Conseil d'Etat, 2 / 6 SSR, du 12 mai 1989, 81896, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 septembre 1986 et 9 janvier 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société FOUGEROLLE FRANCE, société anonyme dont le siège social est ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

1°) annule le jugement en date du 3 juillet 1986 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à lui payer la somme de 222 500 F actualisée en février 1981 avec intérêts de droit à compter du 26 juillet 1984 et a rejeté le surplus de ses conclusions,

2°) condamne l'Etat à lui régler les sommes de 4 316 939 F et de 191 834,11 F avec intérêts de droit capitalisés ; à titre subsidiaire ordonne une mesure d'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de Mme Duléry, Conseiller d'Etat,

- les observations de la S.C.P. Rouvière, Lepitre, Boutet et de la S.C.P. Peignot, Garreau, avocats de la société FOUGEROLLE FRANCE (SA),

- les conclusions de M. Faugère, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'entreprise FOUGEROLLE FRANCE, a été chargée à la suite d'un appel d'offres restreint et par un marché notifié le 12 juillet 1978, de l'exécution du lot "gros euvre" des travaux de construction de l'institut national des cadres techniques et du centre d'enseignement technique des télécommunications à Pessac Canejean ; que le marché ainsi conclu était un marché à forfait sur devis descriptif ;

En ce qui concerne les erreurs commises dans l'évaluation des quantités d'ouvrages à réaliser :

Considérant qu'aux termes de l'article 11-22 du cahier des clauses administratives générales approuvé par le décret du 21 janvier 1976, applicable au marché litigieux : "Dans le cas d'application d'un prix forfaitaire ... les différences éventuellement constatées pour chaque nature d'ouvrage ou chaque élément d'ouvrage, entre les quantités réellement exécutées et les quantités indiquées dans la décomposition de ce prix, ... même si celle-ci a valeur contractuelle, ne peuvent conduire à une modification dudit prix ; il en est de même pour les erreurs que pourrait comporter cette décomposition" ; que selon les dispositions de l'article 3 B du réglement particulier d'appel d'offres établi en l'espèce, l'entrepreneur doit "vérifier, compléter ou modifier, en tant que de besoin" le cadre du devis quantitatif annexé audit réglement ; que ces dispositions ne peuvent toutefois pas faire obstacle à l'indemnisation partielle de l'entrepreneur lorsque les documents techniques soumis à l'appel d'offres sont entachés d'erreurs suffisamment graves quant à la nature et aux quanttés d'ouvrages à réaliser pour interdire aux concurrents de présenter leurs propositions en connaissance de cause ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le devis quantitatif établi en l'espèce par le maître d' euvre, lequel était chargé d'une mission complète d'ingénierie, était entaché d'une grossière sous-estimation de la plupart des catégories d'ouvrages ; que le ministre a d'ailleurs reconnu le droit à indemnité de la société requérante du fait d'une partie de ces erreurs, à concurrence d'une somme de 147 000 F ; que, compte tenu, d'une part, du délai relativement bref dont les entreprises ont disposé pour établir leurs offres, et, d'autre part, de l'imprudence dont la société requérante a fait preuve en négligeant d'opérer au moins une vérification sommaire, il sera fait une correcte appréciation des responsabilités encourues en condamnant l'Etat à verser à ladite société une somme égale à la moitié du préjudice qu'elle a subi, lequel peut être évalué à 1 million de francs ; qu'il y a lieu, par suite, en l'espèce de porter à 500 000 F hors taxes la somme que le tribunal administratif a accordée à ce titre ;

En ce qui concerne la modification du matériau des parements des panneaux de façade :

Considérant qu'il ressort de l'instruction que cette modification a été imposée par le maître d'oeuvre ; que l'administration a d'ailleurs alloué à l'entreprise, à la demande de ce dernier, une indemnité de 102 897 F ; qu'il ressort toutefois des justifications précises et détaillées fournies par la requérante, que le coût réel de ladite modification s'est élevée à 201 391 F ; que la société requérante est dès lors fondée, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal administratif, à demander un complément d'indemnité correspondant à la différence entre ces deux sommes, soit 98 494 F hors taxes ;

