Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 septembre 2024, 23-11.860, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 septembre 2024, 23-11.860, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 23-11.860
- ECLI:FR:CCASS:2024:SO00950
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du mercredi 25 septembre 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, du 08 décembre 2022- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CL6
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 septembre 2024
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 950 FS-B
Pourvoi n° S 23-11.860
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 SEPTEMBRE 2024
La société SPB France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-11.860 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [K], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société SPB France, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [K], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 décembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 2 février 2022, pourvoi n° 19-23.345), M. [K] a été engagé le 5 janvier 2004 par la société Tetra. A la suite de l'absorption de cette société par la société Spectrum Brands France (la société SPB France), il a signé avec cette dernière un contrat de travail lui confiant les fonctions de directeur général en charge de la vente, du marketing et de la logistique, avec un statut de cadre dirigeant.
2. Licencié pour faute grave le 20 septembre 2015, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société SPB France fait grief à l'arrêt de dire nul le licenciement et de la condamner, en conséquence, à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, correspondant à la mise à pied conservatoire, au 13ème mois et à un bonus sur objectifs, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour perte de chance du bénéfice d'actions gratuites et de la condamner à remettre au salarié une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire ainsi qu'à lui payer une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, alors :
« 1°/ que pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, la cour d'appel a tout d'abord rappelé d'une part, qu'il résultait de l'article L. 1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et d'autre part, que le licenciement reposant, même partiellement, sur un motif lié à l'exercice non abusif de la liberté d'expression, est nul ; qu'ensuite, elle a successivement relevé que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en se déterminant de la sorte, au prix d'une confusion entre les exigences des dispositions de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 1121-1 du code du travail et de la limitation issue de l'abus, dont elle a fait, pour chacune, une application partielle et sans qu'il soit possible de déterminer selon quelle logique et quel fondement elle a statué, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé les articles 12 et 455 du code de procédure civile ;
2°/ que selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; qu'en l'espèce, après avoir pourtant visé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel s'est bornée, pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, à relever que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en se déterminant de la sorte, sans vérifier, ainsi que la commande la Cour de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'abord, si la mesure prise par l'employeur était prévue par la loi, ensuite, si elle était légitime et enfin, si elle était nécessaire dans une société démocratique au regard des restrictions expressément visées par l'article 10, § 2, de la Convention, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°/ qu'en application de l'article L. 1121-1 du code du travail, l'employeur peut apporter des restrictions à la liberté d'expression lorsque celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, la cour d'appel s'est bornée à relever que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher et ainsi que l'y invitait l'employeur, si la sanction de la diffusion, par un salarié cadre dirigeant disposant d'un niveau élevé de responsabilités, depuis sa messagerie professionnelle, d'images et propos au contenu stigmatisant et attentatoire à la dignité de la femme à l'adresse d'au moins un de ses subordonnés, n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché et notamment, si un employeur n'est pas tenu de sanctionner tout propos ou échange attentatoire à la dignité de la femme et de prévenir les agissements sexistes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
4°/ qu'en se bornant, pour se déterminer comme elle l'a fait, à considérer que le salarié n'avait pas usé de sa liberté d'expression de façon abusive, après avoir pourtant visé les dispositions de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 1121-1 du code du travail, lesquels ne limitent aucunement le contrôle des atteintes à la liberté d'expression à celui de l'abus, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 1121-1 du code du travail ;
5°/ que l'usage abusif de la liberté d'expression est nécessairement caractérisé lorsqu'il est attentatoire à la dignité humaine et notamment à celle de la femme ; qu'en retenant que les messages diffusés par le salarié à partir de sa messagerie professionnelle ne comportaient aucun contenu excessif, cependant qu'étaient notamment en cause des propos et images stigmatisants et attentatoires à la dignité de la femme qu'il appartenait nécessairement à l'employeur de sanctionner, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
6°/ qu'en se bornant à affirmer que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, sans rechercher si la sanction de l'envoi de mails comportant des images attentatoires à la dignité de la femme, ne constituait pas une obligation pour l'employeur tenu d'assurer la protection de ses salariées contre les discriminations, le harcèlement sexuel, les agissements sexistes et plus particulièrement d'assurer la prévention de tels agissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
