Conseil d'Etat, Plénière, du 30 mars 1987, 52754, publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet 1983 et 28 novembre 1983, présentés pour la Société Anonyme "Labo Industries" dont le siège est ... 92000 , représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

1° annule le jugement en date du 5 mai 1983 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la décharge :

- d'une part, des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie respectivement au titre des années 1972, 1973 et 1975 et au titre des années 1973 et 1975,

- d'autre part, des retenues à la source qui lui ont été assignées au titre des années 1972, 1973, 1974 et 1975 ;

2° lui accorde la décharge des impositions contestées,

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs ;

Vu la Convention entre la France et la Confédération Helvétique du 9 septembre 1966 en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune, ensemble la loi du 26 décembre 1966 qui en a autorisé la ratification et le décret du 13 septembre 1967 qui en a assuré la publication ;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Tiberghien, Maître des requêtes,

- les observations de Me Célice, avocat de la société "Labo Industries",

- les conclusions de M. Martin-Laprade, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions relatives à l'impôt sur les sociétés :

Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises... qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités..." ; que, lorsque l'administration établit l'existence de faits ou d'écritures comptables qui révèlent un transfert de bénéfices d'une entreprise imposable en France à une entreprise située hors de France, ces dispositions instituent une présomption à l'encontre du contribuable qui, par suite, supporte la charge de prouver, quel que soit le déroulement de la procédure d'imposition, que ces faits ou ces écritures sont justifiés par une gestion normale des intérêts propres à l'entreprise imposable en France ;

Considérant que l'administration établit que la société anonyme "Labo Industries", dont le siège est en France, a porté en charges, dans sa comptabilité des exercices correspondant aux années 1972, 1973 et 1975, la rémunération d'un de ses cadres quelle avait détaché durant ces années auprès de la société de droit helvétique "Labo-Suisse", dont elle possède le contrôle, pour assurer la direction de celle-ci ; que ces faits révèlent que la société "Labo Industries" a pris en compte, pour le calcul du bénéfice imposable en France, une somme qui, normalement, constitue une charge de la société suisse ; que, de ce fait, la société "Labo Industries" est présumée avoir réalisé, au sens des dispositions précitées de l'article 57, un transfert de bénéfices à une entreprise située hors de France ; qu'il lui incombe, dès lors, de prouver que ce transfert comportait pour elle une contrepartie suffisante et avait ainsi le caractère d'un acte de gestion commerciale normale ;

Considérant que la société requérante fait valoir que, compte tenu de la difficulté, en raison de la concurrence, de vendre sur le marché suisse les huiles qu'elle fabrique, la solution qu'elle a adoptée lui permettait, sans avoir à pratiquer des tarifs à l'exportation inférieurs aux prix de revient des fabrications, de mener sur place une politique commerciale active tout en assurant la pérennité de la société de droit helvétique, nécessaire à la conservation et au développement de ses propres débouchés ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée par l'administration, la société requérante établit que l'avantage accordé à la société suisse avait une contrepartie suffisante dans l'intérêt de l'exploitation de l'entreprise française et était justifié par une gestion normale de ses intérêts propres ; que, dès lors, les sommes correspondant à la rémunération du cadre exerçant son activité dans la filiale suisse ne constituaient pas des bénéfices indirectement transférés, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, et étaient, par suite, déductibles du bénéfice imposable de la société requérante au titre des années 1972, 1973 et 1975 ;

Sur les conclusions relatives à la retenue à la source :

En ce qui concerne l'année 1974 :

Considérant que, par une décision en date du 27 mai 1985, postérieure à l'introduction du pourvoi, le directeur des services fiscaux compétent a accordé à la société "Labo Industries" un dégrèvement de 5 607 F correspondant à la retenue à la source et aux pénalités y afférentes qui avaient été réclamées à cette société au titre de l'année 1974 ; que, dans cette mesure, les conclusions de la requête sont devenues sans objet ;

En ce qui concerne les années 1972, 1973 et 1975 :

Considérant qu'aux termes de l'article 23 de la convention fiscale conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse et publiée par le décret n° 67-879 du 13 septembre 1967, modifiée par avenant du 3 décembre 1969 publié par le décret n° 70-1009 du 26 octobre 1970, "Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, qui ne sont pas expressément mentionnés dans les articles précédents de la présente convention, ne sont imposables que dans cet Etat" ; qu'il ressort clairement de cette convention que les stipulations de son article 11, qui visent les dividendes, ne concernent pas les revenus réputés distribués au sens du 1-1° de l'article 109 du code général des impôts ; qu'ainsi les revenus qui auraient pu être réputés distribués par la société "Labo Industries" à la société "Labo-Suisse" n'étaient pas imposables en France et ne pouvaient être soumis à l'impôt sur le revenu par voie de retenue à la source ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société "Labo Industries" est, dans la limite des conclusions qui ont conservé un objet, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la société "Labo Industries" en tant qu'elle porte sur la retenue à la source et les pénalités y afférentes qui lui ont été réclamées au titre de l'année 1974.

Article 2 : La société "Labo Industries" est déchargée, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1972, 1973 et 1975, à la majoration exceptionnelle au titre des années 1973 et 1975, et la retenue à la source de l'impôt sur le revenu au titre des années 1972, 1973 et 1975 auxquelles elle a été assujettie.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 5 mai 1983 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société "Labo Industries" et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.
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