprimés et le nombre des voix attribuées à la liste conduite par M. A ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 72 du code électoral : Sur le territoire national, les procurations sont établies par acte dressé devant le juge du tribunal d'instance de leur résidence ou de leur lieu de travail ou le juge qui en exerce les fonctions ou le greffier en chef de ce tribunal, ainsi que devant tout officier de police judiciaire, autre que les maires et leurs adjoints, que ce juge aura désigné. (...) / Les officiers de police judiciaire compétents pour établir les procurations, ou leurs délégués, se déplacent à la demande des personnes qui, en raison de maladies ou d'infirmités graves, ne peuvent manifestement comparaître devant eux (...) ; qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 73 du même code : Dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article R. 72, la demande doit être formulée par écrit et accompagnée d'un certificat médical ou de tout document officiel justifiant que l'électeur est dans l'impossibilité manifeste de comparaître ; que si M. C soutient que, en méconnaissance de ces dispositions, d'une part, cinq procurations ont été établies par un officier de police judiciaire qui n'avait pas été régulièrement désigné par un juge du tribunal d'instance, d'autre part, treize procurations ont été établies à domicile, à la demande d'électeurs qui n'avaient présenté aucun des justificatifs mentionnés par les dispositions précitées de l'article R. 73 du code électoral, il n'assortit pas ces allégations des éléments, notamment des procurations litigieuses et des listes d'émargement prouvant que les procurations auraient été utilisées, qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé ; qu'ainsi les griefs doivent, en tout état de cause, être écartés ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 66-2 du code électoral : Sont nuls et n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement : / (...) 6° Les circulaires utilisées comme bulletin (...) ; que, dès lors, M. C n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que douze suffrages exprimés en faveur de la liste qu'il conduisait par douze électeurs ayant fait usage, pour voter, de sa profession de foi, ont été regardés comme nuls ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cinq voix doivent être retranchées tant du nombre de suffrages exprimés que du nombre de voix attribuées à la liste arrivée en tête à l'issue du second tour de scrutin ; qu'ainsi, le nombre de voix attribuées à la liste conduite par M. A s'établit à 5 592, soit 77 voix de plus qu'à celle conduite par M. C ; qu'il suit de là que les irrégularités relevées par M. C concernant le décompte des voix ne justifient pas l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé le 16 mars 2008 ;

En ce qui concerne le déroulement de la campagne électorale :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la diffusion d'un document anonyme, daté du 22 janvier 2008, accusant M. C d'avoir tenu des propos irrespectueux à l'égard de femmes présentes lors d'une réunion publique, d'une part, n'est pas établie, et d'autre part, à la supposer établie, aurait commencé plusieurs semaines avant le premier tour de scrutin, laissant à M. C un délai suffisant pour répondre ; que, dès lors, la diffusion de ce document n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;

Considérant, en deuxième lieu, que les présidents de cinq associations culturelles et deux personnes ont adressé un courrier commun, en date du 26 février 2008, rédigé en langues française, arabe et turque, pour condamner les accusations de racisme et de xénophobie qui avaient été portées par une publication favorable à la liste conduite par M. C à l'encontre d'un candidat figurant sur la liste de M. A et également candidat aux élections cantonales ; que ce courrier, dont l'ampleur de la diffusion n'est pas établie, se bornait à répondre aux accusations de cette publication et n'a, dès lors, pas introduit d'élément nouveau de polémique électorale ; que, par suite, la diffusion de ce courrier n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que, le 8 mars 2008, à la veille du premier tour de scrutin, a été diffusé un tract anonyme, présenté comme émanant d'une association dite des habitants des Guillemottes, et imputant à M. C le projet de faire construire, en cas d'élection, une habitation à loyer modéré sur le terrain arboré d'un lotissement du quartier des Guillemottes ; que si M. C soutient, sans que cela soit contesté, que cette allégation à caractère nouveau était dépourvue de tout fondement, le tract susmentionné, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait fait l'objet d'une diffusion massive, ne présente toutefois pas un caractère diffamatoire ou injurieux, et n'excède pas les limites de la polémique électorale ; qu'il était au demeurant possible à M. C d'y répondre avant le second tour de scrutin, en date du 16 mars 2008 ; que par suite, la diffusion de ce tract n'a pas eu le caractère d'une manoeuvre qui aurait porté atteinte à la sincérité du scrutin ;

Considérant, en quatrième lieu, que le tract diffusé à l'initiative de l'association Les contribuables associés - secteur de Vienne, appelant à voter pour M. A, critiquait le coût de construction d'un abattoir municipal permettant les abattages rituels, dont le projet avait été présenté par M. C, dans une lettre diffusée par celui-ci ; que, dès lors, ce tract n'apportait pas d'élément nouveau de polémique électorale ; que sa diffusion n'a pu, par suite, porter atteinte à la sincérité du scrutin ;

Considérant, en cinquième lieu, que si M. C soutient que M. A se serait publiquement et abusivement prévalu, après la constitution des listes électorales, de l'appartenance au MoDem de l'une de ses colistières, ce grief, distinct des autres griefs relatifs au déroulement de la campagne présentés dans sa requête introductive d'instance, n'a été soulevé par M. C qu'après l'expiration du délai de recours de cinq jours mentionné à l'article R. 119 du code électoral ; qu'ainsi, M. A est fondé à soutenir que ce grief est irrecevable et ne peut, par suite, qu'être écarté ;