En ce qui concerne les plans de ferraillage et de coffrage :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, devant la carence de l'architecte, la société FOUGEROLLE FRANCE a dû établir elle-même les plans d'exécution des ouvrages de ferraillage et de coffrage ; qu'elle a droit à une indemnité au titre de cette prestation qui ne lui incombait pas ; qu'ainsi c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux lui a alloué à ce titre une somme de 222 500 F, hors taxes ; que le ministre des PTT n'est pas fondé à demander, par voie de recours incident, l'annulation du jugement attaqué sur ce point ;

En ce qui concerne les intempéries :

Considérant que l'entreprise soutient qu'elle a dû supporter des sujétions imprévues du fait de l'importance exceptionnelle des intempéries ; que si les précipitations ont été supérieures à 1,8 par rapport à la moyenne établie sur 32 ans, une situation comparable a été constatée en 1966, 1969 et 1976 ; qu'ainsi, les pluies enregistrées durant la durée du chantier n'apparaissent pas comme ayant revêtu un caractère exceptionnel et imprévisible ; que c'est dès lors à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de la demande pour sujétions imprévues ;

En ce qui concerne les intérêts moratoires sur situations :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société FOUGEROLLE FRANCE s'est vu allouer des intérêts moratoires, à concurrence de 111 609,75 F, pour les retards de mandatement intervenus au cours des travaux ; que l'administration a produit des états pour justifier cette somme ; que si la requérante présente de son côté d'autres états, aboutissant à un montant de 191 834 F, elle ne formule pas de critique détaillée des calculs de l'administration et n'indique pas sur quels points précis celle-ci aurait commis des oublis ou des erreurs de calcul ; qu'ainsi elle ne met pas le juge en mesure d'apprécier le bien-fondé de sa réclamation ; que le tribunal administratif a ainsi, à juste titre, renvoyé sur ce point la société devant le ministre pour fixation de l'indemnité correspondante ;

Sur la somme totale restant due à la société FOUGEROLLE FRANCE :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat est redevable envers la société requérante d'une somme de 222 500 F hors taxes et des sommes de 500 000 F et 98 494 F, hors taxes ; qu'il résulte de l'instruction que lesdites indemnités sont évaluées par référence à la date d'établissement du devis descriptif initial en décembre 1977 ; qu'il y a lieu, conformément à l'article 10-44 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché, de prescrire leur actualisation jusqu'à la date de livraison des prestations auxquelles elle correspondent, en fonction de l'indice visé à cet article ; que, d'autre part, le règlement desdites prestations ayant été demandé le 5 février 1981, l'Etat est redevable des intérêts moratoires prévus par l'article 11-7 du cahier des clauses administratives générales, dans les délais prévus par les articles 13-3 et 13-4 dudit cahier, en tenant compte de la date à laquelle le décompte général aurait dû être notifié à l'entreprise, soit le 22 mars 1981 au plus tard ; qu'il ressort toutefois de l'instruction que l'administration a envisagé ou décidé le versement à la société de sommes destinées à réparer en partie les mêmes dommages ; que l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer le montant total ainsi perçu ni les dates de livraison des prestations supplémentaires en cause ; que, dans ces conditions, il y a lieu de renvoyer la société devant le ministre des Postes et Télécommunications pour le calcul de la somme dont l'Etat reste redevable, compte tenu des condamnations susmentionnées et des sommes déjà versées ;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 26 juillet 1984 et 9 septembre 1986 ; qu'à ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors et conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts moratoires ;

Sur les conclusions d'appel en garantie de l'Etat contre les autres constructeurs :

Considérant que lesdites conclusions présentées pour la première fois en appel devant le Conseil d'Etat sont irrecevables ;
Article 1er : L'indemnité dont l'Etat est redevable enversla société FOUGEROLLE FRANCE en vertu de l'article 1er du jugement attaqué est majorée de 598 494 F hors taxes, sous déduction des sommes déjà versées au titre des chefs d'indemnisation retenus par laprésente décision. La société FOUGEROLLE FRANCE est renvoyée devant le ministre des PTT pour qu'il soit procédé, sur les bases indiquées par la présente décision, à la détermination de la somme restant due y compris les intérêts moratoires y afférents.
Article 2 : Les intérêts échus les 26 juillet 1984 et 9 septembre 1986 seront capitalisés à ces dates pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le recours incident et les conclusions d'appel en garantie présentés par le ministre des postes et télécommunications sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société FOUGEROLLE FRANCE et au ministre des postes, des télécommunications et de l'espace.


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