Conseil d'Etat, 1 / 2 SSR, du 29 décembre 2000, 213590, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée le 20 octobre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT SUD TRAVAIL, dont le siège est ..., représenté par M. Jacques Dechoz ; le SYNDICAT SUD TRAVAIL demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 5 janvier 1999 relative aux droits et obligations des fonctionnaires et agents publics de l'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle dans leurs relations avec les médias et la décision implicite par laquelle le ministre de l'emploi et de la solidarité a refusé de la retirer ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le décret n° 82-452 du 28 mai 1982 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Boulouis, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le SYNDICAT SUD TRAVAIL demande l'annulation de la circulaire DAGEMO/BCG n° 99-01 du 5 janvier 1999 relative aux droits et obligations des fonctionnaires et agents publics de l'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle dans leurs relations avec les médias ;

Sur les dispositions du chapitre 1er de la circulaire attaquée :

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'emploi et de la solidarité :

Considérant que les dispositions du chapitre 1er de la circulaire attaquée intitulé "Les principes" constituent, à l'attention des agents publics de l'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, un résumé de l'état du droit relatif aux droits et obligations des fonctionnaires dans leurs relations avec les médias ; qu'en ce qui concerne, en premier lieu, la liberté d'expression des agents dans l'exécution du service, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ces dispositions se bornent à rappeler aux agents les exigences de neutralité et de loyalisme envers les institutions qui sont les leurs dans l'exercice de leurs fonctions ; que les dispositions de ce chapitre relatives à la discrétion et au secret professionnels ne font que reprendre l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 ; que si elles se bornent à citer la loi du 17 juillet 1978, elles n'ont pas pour objet de faire obstacle aux autres dispositions législatives ou réglementaires qui imposent à une administration de communiquer au public ou de transmettre à d'autres administrations des informations ou des documents ; qu'enfin le paragraphe consacré au devoir de réserve ne méconnaît pas les droits dont disposent les personnes investies de responsabilités syndicales dans l'expression de leurs opinions dès lors que cette expression se rattache à la défense des intérêts professionnels des agents de l'administration ; qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du chapitre 1er de la circulaire ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et que le syndicat requérant n'est, par suite, pas recevable à en demander l'annulation ;

Sur les dispositions du chapitre 2 de la circulaire attaquée :

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'emploi et de la solidarité :

Considérant que les dispositions du chapitre 2 soumettent à une procédure de contrôle les réponses à des demandes de renseignements émanant de journalistes ainsi que les publications d'articles ou d'ouvrages par les agents ; que ces dispositions relatives à l'organisation du service ont un caractère réglementaire et sont susceptibles de porter atteinte aux droits des agents ; que, par suite, le syndicat requérant est recevable à en demander l'annulation ;

Sur la légalité des dispositions attaquées :

Considérant qu'aux termes de l'article 12 du décret du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires : "Les comités techniques paritaires connaissent ( ...) des questions et des projets de textes relatifs : 1° Aux problèmes généraux d'organisation des administrations, établissements ou services ; 2° Aux conditions générales de fonctionnement des administrations et services ; 3° Aux programmes de modernisation des méthodes et techniques de travail et à leur incidence sur la situation du personnel ; 4° Aux règles statutaires ; 5° A l'examen des grandes orientations à définir pour l'accomplissement des tâches de l'administration concernée ; 6° Aux problèmes d'hygiène et de sécurité ; 7° Aux critères de répartition des primes de rendement" ; que les dispositions contestées de la circulaire qui sont dépourvues de caractère statutaire n'entrent dansaucun des autres cas où la consultation du comité technique paritaire est requise et n'avaient donc pas à être soumises à cette instance ;

Considérant que les dispositions contestées de la circulaire n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté d'accès à des documents ou informations administratifs qu'elles réservent expressément et ne méconnaissent pas l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux termes duquel : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration" ; que la circulaire attaquée qui s'adresse à l'ensemble des agents de l'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ne comporte aucune atteinte au principe d'égalité de traitement entre agents d'un même corps ;

Considérant que le ministre de l'emploi et de la solidarité tenait de sa qualité de chef de service compétence pour prendre les mesures nécessaires au respect par les agents, dans leurs relations avec les médias, des obligations de secret et de discrétions professionnels auxquels ils sont soumis en application de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 ainsi qu'à la diffusion de l'information par l'administration ; qu'il lui était loisible, comme il l'a fait, de soumettre à une procédure de contrôle et de coordination les réponses, y compris par voie d'entretien radiodiffusé ou télévisé, à des demandes de renseignements émanant de journalistes dès lors que ces demandes portent sur des données générales ou des cas particuliers dont les agents ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ; qu'il n'a pas restreint, d'une façon qui porte atteinte à leur liberté d'expression pour la défense des intérêts dont ils ont la charge, les droits des agents investis d'un mandat syndical qui sont, comme les autres agents, soumis à l'obligation de discrétion professionnelle ;

Considérant, en revanche, qu'en exigeant de façon générale que l'agent, même si sa qualité de fonctionnaire n'y apparaît pas, soumette ses articles ou ouvrages préalablement à leur publication à son supérieur hiérarchique "si les sujets abordés touchent aux fonctions qu'il exerce ou s'il risque de manifester son opposition ou ses critiques à l'égard de l'action du gouvernement", le ministre a édicté une règle qui porte une atteinte excessive à la liberté d'expression dont doivent bénéficier les fonctionnaires et agents publics ;
Article 1er : Sont annulés, au paragraphe 2.4 de la circulaire du 5 janvier 1999 relative aux droits et obligations des fonctionnaires et agents publics de l'administration du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle dans leurs relations avec les médias, les mots "si les sujets abordés touchent aux fonctions qu'il exerce ou s'il risque de manifester son opposition ou ses critiques à l'égard de l'action du gouvernement".
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du SYNDICAT SUD TRAVAIL est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT SUD TRAVAIL et au ministre de l'emploi et de la solidarité.
Retourner en haut de la page