Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 06/12/2006, 262096, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 06/12/2006, 262096, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - 9ème et 10ème sous-sections réunies
- N° 262096
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
mercredi
06 décembre 2006
- Président
- Mme Hagelsteen
- Rapporteur
- Mme Agnès Karbouch-Polizzi
- Avocat(s)
- BLANC
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 novembre 2003 et 20 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Roselyne A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 7 octobre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement 10 mars 1999 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande d'annulation de la décision du 30 mai 1997 du ministre de la défense lui refusant le bénéfice d'une pension de réversion ;
2°) statuant au fond, d'annuler le jugement du 10 mars 1999 du tribunal administratif de Paris et la décision du 30 mai 1997 du ministre de la défense ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son Protocole additionnel n° 1 ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite, notamment ses articles 39 et 47 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Karbouch-Polizzi, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blanc, avocat de Mme A,
- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 39 et L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la veuve d'un militaire titulaire d'une pension de retraite ne peut prétendre à une pension de réversion qu'à la condition que son mariage, ou bien soit antérieur de deux ans à la cessation d'activité, ou bien, s'il est postérieur, ait duré au moins quatre années, dès lors qu'aucun enfant n'est issu du mariage ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que M B a été admis au bénéfice d'une pension de retraite à compter du 23 mars 1977 ; qu'après quinze ans de vie commune, son mariage avec Mme A a été célébré le 7 septembre 1996 ; que M. B étant décédé le 23 septembre 1996, le service des pensions a refusé à Mme A le bénéfice d'une pension de réversion au motif que la durée du mariage des époux, postérieur à la cessation d'activité, a été inférieure à quatre années et qu'aucun enfant n'est issu du mariage ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ; que contrairement à ce que soutient Mme A, les dispositions des articles L. 39 et L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite précitées, en réservant le bénéfice de la pension de réversion au conjoint survivant, ne portent pas atteinte au principe du droit au respect de la vie privée et familiale posé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Paris a répondu sans commettre d'erreur de droit et de façon suffisamment motivée au moyen soulevé par Mme A ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite : La pension est une allocation pécuniaire, personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants cause désignés par la loi, en rémunération des services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d'existence en rapport avec la dignité de sa fonction ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 39 et L. 47 du même code, le conjoint survivant non séparé de corps d'un militaire peut, sous les réserves et dans les conditions prévues par ces articles, prétendre à 50 pour cent de la pension obtenue par lui ; que, dès lors, les pensions de réversion constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er, précité, du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'une distinction entre des personnes situées dans une situation analogue est, au sens de ces stipulations, discriminatoire, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne vise pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ;
Considérant, en premier lieu, que, en vertu des dispositions du code civil, les conjoints sont assujettis à une solidarité financière et à un ensemble d'obligations légales, telles que la contribution aux charges de la vie commune, qui ne pèsent pas sur les personnes vivant en concubinage ; que cette différence de situation justifie, au regard de l'objet de la loi, la différence de traitement qu'elle institue entre les couples vivant en concubinage et ceux unis par les liens du mariage pour l'attribution du droit à une pension de réversion ; que dès lors, Mme A n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant qu'un tel critère, relatif à l'état matrimonial des personnes, ne pouvait être regardé comme constituant une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de cette convention et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Considérant, en second lieu, que si le législateur a subordonné le droit à pension de réversion, en l'absence d'enfants, à une condition de durée de mariage de quatre années, une telle condition, destinée à faire dépendre la dette de l'Etat de la stabilité du mariage en limitant les risques de fraude, est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi et ne méconnaît pas les stipulations précitées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Roselyne A, au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
1°) d'annuler l'arrêt du 7 octobre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement 10 mars 1999 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande d'annulation de la décision du 30 mai 1997 du ministre de la défense lui refusant le bénéfice d'une pension de réversion ;
2°) statuant au fond, d'annuler le jugement du 10 mars 1999 du tribunal administratif de Paris et la décision du 30 mai 1997 du ministre de la défense ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son Protocole additionnel n° 1 ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite, notamment ses articles 39 et 47 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Karbouch-Polizzi, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blanc, avocat de Mme A,
- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 39 et L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la veuve d'un militaire titulaire d'une pension de retraite ne peut prétendre à une pension de réversion qu'à la condition que son mariage, ou bien soit antérieur de deux ans à la cessation d'activité, ou bien, s'il est postérieur, ait duré au moins quatre années, dès lors qu'aucun enfant n'est issu du mariage ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que M B a été admis au bénéfice d'une pension de retraite à compter du 23 mars 1977 ; qu'après quinze ans de vie commune, son mariage avec Mme A a été célébré le 7 septembre 1996 ; que M. B étant décédé le 23 septembre 1996, le service des pensions a refusé à Mme A le bénéfice d'une pension de réversion au motif que la durée du mariage des époux, postérieur à la cessation d'activité, a été inférieure à quatre années et qu'aucun enfant n'est issu du mariage ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ; que contrairement à ce que soutient Mme A, les dispositions des articles L. 39 et L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite précitées, en réservant le bénéfice de la pension de réversion au conjoint survivant, ne portent pas atteinte au principe du droit au respect de la vie privée et familiale posé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Paris a répondu sans commettre d'erreur de droit et de façon suffisamment motivée au moyen soulevé par Mme A ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite : La pension est une allocation pécuniaire, personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants cause désignés par la loi, en rémunération des services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d'existence en rapport avec la dignité de sa fonction ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 39 et L. 47 du même code, le conjoint survivant non séparé de corps d'un militaire peut, sous les réserves et dans les conditions prévues par ces articles, prétendre à 50 pour cent de la pension obtenue par lui ; que, dès lors, les pensions de réversion constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er, précité, du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'une distinction entre des personnes situées dans une situation analogue est, au sens de ces stipulations, discriminatoire, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne vise pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ;
Considérant, en premier lieu, que, en vertu des dispositions du code civil, les conjoints sont assujettis à une solidarité financière et à un ensemble d'obligations légales, telles que la contribution aux charges de la vie commune, qui ne pèsent pas sur les personnes vivant en concubinage ; que cette différence de situation justifie, au regard de l'objet de la loi, la différence de traitement qu'elle institue entre les couples vivant en concubinage et ceux unis par les liens du mariage pour l'attribution du droit à une pension de réversion ; que dès lors, Mme A n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant qu'un tel critère, relatif à l'état matrimonial des personnes, ne pouvait être regardé comme constituant une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de cette convention et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Considérant, en second lieu, que si le législateur a subordonné le droit à pension de réversion, en l'absence d'enfants, à une condition de durée de mariage de quatre années, une telle condition, destinée à faire dépendre la dette de l'Etat de la stabilité du mariage en limitant les risques de fraude, est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi et ne méconnaît pas les stipulations précitées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Roselyne A, au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.