Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 octobre 2024, 23-14.806, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 octobre 2024, 23-14.806, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 23-14.806
- ECLI:FR:CCASS:2024:SO00980
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 02 octobre 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Bourges, du 18 novembre 2022- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 octobre 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 980 FS-B+R
Pourvoi n° U 23-14.806
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 OCTOBRE 2024
Mme [N] [Z] [J], épouse [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-14.806 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2022 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Mazagran service, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [Z] [J], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Mazagran service, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mmes Monge, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 18 novembre 2022), Mme [Z] [J] a été engagée en qualité d'employée commerciale à compter du 13 octobre 2006, par la société Mazagran service.
2. La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 10 novembre 2014 au 30 décembre 2014, puis pour accident du travail du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016 et à nouveau pour maladie du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019.
3. Le 19 novembre 2019, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude en précisant que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement.
4. Le 16 janvier 2020, la salariée a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
5. Le 16 décembre 2020, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen de la question préjudicielle
Enoncé de la question préjudicielle
6. L'employeur demande à la Cour de cassation de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :
« L'article 7, § 1, de la directive 2003/88 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des dispositions nationales qui limitent l'obtention et le bénéfice des droits à congés payés à une période d'un an lorsqu'un travailleur est placé en arrêt de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ? »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
8. D'après une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'Union européenne, des limitations peuvent être apportées au droit fondamental au congé annuel payé, consacré par l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, dans le respect des conditions strictes prévues à l'article 52, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu'elles respectent le contenu essentiel de ce droit et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union (CJUE, 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C-518/20 et C-727/20, point 33 ; LB, C-120/21, point 36).
9. Des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée. A cet égard, pour une période de référence d'un an, la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'une période de report du droit au congé annuel payé de quinze mois était conforme à la finalité du congé annuel (CJUE, 22 novembre 2011, KHS AG c/ Shulte, C-214/10), mais que tel n'était pas le cas d'une période de report de neuf mois (CJUE, 3 mai 2012, Neidel, C-337/10).
10. L'article L. 3141-5 5° du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, a pour objet de limiter à douze mois la période pendant laquelle un salarié, absent pour cause d'arrêt de travail d'origine professionnelle, peut acquérir des droits à congé payé et non d'organiser la perte de droits acquis qui n'auraient pas été exercés au terme d'un délai de report substantiellement supérieur à la période de référence. Ainsi qu'il résulte des points 7 à 9, ce texte est contraire aux articles 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 7 de la directive 2008/88/CE tels qu'interprétés par la Cour de Justice de l'Union européenne.
11. Dans un arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation, faisant application de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a écarté partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et a jugé que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail (Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.638, publié).
12. L'article L. 3141-5, 5°, du code du travail a été modifié par la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal et en matière agricole, la limitation à une période ininterrompue de douze mois de l'assimilation à du travail effectif de l'arrêt de travail d'origine professionnelle étant supprimée. Contrairement à d'autres dispositions de mise en conformité du droit des congés payés au droit de l'Union de la loi du 22 avril 2024, cette modification législative n'a pas d'effet rétroactif.
13. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par l'employeur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pendant la durée de suspension de son contrat de travail, alors :
« 1°/ qu'en faisant application, pour trancher le litige, des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail, déclarées non conformes à la Constitution à la suite des questions prioritaires de constitutionnalité présentées selon un mémoire distinct, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ que la législation d'un Etat membre doit, dans toute la mesure du possible, être interprétée de manière conforme au droit de l'Union européenne ; que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période ; qu'il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat ; qu'interprété à la lumière de ces dispositions, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail doivent être regardés comme ne faisant pas obstacle à ce qu'un travailleur dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie, qu'elle soit ou non d'origine professionnelle, puisse acquérir des droits à congés payés, même au-delà d'une période d'un an ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, interprétés à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003. »
Réponse de la Cour
15. D'abord, le Conseil constitutionnel a, par décision du 8 février 2024 (n° 2023-1079 QPC), décidé que les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail étaient conformes à la Constitution.
16. Ensuite, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
17. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
18. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
19. Selon l'article L. 3141-5, 5°, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
20. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-1 et L. 3141-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, du code du travail, que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ne permettent pas d'acquérir des droits à congé payé au-delà d'une durée ininterrompue d'un an.
21. En application de l'article L. 3141-3 du code du travail, un salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congé payé au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024.
