Conseil d'Etat, 1ère et 2ème sous-sections réunies, du 9 décembre 2003, 262186, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 novembre et 1er décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Céline X, demeurant ..., Mme Laurence Y, demeurant ..., Mme Laurence Z, demeurant ..., Mme Sabine A, demeurant ..., Mme Véronique B, demeurant ..., Mme Nathalie C, demeurant ..., Mme Marie-Christine D, demeurant ..., Mme Anne E, demeurant ..., Mme Michelle F, demeurant ... et Mme Eléna G, demeurant ... ; Mme X et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 novembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, leur demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 novembre 2003 du préfet d'Indre-et-Loire les réquisitionnant nominativement en leur qualité de sages-femmes du service gynécologie-obstétrique de la clinique du Parc ;

2°) statuant en référé, de suspendre l'exécution de l'arrêté de réquisition susmentionné du 21 novembre 2003 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule ;

Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 2215-1 ;

Vu la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme AGUILLON et autres et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la clinique du Parc,

- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;


Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.(...) ; qu'aux termes de l'article L. 522-3 du même code : Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes du 4° ajouté à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales par l'article 3 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure : En cas d'urgence, lorsque l'atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien et service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin. (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans qu'en raison d'une grève des sages-femmes de la clinique du Parc située à Chambray-lès-Tours, commencée le 5 novembre 2003, et de l'absence d'accord sur la mise en ouvre d'un service minimum dans cet établissement, le préfet d'Indre-et-Loire a décidé, en dernier lieu par un arrêté en date du 28 novembre 2003, pris en application des dispositions précitées du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, de requérir l'ensemble des sages-femmes concernées en se fondant sur l'urgence et les risques graves de troubles à la santé publique, notamment en ce qui concerne la santé des parturientes et des nouveaux-nés ; que Mme X et autres, sages-femmes à la clinique du Parc, ont présenté, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une demande tendant à la suspension de cette mesure de réquisition ; que, par une ordonnance en date du 25 novembre 2003, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur requête en application des dispositions précitées de l'article L. 522-3 du même code ;

Considérant que le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que si le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, peut légalement requérir les agents en grève d'un établissement de santé, même privé, dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins, il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public, au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique ; que, par suite, en estimant que la seule invocation par Mme X et autres de ce que les arrêtés litigieux conduisaient à instaurer un service complet au sein de la clinique du Parc et non un service minimum ne pouvait caractériser l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, les requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par Mme X et autres ;

Considérant, d'une part, que l'arrêté portant réquisition nominative de sages-femmes de la clinique du Parc a directement pour effet de faire obstacle à l'exercice du droit de grève en contraignant les intéressées à reprendre immédiatement leur activité professionnelle ; qu'il crée ainsi une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes des arrêtés en cause que le préfet a entendu requérir l'ensemble des sages-femmes en vue de permettre la poursuite d'une activité complète d'accouchement du service obstétrique de la clinique du Parc dans les conditions existantes avant le déclenchement du mouvement de grève ; qu'en prescrivant une telle mesure générale, sans envisager le redéploiement d'activités vers d'autres établissements de santé ou le fonctionnement réduit du service, et sans rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits compte tenu des capacités sanitaires du département, le préfet a commis une erreur de droit ; que, par suite, la décision de requérir l'ensemble des sages-femmes de la clinique du Parc est entachée d'une illégalité manifeste qui porte une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de la décision du préfet d'Indre-et-Loire, résultant en dernier lieu de son arrêté du 28 novembre 2003 ; que la présente décision ne fait pas obstacle à ce que le préfet puisse, le cas échéant, décider, si le conflit se prolonge, de faire usage des pouvoirs qu'il tient du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales dans les limites précédemment énoncées ;

Considérant, enfin, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3000 euros au titre des frais exposés par les requérantes et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 25 novembre 2003 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans est annulée.

Article 2 : La décision du préfet d'Indre-et-Loire, résultant en dernier lieu de son arrêté du 28 novembre 2003, portant réquisition nominative de sages-femmes du service de gynécologie-obstétrique de l'établissement dénommé Clinique du Parc est suspendue. Cette suspension ne fait pas obstacle à ce que, si le conflit se prolonge, le préfet puisse décider de faire usage des pouvoirs qu'il tient du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales dans les limites énoncées par les motifs de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à Mme X et autres la somme globale de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Céline X, à Mme Laurence Y, à Mme Laurence Z, à Mme Sabine A, à Mme Véronique B, à Mme Nathalie C, à Mme Marie-Christine D, à Mme Anne E, à Mme Michelle F, à Mme Eléna G, au préfet d'Indre-et-Loire, au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et à la clinique du Parc.


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