Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 11/04/2008, 281033, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 mai et 30 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société anonyme GUERLAIN, dont le siège est 68, avenue des Champs Elysées à Paris (75008) ; la société anonyme GUERLAIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 11 mars 2005 en tant que, par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Paris a réformé le jugement du 28 novembre 2000 du tribunal administratif de Paris et remis à la charge de la société anonyme GUERLAIN, d'une part, les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondant à la réduction par le tribunal administratif des bases d'imposition d'un montant de 5 089 200 francs au titre de l'exercice clos en 1990 et d'un montant de 7 875 965 francs au titre de l'exercice clos en 1991 ainsi que les pénalités correspondantes et, d'autre part, la retenue à la source due au titre des exercices clos en 1990 et 1991 à concurrence de 3 241 292 francs, en droits, et de 479 151 francs, en pénalités ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Salesse, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société anonyme GUERLAIN,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société anonyme GUERLAIN a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au terme de laquelle l'administration fiscale a remis en cause la déduction d'abandons de créances consentis en 1990 et en 1991 respectivement à une succursale implantée en Australie et à une succursale située à Singapour de sa filiale à 99, 99 %, la société Guerlain Pacific Asia Ltd dont le siège social est à Honk-Kong ; que ces succursales distribuaient les produits Guerlain dans les pays où elles exerçaient leurs activités ; que l'administration a refusé les déductions au motif que ces abandons de créance étaient constitutifs de transferts de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts ; qu'il s'en est suivi pour la société anonyme GUERLAIN des suppléments d'impôt sur les sociétés et des retenues à la source au titre des exercices clos en 1990 et en 1991 ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 57 du code général des impôts : « Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France » ; qu'en vertu du I de l'article 209 du même code, ces dispositions sont également applicables à l'établissement de l'impôt sur les sociétés ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour administrative d'appel a examiné l'intérêt commercial présenté comme la contrepartie des abandons de créance litigieux ; qu'elle n'a ni inversé la charge de la preuve ni commis d'erreur de droit sur ce point ;

Considérant que les abandons de créance consentis aux succursales de Singapour et d'Australie, dépourvues de personnalité juridique, l'ont été nécessairement à la filiale Guerlain Pacific Asia Ltd à laquelle lesdites succursales appartenaient ; qu'en appréciant le caractère des abandons de créance litigieux au regard des relations entre la société anonyme GUERLAIN et sa filiale, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant que la cour administrative d'appel a pris en compte, à juste titre, l'intérêt stratégique et commercial des marchés d'Australie et de Singapour pour la distribution des produits de la société anonyme GUERLAIN et les besoins allégués de la filiale Guerlain Pacific Asia Ltd de disposer de fonds propres nécessaires au développement d'autres marchés en Asie pour ces mêmes produits ; que la cour a constaté, toutefois, que ladite filiale, dont les résultats étaient bénéficiaires malgré les difficultés financières de ses deux succursales, avait versé à sa société mère des dividendes significatifs non soumis à l'impôt sur les sociétés ; qu'elle a pu déduire de ces constatations que la société n'établissait pas l'existence de besoins de financement de sa filiale répondant à l'intérêt du développement commercial de la société anonyme GUERLAIN ; qu'ainsi, en jugeant que les abandons de créance litigieux étaient constitutifs d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts, la cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit ni faussement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société anonyme GUERLAIN est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme GUERLAIN et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


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