Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, du 8 juillet 1999, 96NT01891, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 29 août 1996, présentée pour la ville de Rennes, représentée par son maire en exercice, à ce dûment habilité, par Me MARTIN, avocat au barreau de Rennes ;

La ville de Rennes demande à la Cour :

1 ) d'annuler le jugement n 94-1263 du 3 juillet 1996 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a annulé l'article 2 de l'arrêté du 9 novembre 1993 du maire de Rennes interdisant "la pratique du canoë-kayak, de la planche à voile et plus généralement de toute activité susceptible de donner lieu à un contact étroit avec l'eau ** * au droit de la base nautique de Baud* ** " ;

2 ) de rejeter les demandes présentées devant le Tribunal administratif par la Fédération française de canoë-kayak et disciplines associées, la Ligue de Bretagne de canoë-kayak, le Comité départemental d'Ille-et-Vilaine de canoë-kayak et le Club "Canoë-kayak, sports et loisirs de plein air" ;

3 ) de condamner lesdites associations à lui verser solidairement une somme de 20 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des communes ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau ;

Vu le décret n 73-912 du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure ;

Vu le décret n 81-324 du 7 avril 1981 fixant les normes d'hygiène et de sécurité applicables aux piscines et aux baignades aménagées ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 1999 :

- le rapport de M. MILLET, premier conseiller,

- les observations de Me MARTIN, avocat de la ville de Rennes, et de M. DAROLLES, président de la Fédération française de canoë-kayak,

- et les conclusions de Mme JACQUIER, commissaire du gouvernement ;

Considérant que par l'article 2 de son arrêté du 9 novembre 1993, le maire de Rennes a refusé d'autoriser "la pratique du canoë-kayak, de la planche à voile et plus généralement de toute activité susceptible de donner lieu à un contact étroit avec l'eau au droit de la base nautique de Baud, compte tenu de la qualité sanitaire, notamment sur le plan bactériologique des eaux de la Vilaine qui ne répondent pas aux normes en vigueur" ; que, par jugement du 3 juillet 1996 dont la ville de Rennes fait appel, le Tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de la Fédération française de canoë-kayak, de la Ligue de Bretagne de canoë-kayak, du Comité départemental d'Ille-et-Vilaine de canoë-kayak et de l'association Sports et loisirs de plein air, l'article 2 de l'arrêté, au motif qu'il n'existait pas de normes sanitaires applicables aux activités nautiques autres que la baignade et la natation dont les normes d'hygiène et de sécurité sont fixées par les dispositions du décret n 81-324 du 7 avril 1981 ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la ville de Rennes à la demande de première instance :

Considérant que les associations requérantes ont formé le 7 janvier 1994, un recours gracieux auprès du maire de Rennes lui demandant d'annuler l'article 2 de son arrêté du 9 novembre 1993 ; que si la ville de Rennes allègue que le maire aurait décidé de ne pas donner une suite favorable à cette demande lors d'une réu-nion tenue avec les associations le 27 janvier 1994, elle n'établit pas, en l'absence d'élément de preuve sur ce point, l'existence d'une décision verbale prise en ce sens ; qu'une décision expresse de rejet du 7 février 1994 mentionnant les voies et délais de recours a été notifiée au président de la Fédération française de canoë-kayak le 14 février 1994 ; que, par suite, les demandes introduites par les associations requérantes le 8 avril 1994 devant le Tribunal administratif n'étaient pas tardives ; que la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la ville de Rennes doit ainsi être écartée ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article 25-3 du code de la santé publique : "Sans préjudice de l'exercice des pouvoirs de police appartenant aux diverses autorités administratives, l'utilisation d'une piscine ou d'une baignade aménagée peut être interdite par les autorités administratives si les conditions matérielles d'aménagement ou de fonctionnement portent atteinte à la santé ou à la sécurité des utilisateurs ainsi qu'à l'hygiène ou à la salubrité publique, ou si l'installation n'est pas conforme aux normes prévues ou n'a pas été mise en conformité avec celles-ci dans le délai déterminé par les autorités administratives" ; que l'article 13 du décret du 7 avril 1981 susvisé fixant les normes d'hygiène et de sécurité applicables aux piscines et baignades aménagées dispose que : "Lorsque l'une au moins des normes du présent chapitre n'est pas respectée, le préfet peut interdire ou limiter l'utilisation de l'établissement ou de la partie concernée de celui-ci. L'interdiction ne peut être levée que lorsque le déclarant a fait la preuve que ces normes sont de nouveau respectées" ;

Considérant que si le maire de Rennes ne pouvait légalement interdire la pratique du canoë-kayak, et les activités nautiques présentant un étroit contact avec l'eau sur le fondement des dispositions susrappelées du décret du 7 avril 1981 relatives à la police spéciale des baignades, il pouvait néanmoins, ainsi qu'il l'a d'ailleurs fait, se fonder sur les dispositions de l'article L.131-2, 6 , du code des communes alors en vigueur, pour prendre les mesures nécessaires à la prévention des atteintes à la salubrité publique qui pourraient résulter des "pollutions de toute nature", sans qu'aucun texte, ni aucun principe ne lui impose la consultation des organes administratifs appelés à intervenir en matière de police spéciale des eaux, et alors même que "la police de la navigation sur les fleuves, rivières, canaux, lacs, retenues et étangs d'eau douce" autorisait le préfet, en application du règlement général de police de la navigation intérieure annexé au décret susvisé du 21 septembre 1973, à réglementer la pratique des activités nautiques dans le département pour des motifs identiques de sécurité publique ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le Tribunal administratif s'est fondé sur l'erreur de droit qu'aurait commise le maire de Rennes pour annuler l'article 2 de son arrêté du 9 novembre 1993 interdisant les activités nautiques en étroit contact avec l'eau, et notamment la pratique du canoë-kayak, au droit de la base nautique de la plaine de Baud ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les associations requérantes devant le Tribunal administratif de Rennes ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, les pollutions "momentanées" constatées par les services de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (D.D.A.S.S.) d'Ille-et- Vilaine au droit de la base nautique de la plaine de Baud, et classées en "catégorie C", en application de la circulaire ministérielle du 19 mai 1992, aient été de nature à justifier une interdiction générale et absolue des activités nautiques en "étroit contact" avec l'eau et, en particulier, celle de la pratique du canoë-kayak, alors que, selon les études figurant au dossier, cette discipline sportive figure au nombre des activités nautiques de "faible contact" praticables en eau même relativement polluée ; que l'article 2 de l'arrêté litigieux du maire de Rennes est donc, pour ce motif, entâché d'excès de pouvoir ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, que la ville de Rennes n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a annulé l'article 2 de l'arrêté du maire de Rennes du 9 novembre 1993 ;

Sur les conclusions de la ville de Rennes tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel s'opposent à ce que les associations requérantes, lesquelles ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnées solidairement à verser à la ville de Rennes la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la ville de Rennes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la ville de Rennes, à la Fédération française de canoë-kayak et disciplines associées, à la Ligue de Bretagne de canoë-kayak, au Comité départemental d'Ille-et-Vilaine de canoë-kayak, à l'association Sports et loisirs de plein air et au ministre de l'emploi et de la solidarité.
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