7°/ qu'en se bornant à affirmer que les mails ne comportaient aucun contenu excessif sans à aucun moment tenir compte de la position du salarié dans la hiérarchie lequel était cadre dirigeant, de ce que les mails ont été notamment adressés à un de ses subordonnés et à des tiers de l'entreprise depuis sa messagerie professionnelle, du constat, dénoncé à l'unanimité, du sexisme ordinaire subi par les femmes dans le monde du travail et de son rôle dans les discriminations, harcèlement et violences qu'elles subissent, des luttes entreprises par les associations et les pouvoirs publics pour qu'il soit mis fin aux propos et agissements stigmatisants à l'endroit des femmes et attentatoires à leur dignité et plus généralement, de la nécessité de protéger la dignité de la femme, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
8°/ qu'en retenant, pour se déterminer comme elle l'a fait, qu'étaient seulement en cause des blagues et commentaires humoristiques vulgaires et graveleux, cependant que la photo du radar comme le calendrier véhiculaient une image stéréotypée, dégradante et attentatoire à la dignité de la femme, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
9°/ qu'en affirmant encore que les mails adressés par le salarié avait un caractère privé alors qu'ils avaient été envoyés depuis la messagerie professionnelle et notamment, à un des salariés de l'entreprise et à des tiers à celle-ci, de sorte qu'ils étaient nécessairement rattachables à la vie professionnelle, la cour d'appel a derechef violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus. »
Réponse de la Cour
4. D'abord, il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L'employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.
5. Ensuite, il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
6. Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
7. En l'espèce, l'arrêt constate que le salarié a été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d'une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l'activité professionnelle.
8. Cette conversation de nature privée n'étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d'être justifié et est atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l'intimité de la vie privée du salarié.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a dit le licenciement nul.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SPB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SPB France et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:SO00950
SOC.
CL6
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 septembre 2024
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 950 FS-B
Pourvoi n° S 23-11.860
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 SEPTEMBRE 2024
La société SPB France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-11.860 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [K], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société SPB France, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [K], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 décembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 2 février 2022, pourvoi n° 19-23.345), M. [K] a été engagé le 5 janvier 2004 par la société Tetra. A la suite de l'absorption de cette société par la société Spectrum Brands France (la société SPB France), il a signé avec cette dernière un contrat de travail lui confiant les fonctions de directeur général en charge de la vente, du marketing et de la logistique, avec un statut de cadre dirigeant.
2. Licencié pour faute grave le 20 septembre 2015, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société SPB France fait grief à l'arrêt de dire nul le licenciement et de la condamner, en conséquence, à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, de rappel de salaire, outre les congés payés afférents, correspondant à la mise à pied conservatoire, au 13ème mois et à un bonus sur objectifs, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour perte de chance du bénéfice d'actions gratuites et de la condamner à remettre au salarié une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire ainsi qu'à lui payer une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, alors :
« 1°/ que pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, la cour d'appel a tout d'abord rappelé d'une part, qu'il résultait de l'article L. 1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et d'autre part, que le licenciement reposant, même partiellement, sur un motif lié à l'exercice non abusif de la liberté d'expression, est nul ; qu'ensuite, elle a successivement relevé que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en se déterminant de la sorte, au prix d'une confusion entre les exigences des dispositions de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 1121-1 du code du travail et de la limitation issue de l'abus, dont elle a fait, pour chacune, une application partielle et sans qu'il soit possible de déterminer selon quelle logique et quel fondement elle a statué, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé les articles 12 et 455 du code de procédure civile ;
