Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 21/05/2007, 284719, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 21/05/2007, 284719, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - 3ème et 8ème sous-sections réunies
- N° 284719
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
lundi
21 mai 2007
- Président
- M. Martin
- Rapporteur
- M. Laurent Cabrera
- Avocat(s)
- SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours, enregistré le 2 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1 et 2 de l'arrêt du 23 juin 2005 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 28 mars 2002 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et accordé à la société Sylvain Joyeux la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1993 ainsi que les pénalités y afférentes à concurrence de la réintégration dans les bénéfices imposables de l'année 1993 des honoraires versés aux sociétés Sicopar, Socopap et Precobat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Société Sylvain Joyeux,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la société Sylvain Joyeux au titre de l'année 1993 le montant de commissions versées aux sociétés Sicopar, Socopap et Precobat en rémunération de leur rôle d'intermédiaire pour l'obtention de marchés publics ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, infirmant le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 28 mars 2002, a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Sylvain Joyeux a été assujettie au titre de l'année 1993, ainsi que des pénalités y afférentes ; Considérant qu'en ce qui concerne les commissions versées à la société Precobat, la cour, après avoir relevé que la société Joyeux avait produit des factures à l'administration et qu'un lien précis était établi entre les commissions versées et les marchés publics obtenus, a jugé que l'administration n'établissait pas l'absence de contrepartie au profit de la société Joyeux ; qu'ainsi le moyen tiré de ce qu'elle aurait jugé que la production de factures était à elle seule de nature à établir l'existence d'une contrepartie en faveur de la société Joyeux et méconnu ainsi les règles d'administration de la preuve doit en tout état de cause être écarté ; Considérant en revanche qu'en ce qui concerne les commissions versées aux sociétés Sicopar et Socopap, la cour a relevé que la société requérante produit, en ce qui concerne les relations avec la société Sicopar, un protocole d'accord général conclu le 9 février 1984, et avec la société Socopap un protocole d'accord en date du 20 mai 1993, alors qu'il est constant que, comme elle l'admettait d'ailleurs elle-même, la société Joyeux n'a pas produit de tels documents devant elle ; que dès lors, en se fondant notamment sur ces documents pour accueillir la demande de la société Sylvain Joyeux, la cour a entaché son arrêt d'irrégularité ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de son arrêt en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux société Sicopar et Socopap ; Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans cette mesure ; Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ; Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ; Considérant que la société Sylvain Joyeux, en produisant les factures régulièrement émises par les sociétés Sicopar et Socopap, et honorées par elle, établit, sans être utilement contredite par le ministre, la correction de l'inscription de ces charges en comptabilité ainsi que la valeur de ses justifications eu égard notamment au caractère immatériel des prestations effectuées ; que, pour regarder les prestations facturées comme ne correspondant à aucune prestation effectivement réalisée, l'administration se borne à soutenir que la société Sylvain Joyeux n'a présenté lors du contrôle sur place aucune pièce susceptible de justifier de la réalité et de la nature des interventions des sociétés Sicopar et Socopap, pour des missions d'assistance et de conseil dans l'organisation et la constitution de dossiers de soumission aux marchés publics, qui devaient nécessairement, selon elle, conduire à un échange de courriers avec la société afin de transmettre tous les renseignements indispensables à la conclusion du contrat ; que ce faisant, l'administration ne peut être regardée comme ayant produit des éléments de nature à laisser penser que ces versements constituaient de pures libéralités consenties dans un intérêt autre que celui de l'entreprise ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Sylvain Joyeux est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 28 mars 2002, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande en décharge des impositions litigieuses en ce qui concerne les commissions versées aux sociétés Sicopar et Socopap ; Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Sylvain Joyeux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en date du 23 juin 2005 est annulé en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux sociétés Socopap et Sicopar. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 28 mars 2002 est annulé en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux sociétés Socopap et Sicopar. Article 3 : La société Sylvain Joyeux est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1993 ainsi que des pénalités y afférentes, à concurrence de la réintégration dans les bénéfices imposables de l'année 1993 des honoraires versés aux sociétés Sicopar et Socopap. Article 4 : Le surplus des conclusions du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE devant le Conseil d'Etat est rejeté. Article 5 : L'Etat versera à la société Sylvain Joyeux une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Sylvain Joyeux.
