Conseil d'Etat, 3ème et 8ème sous-sections réunies, du 2 juin 2006, 275416, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Xavier A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction 5 I-1-93 du directeur de la législation fiscale en date du 3 mars 1993, l'instruction 5 I-2-97 du directeur de la législation fiscale en date du 4 février 1997, l'instruction 5 I-7-97 du directeur de la législation fiscale en date du 22 mai 1997, l'instruction 5 I-9-98 du directeur de la législation fiscale en date du 7 juillet 1998 et l'instruction 5 I-2-04 du directeur de la législation fiscale en date du 8 décembre 2004 en tant qu'elles prévoient que le transfert à l'étranger de son domicile fiscal par le titulaire d'un plan d'épargne en actions (PEA) ouvert depuis plus de cinq ans entraîne la clôture de celui-ci et le paiement des contributions sociales (contribution sociale généralisée, contribution pour le remboursement de la dette sociale, prélèvement de 2 % et contribution additionnelle de 0,3 %) ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle relative à la conformité des dispositions contestées avec le principe de la liberté d'établissement, consacré par l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu code général des impôts ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Crépey, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;


Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1992, aujourd'hui repris à l'article L. 221-30 du code monétaire et financier : Les contribuables dont le domicile fiscal est situé en France peuvent ouvrir un plan d'épargne en actions (…)./ Chaque contribuable ou chacun des époux soumis à imposition commune ne peut être titulaire que d'un plan. Un plan ne peut avoir qu'un titulaire./ Le plan donne lieu à ouverture d'un compte de titres et d'un compte en espèces associés (…)./ Le titulaire d'un plan effectue des versements en numéraire dans une limite de 132 000 euros ; qu'en vertu de l'article 2 de la même loi, aujourd'hui repris à l'article L. 221-31 du code monétaire et financier, les sommes versées sur un plan d'épargne en actions ne peuvent recevoir que des emplois déterminés ; qu'aux termes enfin de l'article 7 de la même loi, encore en vigueur : Si l'une des conditions prévues pour l'application de la présente loi n'est pas remplie, le plan est clos (…) à la date où le manquement a été commis./ Les cotisations d'impôt résultant de cette clôture sont immédiatement exigibles (…) ;

Considérant que, par une instruction 5 I-1-93 du 3 mars 1993, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a, notamment, indiqué que le transfert à l'étranger du domicile fiscal du titulaire du plan d'épargne en actions (PEA) constituait l'un des manquements visés à l'article 7 précité et entraînait, de ce fait, la clôture immédiate du plan ; que, par les instructions 5 I-2-97 du 4 février 1997, 5 I-7-97 du 22 mai 1997, 5 I-9-98 du 7 juillet 1998 et 5 I2-04 du 8 décembre 2004, il a, en particulier, rappelé cette règle et les conséquences qui s'y attachent pour la détermination de l'assiette de la contribution sociale généralisée, de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, du prélèvement institué par l'article L. 214-15 du code de la sécurité sociale et de la contribution additionnelle créée par l'article 11 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles ; que M. A conteste par la voie du recours pour excès de pouvoir la légalité de ces instructions en tant qu'elles prévoient, en cas de transfert à l'étranger du domicile fiscal du titulaire d'un plan ouvert plus de cinq ans auparavant, la clôture immédiate du plan et, par voie de conséquence, l'assujettissement de la plus-value latente existant lors de cette clôture aux contributions mentionnées ci-dessus ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, alors même qu'elles se borneraient à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts ; que par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'en dépit du caractère général et impératif de la règle qu'elles fixent, les circulaires contestées ne feraient pas grief, au motif que cette règle découlerait directement des textes législatifs sus-rappelés, auxquels il ne serait donc rien ajouté ;

Sur la légalité des instructions attaquées :

Considérant que le recours formé à l'encontre des dispositions impératives à caractère général contenues dans une circulaire réitérant une règle déjà édictée par une loi doit être accueilli si cette règle est contraire à une norme juridique supérieure dont le juge administratif est habilité à censurer la méconnaissance ;

Considérant qu'en précisant que le transfert à l'étranger du domicile fiscal du titulaire d'un PEA devait, en application de l'article 7 précité de la loi du 16 juillet 1992, entraîner la clôture immédiate du plan, le ministre n'a, contrairement à ce que soutient M. A, pas méconnu la portée des dispositions législatives qu'il entendait expliciter ;

Mais considérant que cette règle, combinée avec les dispositions du a du 5 du II de l'article 1600-0 D, du a du 5 du I de l'article 1600-0 J et de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, également rappelées par les instructions attaquées, a eu pour effet, à partir du 1er janvier 1996, de mettre immédiatement à la charge du contribuable, titulaire d'un PEA ouvert depuis plus de cinq ans et transférant hors de France son domicile fiscal, des cotisations au titre de la contribution au remboursement de la dette sociale puis de la contribution sociale généralisée, du prélèvement de 2 % et, enfin, de la contribution additionnelle de 0,3 %, à raison de la plus-value latente constatée lors de la clôture du plan, alors qu'en l'absence d'un tel transfert ce contribuable ne se verrait assigner, le cas échéant, de telles cotisations qu'à la date, choisie par lui, du retrait effectif des sommes ou valeurs inscrites dans son PEA ; que, quelle que soit la modestie de l'entrave ainsi apportée à l'exercice de la liberté d'établissement consacrée par l'article 52 du traité instituant la Communauté européenne (devenu, après modification, article 43 CE), celui-ci s'oppose clairement à ce qu'un Etat membre institue un mécanisme d'imposition des plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal tel que celui décrit ci-dessus ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que les instructions attaquées de 1997, 1998 et 2004 sont illégales en tant qu'elles réitèrent des dispositions législatives qui, dans la mesure où elles s'appliquent aux contribuables qui transfèrent dans un autre Etat membre de la Communauté européenne leur domicile fiscal, méconnaissent les stipulations de l'article 43 du traité CE ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation des instructions 5 I-2-97 du 4 février 1997, 5 I-7-97 du 22 mai 1997, 5 I-9-98 du 7 juillet 1998 et 5 I-2-04 du 8 décembre 2004 en tant seulement que leurs dispositions prévoyant, en cas de transfert à l'étranger du domicile fiscal du titulaire d'un plan ouvert plus de cinq ans auparavant, la clôture immédiate du plan et, par voie de conséquence, l'assujettissement du gain net de clôture aux contributions sociales s'appliquent aux contribuables qui, exerçant leur liberté d'établissement, transfèrent leur domicile fiscal dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ; que doivent, en revanche, être rejetées ses conclusions dirigées contre l'instructiton 5 I-1-93 du 3 mars 1993 dès lors que les contributions litigieuses ont été instituées postérieurement à son édiction ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1 : Les instructions 5 I-2-97 du 4 février 1997, 5 I-7-97 du 22 mai 1997, 5 I-9-98 du 7 juillet 1998 et 5 I-2-04 du 8 décembre 2004 sont annulées en tant que leurs dispositions prévoyant, en cas de transfert à l'étranger du domicile fiscal du titulaire d'un plan ouvert plus de cinq ans auparavant, la clôture immédiate du plan et, par voie de conséquence, l'assujettissement du gain net de clôture aux contributions sociales s'appliquent aux contribuables qui, exerçant leur liberté d'établissement, transfèrent dans un autre Etat membre de la Communauté européenne leur domicile fiscal.

Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Xavier A et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


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