Conseil d'Etat, Section, du 20 avril 1956, 33961, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat, Section, du 20 avril 1956, 33961, publié au recueil Lebon
Conseil d'Etat - SECTION
statuant
au contentieux
- N° 33961
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
20 avril 1956
- Rapporteur
- M. Fournier
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le ministre de l'Agriculture, ledit recours et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 17 décembre 1954 et 28 janvier 1955 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler un jugement en date du 29 septembre 1954 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a déclaré l'Etat et le sieur X... solidairement responsables des dommages provoqués par un incendie né au cours d'opérations de reboisement ; Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; Vu la loi du 30 septembre 1946, le décret du 3 avril 1947 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ; le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant que, par des contrats en date des 26 avril et 11 mai 1951, l'Etat Français s'est engagé, dans le cadre des dispositions du décret du 3 mars 1947, portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 30 septembre 1946, à effectuer des travaux de reboisement sur des terrains appartenant aux dames de la Chauvelais et de la Villemarqué et situés sur le territoire des communes de Chènevelles, Monthoiron et Senillé Vienne ; que, le 5 juillet 1952, à la suite d'un retour de flamme survenu dans le tuyau d'échappement d'un tracteur appartenant au sieur X..., entrepreneur chargé des travaux, un incendie s'est allumé et a ravagé non seulement des terrains visés aux contrats susmentionnés, mais encore des bois appartenant tant aux dames de la Chauvelais et de la Villemarqué qu'à d'autres propriétaires ; que le recours du Ministre de l'Agriculture tend à l'annulation du jugement, en date du 29 septembre 1954, par lequel le Tribunal Administratif de Poitiers a déclaré l'Etat et l'entrepreneur solidairement responsables des dommages causés par ledit incendie ;
Sur la compétence : Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1946 "le Ministre de l'Agriculture est chargé de la reconstitution de la forêt française, selon les modalités fixées par des règlements d'administration publique, en vue de l'organisation des travaux de boisement et de reboisement, de la mise en valeur et de la conservation des terrains boisés, de la meilleure utilisation des produits de la forêt et, en général, de tout ce qui a pour but d'accroître les ressources forestières, de faciliter l'écoulement des produits forestiers et de mieux satisfaire les besoins de la population" ; qu'il résulte tant de ces prescriptions que de l'ensemble des dispositions de ladite loi et, notamment, de la faculté qu'elle a donnée aux règlements d'administration publique prévus pour son application d'imposer aux propriétaires certaines obligations pour leur exécution, ainsi que de la création d'un fonds forestier national alimenté par des taxes, que le législateur a entendu créer, pour les fins ci-dessus mentionnées, un service public, préposé tant à la conservation, au développement et à la mise en valeur de la forêt française qu'à l'utilisation et à l'écoulement de ses produits dans les conditions les plus conformes à l'intérêt national. Que les opérations de boisement ou de reboisement entreprises par l'administration des eaux et forêts sur des terrains privés, en vertu de contrats passés par elle avec les propriétaires de ces terrains, telles qu'elles sont prévues par les articles 5, 8 et suivants du règlement d'administration publique du 3 mars 1947, qui soumet les terrains en question au régime forestier jusqu'au remboursement complet du montant des dépenses engagées, constituent l'une des modalités de l'exécution même de ce service ; qu'il suit de là que, malgré la circonstance que les terrains où s'effectuent ces opérations ne sont pas destinés à devenir la propriété de l'Etat et que les dépenses engagées par lui sont récupérées sur le produit de l'exploitation, lesdites opérations ont le caractère de travaux publics et que, quelle que puisse être la nature des stipulations incluses dans les contrats dont s'agit, ceux-ci tiennent de leur objet même le caractère de contrats administratifs. Qu'ainsi le Ministre de l'Agriculture n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est reconnu compétent en la cause pour statuer sur les demandes d'indemnité présentées contre l'Etat, en sa qualité de maître de l'oeuvre, ainsi que contre l'entrepreneur chargé par lui des travaux, tant par les signataires des contrats ci-dessus mentionnés que par d'autres propriétaires ;