22. Le moyen, qui propose une interprétation de la loi, à la lumière de la directive 2003/88/CE, contraire aux termes des articles L. 3141-1, L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
23. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « que selon l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ; que cette disposition, d'effet direct en droit interne et invocable dans les litiges opposant les particuliers, s'oppose à ce que la législation d'un Etat membre fasse obstacle à ce qu'un travailleur dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie ne puisse acquérir des droits à congés payés à défaut pour lui d'avoir accompli un travail effectif, que ce soit dès l'origine pour celui placé en congé de maladie ordinaire ou au-delà d'une période d'un an pour celui dont la maladie est d'origine professionnelle ; qu'en considérant qu'en application des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail, Mme [P] devait être déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés dès lors qu'elle n'avait pas pu acquérir de droits à congés pendant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie, la cour d'appel a violé ces textes, par fausse application, ensemble l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
24. L'employeur soulève l'irrecevabilité du moyen. Il soutient que la critique est irrecevable, comme nouvelle, en ce que, devant la cour d'appel la salariée n'invoquait que l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, relatif au principe de non-discrimination mais ne se prévalait pas de l'article 31 de la Charte ni n'invoquait en substance les droits garantis par ce dernier texte.
25. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
26. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 3141-3 du code du travail et L. 3141-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 :
27. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
28. Aux termes du deuxième de ces textes, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
29. Selon le dernier de ces textes, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
30. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16, point 80).
31. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
32. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
33. Par arrêts du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
34. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, ou dont le contrat de travail est suspendu pour une cause de maladie ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, ainsi qu'il a été dit au point 22, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union.
35. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
36. Il convient en conséquence, d'une part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, d'autre part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congé payé au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
37. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé de quatre semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail, l'arrêt retient qu'il est de jurisprudence constante qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligation dans le cas d'un particulier et ne peut être invoquée en tant que telle à son encontre. Il relève que la salariée ne peut, dans le cas d'un employeur ne disposant pas de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables entre particuliers, revendiquer des droits à congé payé au-delà de la période visée à l'article L. 3141-5 du code du travail en raison des limites attachées au principe de l'interprétation conforme qui excluent toute interprétation contra legem du droit national.
38. L'arrêt ajoute qu'il ne peut être soutenu, comme le fait la salariée, que le droit à un congé annuel de quatre semaines doit bénéficier à tout travailleur quelle que soit sa situation, et notamment lorsqu'il a été en congé maladie pendant plusieurs années, ce qui a été son cas, puisqu'il serait détourné de sa finalité qui est de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé.
39. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [Z] [J] de sa demande en paiement de la somme de 6 276,90 euros à titre d'indemnité de congé payé de quatre semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail, en ce qu'il dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Mazagran service aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mazagran service et la condamne à payer à Mme [Z] [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:SO00980
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 octobre 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 980 FS-B+R
Pourvoi n° U 23-14.806
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 OCTOBRE 2024
Mme [N] [Z] [J], épouse [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-14.806 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2022 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Mazagran service, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [Z] [J], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Mazagran service, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mmes Monge, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 18 novembre 2022), Mme [Z] [J] a été engagée en qualité d'employée commerciale à compter du 13 octobre 2006, par la société Mazagran service.
2. La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 10 novembre 2014 au 30 décembre 2014, puis pour accident du travail du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016 et à nouveau pour maladie du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019.
3. Le 19 novembre 2019, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude en précisant que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement.
4. Le 16 janvier 2020, la salariée a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
5. Le 16 décembre 2020, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen de la question préjudicielle
Enoncé de la question préjudicielle
6. L'employeur demande à la Cour de cassation de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :
« L'article 7, § 1, de la directive 2003/88 et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des dispositions nationales qui limitent l'obtention et le bénéfice des droits à congés payés à une période d'un an lorsqu'un travailleur est placé en arrêt de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ? »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
8. D'après une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'Union européenne, des limitations peuvent être apportées au droit fondamental au congé annuel payé, consacré par l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, dans le respect des conditions strictes prévues à l'article 52, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu'elles respectent le contenu essentiel de ce droit et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union (CJUE, 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C-518/20 et C-727/20, point 33 ; LB, C-120/21, point 36).
9. Des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée. A cet égard, pour une période de référence d'un an, la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'une période de report du droit au congé annuel payé de quinze mois était conforme à la finalité du congé annuel (CJUE, 22 novembre 2011, KHS AG c/ Shulte, C-214/10), mais que tel n'était pas le cas d'une période de report de neuf mois (CJUE, 3 mai 2012, Neidel, C-337/10).
10. L'article L. 3141-5 5° du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, a pour objet de limiter à douze mois la période pendant laquelle un salarié, absent pour cause d'arrêt de travail d'origine professionnelle, peut acquérir des droits à congé payé et non d'organiser la perte de droits acquis qui n'auraient pas été exercés au terme d'un délai de report substantiellement supérieur à la période de référence. Ainsi qu'il résulte des points 7 à 9, ce texte est contraire aux articles 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 7 de la directive 2008/88/CE tels qu'interprétés par la Cour de Justice de l'Union européenne.
