Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 04/02/2009, 311949

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 décembre 2007 et 14 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU, dont le siège est Immeuble le Président, B.P. 18, Route de Sète à Balaruc-les-bains (34540) ; la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 décembre 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l'article L.551-1 du code de justice administrative, a annulé à la demande de la société à responsabilité limitée Francis Francotte la procédure de passation d'une convention de délégation de service public pour la gestion d'une fourrière automobile lancée par la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande de la société Francis Francotte ;

3°) de mettre à la charge de la société Francis Francotte une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 97-638 du 31 mai 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Francis Francotte,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (...) Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. (...) Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (...) ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier que, par avis publié dans le quotidien Midi Libre le 8 mars 2007 et dans la revue spécialisée L'Argus le 15 mars 2007, la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU a fait part de son projet de conclure une convention de service public portant sur la gestion d'une fourrière automobile; que la société Francis Francotte a fait acte de candidature et a été admise à présenter une offre ; que la collectivité publique ayant par la suite informé la société qu'elle ne souhaitait pas engager de négociation avec elle, cette dernière a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, qui, après avoir suspendu la signature du contrat, a annulé la procédure par une ordonnance contre laquelle la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU se pourvoit en cassation ;

Considérant que le juge des référés pré-contractuels a annulé la procédure au double motif, d'une part, de la méconnaissance par la communauté d'agglomération de son obligation de vérification du respect par les entreprises candidates de la condition d'emploi de travailleurs handicapés, et, d'autre part, de l'absence d'identité entre les informations contenues dans l'avis d'appel public à la concurrence et celles contenues dans le cahier des charges ;

Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue à l'article L. 323-1 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public... ; qu'aux termes de l'article L. 323-1 du code du travail applicable à la date des faits : Tout employeur occupant au moins vingt salariés est tenu d'employer, à temps plein ou à temps partiel, des bénéficiaires de la présente section dans la proportion de 6 pour cent de l'effectif total de ses salariés ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités publiques qui se proposent de conclure une délégation de service public doivent s'assurer que les sociétés candidates sont en situation régulière au regard de leur obligation d'emploi de travailleurs handicapés ; que toutefois, en relevant que la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU avait manqué sur ce point à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, sans rechercher si ce manquement, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapportait, avait lésé la société Francis Francotte ou était susceptible de la léser, le juge des référés a commis une première erreur de droit ;

Considérant en second lieu qu'aux termes de l'article R. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : l'autorité responsable de la personne publique délégante doit satisfaire à l'exigence de publicité prévue à l'article L. 1411-1 par une insertion (...). Cette insertion (...) mentionne les caractéristiques essentielles de la convention envisagée, notamment son objet et sa nature ; qu'aux termes de l'article L. 1411 du même code : La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification... ; qu'il résulte de ces dispositions que le cahier des charges peut comporter des informations plus détaillées que les informations essentielles contenues dans l'avis d'appel à la concurrence, sous la seule réserve de ne pas faire apparaître une prestation à exécuter différente de celle résultant de l'avis d'appel à la concurrence ; que, par suite, en exigeant que les informations contenues dans le cahier des charges soient strictement identiques à celles fournies dans l'avis d'appel à la concurrence, le juge des référés a commis une seconde erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 13 décembre 2007 par laquelle le juge des référés pré-contractuels du tribunal administratif de Montpellier a annulé la procédure lancée par la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de statuer au titre de la procédure de référé engagée par la société Francis Francotte ;

Considérant, en premier lieu, qu'il n'appartient pas au juge des référés, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de s'assurer de l'effectivité de la consultation, par la collectivité publique, de la commission consultative des services publics prévue par l'article L. 1411-4 du code général des collectivités territoriales ; que la société ne peut dès lors utilement soutenir que cette commission n'aurait pas été consultée ;

Considérant, en deuxième lieu, que la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU apporte la preuve de la publication par ses soins, dans la revue spécialisée L'Argus parue le 15 mars 2007, d'un avis d'appel à la concurrence portant sur le projet de délégation dont s'agit ; qu'il en résulte que la société Francis Francotte n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération aurait méconnu l'obligation de publication de l'avis dans une revue spécialisée posée par l'article R. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la commission des délégations de service public a, lors de sa séance du 22 mai 2007, établi une liste des candidatures ayant reçu un avis favorable ; qu'ainsi le moyen tiré par la société de l'absence d'établissement de cette liste manque en fait ;