Considérant, en sixième lieu, que s'il résulte de l'instruction qu'un agent du cabinet du maire sortant a accompagné M. A sur les marchés de la commune de Vienne durant la campagne électorale, et que quatre secrétaires du même cabinet ont relevé, le 11 mars 2008, le nom des électeurs abstentionnistes du premier tour à la sous-préfecture, des feuilles de congés, dont l'absence de valeur probante n'est pas établie, attestent que ces agents municipaux étaient, au moment où ils prêtaient leur concours à la campagne électorale de M. A, en période de congés ou de récupération ; que, dans ces conditions, M. C n'est pas fondé à soutenir que la participation des cinq personnes susmentionnées à la campagne électorale de M. A aurait méconnu le principe de neutralité et, par suite, porté atteinte à la sincérité du scrutin ;

En ce qui concerne les dépenses électorales :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la réponse adressée par le directeur de cabinet du maire sortant, depuis sa messagerie électronique professionnelle, à un électeur qui s'interrogeait, sur un site internet conjointement dédié aux listes conduites par M. A, M. C et Mme Cédrin, sur les conditions de travail de la police municipale, ne peut, eu égard à son contenu, être regardée comme une action de soutien à la liste conduite par M. A ; que si cinq personnes, ayant par ailleurs la qualité d'agent municipal, ont participé à la campagne électorale de M. A, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, qu'elles l'ont fait sur leurs périodes de congés ou de récupération ; que, par suite, les griefs tirés de ce que la participation de ces personnes à la campagne électorale de M. A aurait le caractère d'un avantage prohibé par les dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral doivent être écartés ;

Considérant, en second lieu, que si M. C soutient que les présidents de cinq associations culturelles ont diffusé un courrier condamnant les accusations de racisme et de xénophobie portées à l'encontre d'un candidat figurant sur la liste de M. A, que l'association dite des habitants des Guillemottes a assuré l'impression d'un tract incitant à voter pour la même liste et que l'association Les contribuables associés - secteur de Vienne a également apporté son soutien à cette liste en critiquant son projet de construction d'un abattoir dans la commune de Vienne, il résulte de l'instruction que l'ampleur de la diffusion par ces associations de ces documents n'est pas établie ; que, dans ces conditions, la diffusion de ces documents par ces associations, à supposer qu'elle ait constitué un avantage prohibé par les dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral, ne peut être regardée, en tout état de cause, comme ayant été à l'origine d'une rupture d'égalité entre les candidats qui aurait altéré la sincérité du scrutin ;

En ce qui concerne le déroulement des opérations de vote :

Considérant, en premier lieu, que si M. C soutient que, dans l'un des bureaux de vote de la commune, l'assesseur désigné par la liste conduite par M. A s'adressait en langue turque à des électeurs, il ne produit à l'appui de ses allégations qu'un témoignage isolé, n'apporte aucun élément sur le nombre d'électeurs auxquels cet assesseur se serait adressé dans cette langue, et n'allègue pas que les propos ainsi tenus auraient eu pour objet l'exercice de pressions sur les électeurs ; que, dans ces conditions, M. C n'établit pas l'existence d'une irrégularité dans le déroulement des opérations de vote qui aurait porté atteinte à la sincérité du scrutin ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. C soutient que, dans l'un des bureaux de vote de la commune, l'assesseur désigné par la liste conduite par M. A pour les opérations du second tour de scrutin se serait rendu à plusieurs reprises à proximité des isoloirs, de telle sorte que les électeurs n'auraient pu se soustraire à ses regards au moment où ils votaient, il ne produit à l'appui de ses allégations qu'un témoignage isolé ; que, dans ces conditions, M. C n'établit pas que le principe du secret du vote aurait été méconnu dans le bureau en cause ;

Considérant, en troisième lieu, que le grief tiré de ce que les bureaux de vote n° 13, n° 14 et n° 15 auraient été aménagés dans des conditions ne permettant pas d'assurer le secret du scrutin n'est pas assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé ;

Considérant, en quatrième lieu, que s'il résulte de l'instruction qu'un agent communal a pris à partie M. C, le 9 mars 2008, à l'entrée d'un bureau de vote, ce qui a provoqué un attroupement et l'intervention de la police municipale, cet incident, isolé et bref, pour déplorable qu'il soit, ne peut être regardé comme ayant été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des griefs soulevés par M. C, même pris dans leur ensemble, n'est de nature à remettre en cause les résultats proclamés ; qu'ainsi, M. C n'est pas fondé à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 16 mars 2008, dans la commune de Vienne ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par M. C devant le Conseil d'Etat et le tribunal administratif de Grenoble au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C les sommes demandées par M. A devant le Conseil d'Etat et le tribunal administratif de Grenoble au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 23 septembre 2008 est annulé.

Article 2 : La protestation de M. C devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de M. A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Sylvain C, à M. Jacques A et à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

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