11. Dans un arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation, faisant application de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a écarté partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et a jugé que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail (Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.638, publié).
12. L'article L. 3141-5, 5°, du code du travail a été modifié par la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal et en matière agricole, la limitation à une période ininterrompue de douze mois de l'assimilation à du travail effectif de l'arrêt de travail d'origine professionnelle étant supprimée. Contrairement à d'autres dispositions de mise en conformité du droit des congés payés au droit de l'Union de la loi du 22 avril 2024, cette modification législative n'a pas d'effet rétroactif.
13. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par l'employeur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pendant la durée de suspension de son contrat de travail, alors :
« 1°/ qu'en faisant application, pour trancher le litige, des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail, déclarées non conformes à la Constitution à la suite des questions prioritaires de constitutionnalité présentées selon un mémoire distinct, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ que la législation d'un Etat membre doit, dans toute la mesure du possible, être interprétée de manière conforme au droit de l'Union européenne ; que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période ; qu'il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat ; qu'interprété à la lumière de ces dispositions, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail doivent être regardés comme ne faisant pas obstacle à ce qu'un travailleur dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie, qu'elle soit ou non d'origine professionnelle, puisse acquérir des droits à congés payés, même au-delà d'une période d'un an ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, interprétés à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003. »
Réponse de la Cour
15. D'abord, le Conseil constitutionnel a, par décision du 8 février 2024 (n° 2023-1079 QPC), décidé que les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail étaient conformes à la Constitution.
16. Ensuite, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
17. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
18. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
19. Selon l'article L. 3141-5, 5°, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
20. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3141-1 et L. 3141-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, du code du travail, que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ne permettent pas d'acquérir des droits à congé payé au-delà d'une durée ininterrompue d'un an.
21. En application de l'article L. 3141-3 du code du travail, un salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congé payé au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024.
22. Le moyen, qui propose une interprétation de la loi, à la lumière de la directive 2003/88/CE, contraire aux termes des articles L. 3141-1, L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
23. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « que selon l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ; que cette disposition, d'effet direct en droit interne et invocable dans les litiges opposant les particuliers, s'oppose à ce que la législation d'un Etat membre fasse obstacle à ce qu'un travailleur dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie ne puisse acquérir des droits à congés payés à défaut pour lui d'avoir accompli un travail effectif, que ce soit dès l'origine pour celui placé en congé de maladie ordinaire ou au-delà d'une période d'un an pour celui dont la maladie est d'origine professionnelle ; qu'en considérant qu'en application des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, du code du travail, Mme [P] devait être déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés dès lors qu'elle n'avait pas pu acquérir de droits à congés pendant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie, la cour d'appel a violé ces textes, par fausse application, ensemble l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
24. L'employeur soulève l'irrecevabilité du moyen. Il soutient que la critique est irrecevable, comme nouvelle, en ce que, devant la cour d'appel la salariée n'invoquait que l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, relatif au principe de non-discrimination mais ne se prévalait pas de l'article 31 de la Charte ni n'invoquait en substance les droits garantis par ce dernier texte.
25. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
26. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 3141-3 du code du travail et L. 3141-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 :
27. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
28. Aux termes du deuxième de ces textes, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
29. Selon le dernier de ces textes, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
30. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16, point 80).
31. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
32. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
33. Par arrêts du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
34. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, ou dont le contrat de travail est suspendu pour une cause de maladie ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, ainsi qu'il a été dit au point 22, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union.
35. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
36. Il convient en conséquence, d'une part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, d'autre part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congé payé au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
37. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé de quatre semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail, l'arrêt retient qu'il est de jurisprudence constante qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligation dans le cas d'un particulier et ne peut être invoquée en tant que telle à son encontre. Il relève que la salariée ne peut, dans le cas d'un employeur ne disposant pas de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables entre particuliers, revendiquer des droits à congé payé au-delà de la période visée à l'article L. 3141-5 du code du travail en raison des limites attachées au principe de l'interprétation conforme qui excluent toute interprétation contra legem du droit national.
38. L'arrêt ajoute qu'il ne peut être soutenu, comme le fait la salariée, que le droit à un congé annuel de quatre semaines doit bénéficier à tout travailleur quelle que soit sa situation, et notamment lorsqu'il a été en congé maladie pendant plusieurs années, ce qui a été son cas, puisqu'il serait détourné de sa finalité qui est de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé.
39. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [Z] [J] de sa demande en paiement de la somme de 6 276,90 euros à titre d'indemnité de congé payé de quatre semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail, en ce qu'il dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Mazagran service aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mazagran service et la condamne à payer à Mme [Z] [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.