Conseil d'Etat, 9 / 8 SSR, du 15 octobre 1997, 175722 175798, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°), sous le n° 175722, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 novembre 1995 et 2 février 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM"), dont le siège social est n° 17, Centre Commercial Fly, route du Raizet, aux Abymes (97139) ; la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") demande que le Conseil d'Etat annule le jugement du 21 septembre 1995 du tribunal administratif de Basse-Terre en tant que celui-ci a rejeté sa requête d'appel dirigée contre la partie de l'ordonnance du 11 août 1995 du juge du référé administratif, qui a rejeté sa contestation du refus par le trésorier principal des Abymes des garanties qu'elle avait offertes au soutien d'une demande de sursis de paiement ;

Vu 2°), sous le n° 175798, le recours, enregistré le 1er décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le ministre demande que le Conseil d'Etat annule le jugement du 21 septembre 1995 du tribunal administratif de Basse-Terre, en tant que celui-ci a rejeté l'appel formé par le trésorier-payeur général de la Guadeloupe contre la partie de l'ordonnance du 11 août 1995 du juge du référé administratif, qui a prononcé la mainlevée de l'avis à tiersdétenteur émis le 15 juin 1995 par le trésorier principal des Abymes pour avoir paiement de sommes dues par la SARL Euro Construction Outre-mer ("ECIOM") au titre de l'impôt sur les sociétés ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Hourdin, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Choucroy, avocat de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM"),

- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") et le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 21 septembre 1995 ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales : "Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge peut, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. Le sursis de paiement ne peut être refusé au contribuable que s'il n'a pas constitué les garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor" ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 279 du même livre : "En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque les garanties offertes par le contribuable ont été refusées, celui-ci peut, dans les quinze jours de la réception de la lettre recommandée qui lui a été adressée par le comptable, porter la contestation, par simple demande écrite, devant le juge du référé administratif qui est un membre du tribunal administratif désigné par le président de ce tribunal. - Cette demande n'est recevable que si le redevable a consigné auprès du comptable, à un compte d'attente, une somme égale au dixième des impôts contestés. Une caution bancaire ou la remise de valeurs mobilières cotées en bourse peut tenir lieu de consignation" ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif deBasse-Terre a, notamment, rejeté l'appel formé par la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") contre la partie de l'ordonnance du juge du référé administratif auprès de ce tribunal du 11 août 1995 ayant déclaré irrecevable sa contestation du refus par le trésorier principal des Abymes des garanties qu'elle avait offertes à l'appui de la demande de sursis de paiement formulée dans sa réclamation aux fins de décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés, s'élevant, en principal, à 608 363 F à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1991 par voie de rôle mis en recouvrement le 31 mai 1995, faute, par elle, d'avoir procédé à la consignation exigée par le deuxième alinéa précité de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales, au motif que la somme de 540 401,63 F figurant sur un mandat émis à son profit par la commune des Abymes en règlement d'un marché et devant lui être payée par le receveur municipal, mais "retenue", par l'effet d'un avis à tiers détenteur notifié à ce dernier, le 15 juin 1995, par le trésorier principal des Abymes, pour être affectée au paiement partiel de l'imposition ci-dessus mentionnée, n'avait pas le caractère d'une somme "consignée à un compte d'attente" auprès de ce comptable ; qu'en statuant ainsi, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qui lui était soumis que la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") aurait fourni une caution bancaire ou effectué une remise de valeurs mobilières cotées en bourse susceptible de tenir lieu de la consignation exigée, le tribunal administratif a fait une exacte application, en l'espèce, des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 279 du livre des procédures fiscales ;

