Conseil d'Etat, du 9 juin 2000, 176743, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 janvier 1996 et 10 mai 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre X... demeurant ... ; M. BERGE demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêt en date du 10 juillet 1995 par lequel la Cour des comptes l'a déclaré, conjointement et solidairement avec l'Association pour le rayonnement de l'Opéra de Paris (AROP), comptable de fait de l'Opéra de Paris pour tous les suppléments encaissés lors de la vente de billetterie de l'établissement public à un tarif majoré, sous forme d'abonnement ou de places individuelles, à laquelle l'AROP a procédé jusqu'au 1er septembre 1992 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l'article 60 de la loi n° 63-156 portant loi de finances pour 1963 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. X...,

- les conclusions de M. Seban, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du XI de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 portant loi de finances pour 1963 : "Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes qu'au cours des saisons 1990-1991 et 1991-1992 les abonnements aux "premières" des représentations de l'Opéra, ainsi qu'une grande partie des places vendues à l'unité pour ces mêmes spectacles, ont été commercialisées par l'Association pour le rayonnement de l'Opéra de Paris (AROP) ; que celle-ci percevait auprès des clients, outre le prix normal des titres, un supplément pouvant représenter jusqu'à 100 % du prix de base ; que ce supplément n'était pas reversé dans les caisses de l'Opéra mais était conservé par l'AROP pour couvrir ses frais de gestion et servir au financement de ses activités de promotion ;

Considérant que la Cour des comptes a relevé que le paiement du supplément était obligatoire pour les personnes qui se procuraient leurs titres par l'intermédiaire de l'AROP et qui obtenaient, en contrepartie, leur accès privilégié aux représentations concernées ; qu'elle a également constaté que l'AROP avait le monopole de la commercialisation des abonnements aux "premières" et que, pour les ventes à l'unité, la billetterie de l'Opéra ne participait à la commercialisation qu'au cours des deux semaines précédant les spectacles ; qu'enfin, la Cour des comptes a souligné que l'AROP n'avait pas été régulièrement habilitée à effectuer ces opérations ; qu'en déduisant de ces constatations, qui ne reposent sur aucune dénaturation des pièces du dossier, que le supplément n'était pas un don destiné à soutenir l'action de l'AROP mais une composante indissociable du prix, la Cour des comptes n'a pas inexactement qualifié les faits, ni commis d'erreur de droit ; que le requérant ne peut utilement, en tout état de cause, critiquer le motif surabondant dans lequel il est indiqué que le service de la législation fiscale du ministère de l'économie et des finances a refusé de reconnaître le caractère de don déductible au supplément de prix acquitté par les personnes qui se procuraient leurs titres par l'intermédiaire de l'AROP ; qu'en déduisant de l'ensemble de ces constatations que le produit des suppléments devait revenir à l'Opéra et constituait dès lors une "recette destinée à un organisme public doté d'un comptable public" au sens des dispositions précitées du XI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, la Cour des comptes n'a pas méconnu lesdites dispositions ; qu'elle n'avait pas dès lors à rechercher si l'AROP était investie d'une mission de service public et à s'interroger sur la nature publique ou privée des recettes de cette association ;

Considérant qu'il est constant que les services de l'Opéra ont été étroitement associés à l'opération irrégulière et que celle-ci était connue de M. BERGE, président du Théâtre national de l'Opéra de Paris à l'époque des faits ; que par suite, et alors même que M. BERGE n'avait pas autorité sur l'AROP, qu'il n'a pas eu l'initiative de l'opération irrégulière et qu'il se serait efforcé, dès sa nomination à la tête de l'Opéra, de réduire les prérogatives de l'AROP, la Cour des comptes n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que l'intéressé avait participé à la gestion de fait ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. BERGE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la Cour des comptes en date du 10 juillet 1995 ;
Article 1er : La requête de M. BERGE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre BERGE, au procureur général près la Cour descomptes et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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