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la société Sylvain Joyeux au titre de l'année 1993 le montant de commissions versées aux sociétés Sicopar, Socopap et Precobat en rémunération de leur rôle d'intermédiaire pour l'obtention de marchés publics ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, infirmant le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 28 mars 2002, a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Sylvain Joyeux a été assujettie au titre de l'année 1993, ainsi que des pénalités y afférentes ; Considérant qu'en ce qui concerne les commissions versées à la société Precobat, la cour, après avoir relevé que la société Joyeux avait produit des factures à l'administration et qu'un lien précis était établi entre les commissions versées et les marchés publics obtenus, a jugé que l'administration n'établissait pas l'absence de contrepartie au profit de la société Joyeux ; qu'ainsi le moyen tiré de ce qu'elle aurait jugé que la production de factures était à elle seule de nature à établir l'existence d'une contrepartie en faveur de la société Joyeux et méconnu ainsi les règles d'administration de la preuve doit en tout état de cause être écarté ; Considérant en revanche qu'en ce qui concerne les commissions versées aux sociétés Sicopar et Socopap, la cour a relevé que la société requérante produit, en ce qui concerne les relations avec la société Sicopar, un protocole d'accord général conclu le 9 février 1984, et avec la société Socopap un protocole d'accord en date du 20 mai 1993, alors qu'il est constant que, comme elle l'admettait d'ailleurs elle-même, la société Joyeux n'a pas produit de tels documents devant elle ; que dès lors, en se fondant notamment sur ces documents pour accueillir la demande de la société Sylvain Joyeux, la cour a entaché son arrêt d'irrégularité ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de son arrêt en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux société Sicopar et Socopap ; Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans cette mesure ; Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ; Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ; Considérant que la société Sylvain Joyeux, en produisant les factures régulièrement émises par les sociétés Sicopar et Socopap, et honorées par elle, établit, sans être utilement contredite par le ministre, la correction de l'inscription de ces charges en comptabilité ainsi que la valeur de ses justifications eu égard notamment au caractère immatériel des prestations effectuées ; que, pour regarder les prestations facturées comme ne correspondant à aucune prestation effectivement réalisée, l'administration se borne à soutenir que la société Sylvain Joyeux n'a présenté lors du contrôle sur place aucune pièce susceptible de justifier de la réalité et de la nature des interventions des sociétés Sicopar et Socopap, pour des missions d'assistance et de conseil dans l'organisation et la constitution de dossiers de soumission aux marchés publics, qui devaient nécessairement, selon elle, conduire à un échange de courriers avec la société afin de transmettre tous les renseignements indispensables à la conclusion du contrat ; que ce faisant, l'administration ne peut être regardée comme ayant produit des éléments de nature à laisser penser que ces versements constituaient de pures libéralités consenties dans un intérêt autre que celui de l'entreprise ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Sylvain Joyeux est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 28 mars 2002, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande en décharge des impositions litigieuses en ce qui concerne les commissions versées aux sociétés Sicopar et Socopap ; Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Sylvain Joyeux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E : -------------- Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en date du 23 juin 2005 est annulé en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux sociétés Socopap et Sicopar. Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 28 mars 2002 est annulé en tant qu'il a statué sur les chefs de redressements relatifs aux honoraires versés aux sociétés Socopap et Sicopar. Article 3 : La société Sylvain Joyeux est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1993 ainsi que des pénalités y afférentes, à concurrence de la réintégration dans les bénéfices imposables de l'année 1993 des honoraires versés aux sociétés Sicopar et Socopap. Article 4 : Le surplus des conclusions du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE devant le Conseil d'Etat est rejeté. Article 5 : L'Etat versera à la société Sylvain Joyeux une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Sylvain Joyeux.