Sur le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 262 du livre des procédures fiscales : "Les dépositaires, détenteurs ou débiteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables d'impôts, de pénalités et de frais accessoires dont le recouvrement est garanti par le privilège du Trésor sont tenus, sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, de verser, aux lieu et place des redevables, les fonds qu'ils détiennent ou qu'ils doivent, à concurrence des impositions dues par ces redevables" ; que le premier alinéa de l'article L. 263 du même livre dispose que "l'avis à tiers détenteur a pour effet d'affecter, dès réception, les sommes dont le versement est ainsi demandé au paiement des impositions privilégiées ..." ; que le deuxième alinéa du même article L. 263, dans sa rédaction issue de l'article 86 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution, modifié par l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 1991, n° 91-1323 du 30 décembre 1991, précise que l'avis à tiers détenteur " ... comporte l'effet d'attribution immédiate prévu à l'article 43 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991", relatif à la saisie-attribution ; qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, relatif au sursis de paiement : "A défaut de constitution de garanties ou si les garanties offertes sont estimées insuffisantes, le comptable peut prendre des mesures conservatoires pour les impôts contestés, jusqu'à la saisine inclusivement ... - Lorsque le comptable a notifié un avis à tiers détenteur ou a fait procéder à une saisie en application de l'aliéna précédent, le contribuable peut demander au juge du référé prévu, selon le cas, aux articles L. 279 et L. 279 A, de prononcer la limitation ou l'abandon de ces mesures si elles comportent des conséquences difficilement réparables ..." ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que la notification, par le comptable chargé du recouvrement d'une imposition privilégiée, d'un avis à tiers détenteur emporte, dès réception de celui-ci par son destinataire, attribution immédiate, au profit du Trésor, à concurrence du montant de l'imposition, de la créance disponible entre les mains du tiers saisi, alors même que cet avis n'aurait pas encore été notifié au contribuable, d'autre part, que l'avis ayant déjà produit l'effet d'attribution immédiate ci-dessus décrit avant que le contribuable n'ait présenté, contre l'imposition mise à sa charge, une réclamation assortie d'une demande de sursisde paiement, suivie, le cas échéant, de l'offre de garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor, n'a pas le caractère d'une mesure conservatoire, au sens du troisième alinéa précité de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, de sorte que le juge du référé administratif n'est pas compétent pour en prononcer la limitation ou l'abandon prévu par le quatrième alinéa du même article L. 277 ; qu'un tel avis peut seulement donner lieu, en tant qu'acte de poursuites émis pour le recouvrement de l'impôt, aux contestations dont l'objet est défini par l'article L. 281 du même livre et selon lequel le recours contre les décisions prises à leur sujet par l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites, à laquelle elles doivent d'abord être adressées, est porté, selon le cas, devant le juge de l'exécution ou devant le juge de l'impôt, qui, en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, est, en premier ressort, le tribunal administratif ;

Considérant qu'il découle de ce qui précède qu'en estimant que l'avis à tiers détenteur notifié le 15 juin 1995 par le trésorier principal des Abymes au receveur municipal de cette commune présentait le caractère d'une mesure conservatoire, au sens du troisième alinéa de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales et que le juge du référé administratif du tribunal administratif de Basse-Terre avait pu, compétemment, se prononcer sur la demande de "main levée" de cet avis présentée par la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") et, d'ailleurs décider, à juste titre, d'y faire droit, au motif que la "rétention" de la somme de 541 401,63 F, déjà mentionnée était susceptible, eu égard à la situation de trésorerie de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM"), d'avoir des conséquences difficilement réparables pour son fonctionnement, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cet avis avait produit l'effet d'attribution immédiate prévu par l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991 dès sa réception par le receveur municipal des Abymes à la date du 15 juin 1995, antérieure à celle, du 19 du même mois, à laquelle la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") avait présenté contre l'imposition mise à sa charge une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement et à celle, du 20 juin suivant, à laquelle elle a offert les garanties que le trésorier principal des Abymes devait refuser par lettre du 27 juin, le tribunal administratif de Basse-Terre a commis une erreur de droit ;

Considérant, dès lors, que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué, en tant qu'il a rejeté l'appel formé par le trésorier-payeur général de la Guadeloupe contre la partie de l'ordonnance du juge du référé administratif du 11 août 1995 ayant prononcé la "main levée" de l'avis à tiers détenteur notifié le 15 juin 1995 par le trésorier principal des Abymes au receveur de cette commune ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il ressort de ce qui vient d'être dit que la demande de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") tendant à obtenir "main levée" de l'avis à tiers détenteur notifié le 15 juin 1995 par le trésorier principal des Abymes au receveur de cette commune n'entrait pas dans le champ d'application du quatrième alinéa précité de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, de sorte que le juge du référé administratif du tribunal administratif de Basse-Terre n'était pas compétent pour en connaître ;
Article 1er : La requête de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") est rejetée.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 21 septembre 1995 etl'ordonnance du juge du référé administratif du même tribunal, du 11 août 1995, sont annulés en tant qu'ils se prononcent sur la demande de la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") tendant à la "main levée" de l'avis à tiers détenteur notifié le 15 juin 1995 par le trésorier principal des Abymes au receveur de cette commune.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. EURO CONSTRUCTION OUTRE-MER ("ECIOM") et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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