2°/ que selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; qu'en l'espèce, après avoir pourtant visé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel s'est bornée, pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, à relever que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en se déterminant de la sorte, sans vérifier, ainsi que la commande la Cour de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'abord, si la mesure prise par l'employeur était prévue par la loi, ensuite, si elle était légitime et enfin, si elle était nécessaire dans une société démocratique au regard des restrictions expressément visées par l'article 10, § 2, de la Convention, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°/ qu'en application de l'article L. 1121-1 du code du travail, l'employeur peut apporter des restrictions à la liberté d'expression lorsque celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement nul comme attentatoire à la liberté d'expression, la cour d'appel s'est bornée à relever que les mails avaient un caractère privé, qu'aucun fait n'était pénalement répréhensible, que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, diffamatoire ou injurieux, que les mails n'apparaissaient pas stigmatisants et ne ciblaient aucune personne, qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement sexuel, y compris en considération de la prévention de ceux-ci et que par ailleurs, l'interdiction de blagues et commentaires du seul fait de leur connotation sexuelle serait regardée comme portant en elle-même une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du salarié ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher et ainsi que l'y invitait l'employeur, si la sanction de la diffusion, par un salarié cadre dirigeant disposant d'un niveau élevé de responsabilités, depuis sa messagerie professionnelle, d'images et propos au contenu stigmatisant et attentatoire à la dignité de la femme à l'adresse d'au moins un de ses subordonnés, n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché et notamment, si un employeur n'est pas tenu de sanctionner tout propos ou échange attentatoire à la dignité de la femme et de prévenir les agissements sexistes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
4°/ qu'en se bornant, pour se déterminer comme elle l'a fait, à considérer que le salarié n'avait pas usé de sa liberté d'expression de façon abusive, après avoir pourtant visé les dispositions de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 1121-1 du code du travail, lesquels ne limitent aucunement le contrôle des atteintes à la liberté d'expression à celui de l'abus, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 1121-1 du code du travail ;
5°/ que l'usage abusif de la liberté d'expression est nécessairement caractérisé lorsqu'il est attentatoire à la dignité humaine et notamment à celle de la femme ; qu'en retenant que les messages diffusés par le salarié à partir de sa messagerie professionnelle ne comportaient aucun contenu excessif, cependant qu'étaient notamment en cause des propos et images stigmatisants et attentatoires à la dignité de la femme qu'il appartenait nécessairement à l'employeur de sanctionner, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
6°/ qu'en se bornant à affirmer que les mails ne comportaient aucun contenu excessif, sans rechercher si la sanction de l'envoi de mails comportant des images attentatoires à la dignité de la femme, ne constituait pas une obligation pour l'employeur tenu d'assurer la protection de ses salariées contre les discriminations, le harcèlement sexuel, les agissements sexistes et plus particulièrement d'assurer la prévention de tels agissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
7°/ qu'en se bornant à affirmer que les mails ne comportaient aucun contenu excessif sans à aucun moment tenir compte de la position du salarié dans la hiérarchie lequel était cadre dirigeant, de ce que les mails ont été notamment adressés à un de ses subordonnés et à des tiers de l'entreprise depuis sa messagerie professionnelle, du constat, dénoncé à l'unanimité, du sexisme ordinaire subi par les femmes dans le monde du travail et de son rôle dans les discriminations, harcèlement et violences qu'elles subissent, des luttes entreprises par les associations et les pouvoirs publics pour qu'il soit mis fin aux propos et agissements stigmatisants à l'endroit des femmes et attentatoires à leur dignité et plus généralement, de la nécessité de protéger la dignité de la femme, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
8°/ qu'en retenant, pour se déterminer comme elle l'a fait, qu'étaient seulement en cause des blagues et commentaires humoristiques vulgaires et graveleux, cependant que la photo du radar comme le calendrier véhiculaient une image stéréotypée, dégradante et attentatoire à la dignité de la femme, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus ;
9°/ qu'en affirmant encore que les mails adressés par le salarié avait un caractère privé alors qu'ils avaient été envoyés depuis la messagerie professionnelle et notamment, à un des salariés de l'entreprise et à des tiers à celle-ci, de sorte qu'ils étaient nécessairement rattachables à la vie professionnelle, la cour d'appel a derechef violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1121-1 du code du travail et le principe selon lequel le salarié jouit dans l'entreprise de sa liberté d'expression dans la limite de l'abus. »
Réponse de la Cour
4. D'abord, il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L'employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.
5. Ensuite, il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
6. Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
7. En l'espèce, l'arrêt constate que le salarié a été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d'une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l'activité professionnelle.
8. Cette conversation de nature privée n'étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d'être justifié et est atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l'intimité de la vie privée du salarié.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a dit le licenciement nul.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SPB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SPB France et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt-quatre.