Sur le droit à indemnité : Considérant qu'en ce qui concerne lesdits propriétaires, qui ne se trouvent pas, à l'égard de l'Etat, dans une situation contractuelle et qui ont ainsi la qualité de tiers par rapport aux travaux publics litigieux, la responsabilité de l'Etat se trouve engagée envers eux sans qu'ils aient à faire d'autre preuve que celle de la relation de cause à effet entre le travail public dont s'agit et le préjudice invoqué ; qu'il résulte des affirmations des propriétaires intéressés, confirmées ou non contestées par l'administration, qu'au moment où l'incendie qui a causé le préjudice a pris naissance, le tracteur du sieur X... se trouvait sur le chemin rural desservant les terrains à reboiser, en bordure desdits terrains ; que ledit sieur X... lui-même parcourait ces terrains afin de déterminer les conditions d'exécution du travail de débroussaillage qu'il s'apprêtait à entreprendre ; qu'il suit de là que le préjudice dont s'agit se rattache à la réalisation des opérations de reboisement ; qu'il en est de même en ce qui concerne le préjudice causé aux signataires des contrats ci-dessus indiqués, quant aux terrains qui ne faisaient pas l'objet des travaux de reboisement en cours ;
Considérant, en ce qui concerne les terrains faisant l'objet desdits travaux, qu'il résulte de l'instruction que les dommages litigieux sont uniquement dus au fait qu'aucune des mesures de sécurité exigées notamment par la saison où s'exécutait le reboisement n'a été prescrite par l'administration ou prise par le sieur X... ; que ce fait constitue un manquement aux obligations résultant des contrats susmentionnés ;
Considérant que de tout ce qui précède il résulte que c'est à bon droit que le tribunal administratif a déclaré l'Etat solidairement responsable des dommages causés tant à ses co-contractants qu'aux autres propriétaires par l'incendie susmentionné ;
DECIDE : Article 1er - Le recours susvisé du Ministre de l'Agriculture est rejeté. Article 2 - L'Etat supportera les dépens exposés devant le Conseil d'Etat. Article 3 - Expédition de la présente décision sera transmise au secrétaire d'Etat à l'Agriculture.
Considérant que, par des contrats en date des 26 avril et 11 mai 1951, l'Etat Français s'est engagé, dans le cadre des dispositions du décret du 3 mars 1947, portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 30 septembre 1946, à effectuer des travaux de reboisement sur des terrains appartenant aux dames de la Chauvelais et de la Villemarqué et situés sur le territoire des communes de Chènevelles, Monthoiron et Senillé Vienne ; que, le 5 juillet 1952, à la suite d'un retour de flamme survenu dans le tuyau d'échappement d'un tracteur appartenant au sieur X..., entrepreneur chargé des travaux, un incendie s'est allumé et a ravagé non seulement des terrains visés aux contrats susmentionnés, mais encore des bois appartenant tant aux dames de la Chauvelais et de la Villemarqué qu'à d'autres propriétaires ; que le recours du Ministre de l'Agriculture tend à l'annulation du jugement, en date du 29 septembre 1954, par lequel le Tribunal Administratif de Poitiers a déclaré l'Etat et l'entrepreneur solidairement responsables des dommages causés par ledit incendie ;