Considérant, en quatrième lieu, que la société Francis Francotte n'apporte aucun élément qui permettrait d'estimer qu'un manquement de la communauté de communes à son obligation de vérification du respect, par les entreprises candidates, de leurs obligations d'emploi de travailleurs handicapés, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel ce manquement se rapporte, l'avait lésée ou était susceptible de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente ; qu'il en résulte que le moyen tiré de ce que la procédure de passation de la convention serait irrégulière pour s'être déroulée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, il résulte des dispositions des articles L. 1411 et R. 1411-1 du code général des collectivités territoriales que le cahier des charges peut comporter des informations plus détaillées que les informations essentielles contenues dans l'avis d'appel à la concurrence, sous la seule réserve de ne pas faire apparaître une prestation à exécuter différente de celle résultant de l'avis d'appel à la concurrence ; que la société Francis Francotte soutient que l'avis d'appel d'offres et le cahier des charges faisaient apparaître des informations différentes quant à la nature des véhicules à prendre en charge et à l'étendue des obligations de garde ; qu'il résulte cependant de l'instruction que l'avis d'appel à la concurrence demande au prestataire d'assurer l' enlèvement et la garde des véhicules , l'enlèvement et la garde des épaves stationnées , ainsi que l'enlèvement des véhicules y compris les bateaux, remorques et bateaux en épave ; que le cahier des charges mentionne l'enlèvement et la garde des véhicules stationnés ou en épave en précisant que la notion de véhicule intègre également les deux-roues, les remorques et les bateaux et que la mission d'enlèvement concerne les véhicules d'un poids total autorisé en charge égal ou inférieur à 3,5 tonnes et notamment ceux ci-après désignés : les véhicules terrestres à quatre roues soumis à immatriculation ; les caravanes et remorque ; les véhicules motorisés non immatriculés ; que s'il comportait des mentions plus détaillées que celles présentes dans l'appel à candidatures, le cahier des charges ne faisait apparaître, ni s'agissant des véhicules pris en compte ni s'agissant de l'étendue des obligations de garde, un contenu des prestations demandées différent ; que par suite la société Francis Francotte n'est pas fondée à soutenir que la communauté de communes aurait manqué à ses obligations sur ce point ;

Considérant, en sixième lieu, que si la société Francis Francotte soutient que la communauté d'agglomération aurait utilisé dans l'appel d'offres une codification CPV (vocabulaire commun des marchés) erronée, elle n'indique pas en quoi ce manquement de la collectivité à ses obligations de publicité et de mise en concurrence serait, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel ce manquement se rapporte, susceptible de l'avoir lésée ou risquait de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ; qu'il en résulte que le moyen doit être écarté ;

Considérant, en septième lieu, que la société Francis Francotte soutient, que la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU ne pouvait rejeter son offre au motif qu'elle était incomplète, faute d'avoir précisé dans les documents de la consultation que les offres incomplètes seraient rejetées ; qu'une collectivité publique est cependant toujours fondée, sans qu'il soit nécessaire de le préciser préalablement dans les documents de la consultation, à rejeter une offre qui ne contiendrait pas toutes les pièces ou renseignements requis ; qu'il suit de là que le moyen doit être écarté ;

Considérant, en huitième lieu, que la société Francis Francotte soutient que l'égalité de traitement aurait été méconnue dans la mesure où, comme il a été dit, son offre aurait été rejetée au motif qu'elle était incomplète alors que celle présentée par la société Tom Dépannage a été analysée bien qu'étant elle-même incomplète ; que cependant, il ne ressort pas de l'instruction que l'offre soumise par la société Francis Francotte ait contenu de quelconques éléments permettant son analyse par la collectivité publique ; qu'il résulte de là que la société Francis Francotte n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération aurait méconnu le principe d'égalité de traitement entre candidats ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter la demande présentée par la société Francis Francotte devant le juge des référés pré-contractuels du tribunal administratif de Montpellier ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que la somme de 5 000 euros que demande la société Francis Francotte au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU, qui n'est pas, dans la présente affaire, la partie perdante ; qu'il y a lieu en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Francis Francotte une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 13 décembre 2007 du juge des référés pré-contractuels du tribunal administratif de Montpellier est annulée.
Article 2 : La requête en référé pré-contractuel présentée par la société Francis Francotte et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Francis Francotte versera à la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU BASSIN DE THAU et à la société à responsabilité limitée Francis Francotte.

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