Sur la compétence : Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1946 "le Ministre de l'Agriculture est chargé de la reconstitution de la forêt française, selon les modalités fixées par des règlements d'administration publique, en vue de l'organisation des travaux de boisement et de reboisement, de la mise en valeur et de la conservation des terrains boisés, de la meilleure utilisation des produits de la forêt et, en général, de tout ce qui a pour but d'accroître les ressources forestières, de faciliter l'écoulement des produits forestiers et de mieux satisfaire les besoins de la population" ; qu'il résulte tant de ces prescriptions que de l'ensemble des dispositions de ladite loi et, notamment, de la faculté qu'elle a donnée aux règlements d'administration publique prévus pour son application d'imposer aux propriétaires certaines obligations pour leur exécution, ainsi que de la création d'un fonds forestier national alimenté par des taxes, que le législateur a entendu créer, pour les fins ci-dessus mentionnées, un service public, préposé tant à la conservation, au développement et à la mise en valeur de la forêt française qu'à l'utilisation et à l'écoulement de ses produits dans les conditions les plus conformes à l'intérêt national. Que les opérations de boisement ou de reboisement entreprises par l'administration des eaux et forêts sur des terrains privés, en vertu de contrats passés par elle avec les propriétaires de ces terrains, telles qu'elles sont prévues par les articles 5, 8 et suivants du règlement d'administration publique du 3 mars 1947, qui soumet les terrains en question au régime forestier jusqu'au remboursement complet du montant des dépenses engagées, constituent l'une des modalités de l'exécution même de ce service ; qu'il suit de là que, malgré la circonstance que les terrains où s'effectuent ces opérations ne sont pas destinés à devenir la propriété de l'Etat et que les dépenses engagées par lui sont récupérées sur le produit de l'exploitation, lesdites opérations ont le caractère de travaux publics et que, quelle que puisse être la nature des stipulations incluses dans les contrats dont s'agit, ceux-ci tiennent de leur objet même le caractère de contrats administratifs. Qu'ainsi le Ministre de l'Agriculture n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est reconnu compétent en la cause pour statuer sur les demandes d'indemnité présentées contre l'Etat, en sa qualité de maître de l'oeuvre, ainsi que contre l'entrepreneur chargé par lui des travaux, tant par les signataires des contrats ci-dessus mentionnés que par d'autres propriétaires ;
Sur le droit à indemnité : Considérant qu'en ce qui concerne lesdits propriétaires, qui ne se trouvent pas, à l'égard de l'Etat, dans une situation contractuelle et qui ont ainsi la qualité de tiers par rapport aux travaux publics litigieux, la responsabilité de l'Etat se trouve engagée envers eux sans qu'ils aient à faire d'autre preuve que celle de la relation de cause à effet entre le travail public dont s'agit et le préjudice invoqué ; qu'il résulte des affirmations des propriétaires intéressés, confirmées ou non contestées par l'administration, qu'au moment où l'incendie qui a causé le préjudice a pris naissance, le tracteur du sieur X... se trouvait sur le chemin rural desservant les terrains à reboiser, en bordure desdits terrains ; que ledit sieur X... lui-même parcourait ces terrains afin de déterminer les conditions d'exécution du travail de débroussaillage qu'il s'apprêtait à entreprendre ; qu'il suit de là que le préjudice dont s'agit se rattache à la réalisation des opérations de reboisement ; qu'il en est de même en ce qui concerne le préjudice causé aux signataires des contrats ci-dessus indiqués, quant aux terrains qui ne faisaient pas l'objet des travaux de reboisement en cours ;
Considérant, en ce qui concerne les terrains faisant l'objet desdits travaux, qu'il résulte de l'instruction que les dommages litigieux sont uniquement dus au fait qu'aucune des mesures de sécurité exigées notamment par la saison où s'exécutait le reboisement n'a été prescrite par l'administration ou prise par le sieur X... ; que ce fait constitue un manquement aux obligations résultant des contrats susmentionnés ;
Considérant que de tout ce qui précède il résulte que c'est à bon droit que le tribunal administratif a déclaré l'Etat solidairement responsable des dommages causés tant à ses co-contractants qu'aux autres propriétaires par l'incendie susmentionné ;
DECIDE : Article 1er - Le recours susvisé du Ministre de l'Agriculture est rejeté. Article 2 - L'Etat supportera les dépens exposés devant le Conseil d'Etat. Article 3 - Expédition de la présente décision sera transmise au secrétaire d'Etat à l'Agriculture.