Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 septembre 2024, 23-13.931, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 septembre 2024




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 835 FS-B

Pourvoi n° T 23-13.931




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 SEPTEMBRE 2024

M. [D] [P], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-13.931 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2023 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Spie nucléaire, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ au syndicat CFE-CGC BTP, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [P], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Spie nucléaire, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 juin 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 janvier 2023), M. [P] a été engagé en qualité d'agent technique à compter du 5 mars 1990 par la société parisienne pour l'industrie électrique Trindel, aux droits de laquelle vient la société Spie nucléaire.

2. Le 19 décembre 2016, le salarié a sollicité auprès de son employeur le transfert de quatre jours de RTT vers le dispositif de plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) existant au niveau de la branche du BTP. La société a refusé de faire droit à la demande du salarié.

3. Le 25 avril 2019, le salarié et le syndicat CFE-CGC BTP ont saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de ces quatre jours de RTT.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire irrecevables comme prescrites les demandes pour exécution déloyale du contrat de travail et pour préjudice moral

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait ce grief à l'arrêt, alors « que sur les demandes principales de dommages-intérêts, pour décider que ces demandes étaient prescrites, la cour d'appel a retenu que ''les demandes principales aux fins d'exécution de l'obligation et de paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour préjudice moral sont relatives à un plan d'épargne pour la retraite collectif en application d'un accord collectif de la branche BTP auquel le salarié estime pouvoir adhérer directement'', pour en déduire que les demandes principales portaient sur l'exécution du contrat de travail du salarié, et partant, relevaient de la prescription biennale prévue à l'article L. 1471-1 du code du travail ; qu'en se prononçant en ce sens, tandis que les demandes du salarié de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour préjudice moral résultant de la perte de chance d'abondement du PERCO et de placement des quatre jours de RTT sur les fonds, étaient liées par un lien de dépendance nécessaire à la demande principale du salarié tendant à obtenir le transfert de quatre jours de RTT dans le PERCO de la branche BTP, et portant sur les droits attachés à une créance de nature salariale, non soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail, la cour d'appel a violé, par fausse application l'article L. 1471-1 du code du travail et par refus d'application, l'article L. 3245-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

7. La cour d'appel a constaté que les demandes principales aux fins d'exécution de l'obligation et de paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et pour préjudice moral sont relatives à un plan d'épargne pour la retraite collectif en application d'un accord collectif de la branche BTP auquel le salarié estime pouvoir adhérer directement et qu'il considère, alors que les sources d'alimentation d'un tel plan peuvent être de nature très différentes, devoir être alimenté en raison d'une demande formalisée à cette fin auprès de l'employeur, en jours de RTT non pris avant la fin de la période de référence et non indemnisables sauf à établir que l'absence de prise de repos est imputable à l'employeur.

8. La cour d'appel en a exactement déduit que cette action, qui ne constituait pas une action en paiement ou en répétition du salaire et portait sur l'exécution du contrat de travail, se prescrivait par deux ans.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite la demande relative au transfert de quatre jours de RTT sur le plan d'épargne pour la retraite collectif

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait ce grief à l'arrêt, alors « que, sur la demande principale relative à la demande de transfert des quatre jours de RTT, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action relative à l'utilisation des jours de RTT, acquis en contrepartie du travail et qui constituent une rémunération, est soumise à l'article L. 3245-1 du code du travail ; qu'en l'espèce, pour décider que la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail n'avait pas vocation à s'appliquer et juger que l'action du salarié était irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a retenu que ''l'action du salarié se distingue d'une action relative à la monétisation de jours épargnés sur un compte épargne-temps et ne porte pas sur l'utilisation de droits affectés sur un compte épargne-temps, acquis en contrepartie du travail'' ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'action du salarié portait sur le souhait exprimé par ce dernier d'utiliser quatre jours de RTT, obtenus en contrepartie de son travail et pouvant par ailleurs être monétisés, en vue d'abonder le compte épargne-retraite collectif de branche, de sorte qu'elle portait sur l'utilisation de droits attachés à une créance de nature salariale, la cour d'appel a violé par refus d'application les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, et par fausse application, l'article L. 1471-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1471-1, L. 3245-1 et L. 3334-8, alinéa 2, du code du travail :

11. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Aux termes du second, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

12. Selon le dernier de ces textes en l'absence de compte épargne-temps dans l'entreprise, le salarié peut, dans la limite de dix jours par an, verser les sommes correspondant à des jours de repos non pris sur le plan d'épargne pour la retraite collectif.

13. L'indemnité pour jours de RTT correspond au montant de la rémunération légalement due en raison de l'exécution d'un travail.

14. Pour déclarer irrecevable la demande relative au transfert de quatre jours de RTT sur le PERCO, l'arrêt retient que cette action ne constitue pas une action en paiement ou en répétition du salaire et porte sur l'exécution du contrat de travail et se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Il ajoute que cette action était prescrite dès lors que le salarié a sollicité cette alimentation du PERCO par un courriel du 19 décembre 2016 et n'a saisi la juridiction prud'homale que le 25 avril 2019.

15. En statuant ainsi, alors que la demande relative au versement sur le plan d'épargne pour la retraite collectif de sommes correspondant à quatre jours de RTT a une nature salariale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite la demande relative au paiement d'une indemnité compensatrice de quatre jours de RTT perdus

Enoncé du moyen

16. Le salarié fait ce grief à l'arrêt, alors « que sur la demande subsidiaire de condamnation à une indemnité, en application de l'article L. 3245-1 du code du travail, le délai de prescription applicable à l'action portant sur la monétisation de jours de RTT est de trois ans ; qu'en énonçant, pour débouter le salarié de sa demande subsidiaire en paiement des sommes de 636,16 euros et de 63,61 euros correspondant à l'indemnité compensatrice au titre des quatre jours de RTT perdus et les congés payés afférents, que ''L'employeur soulève à juste titre la prescription de cette demande subsidiaire puisque celle-ci ne se distingue pas par son fondement des demandes principales et est dès lors prescrite en application de l'article L. 1471-1 du code du travail'', quand l'action du salarié tendant au paiement, à titre subsidiaire, des sommes de 636,16 euros et de 63,61 euros correspondant à l'indemnité compensatrice au titre des quatre jours de RTT perdus et les congés payés afférents, visait une créance salariale et relevait nécessairement des dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, peu important le fondement de la demande principale, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du code du travail :

17. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Aux termes du second, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

18. Pour déclarer irrecevable la demande relative au paiement d'une indemnité compensatrice au titre des quatre jours de RTT perdus, l'arrêt retient que cette action ne constitue pas une action en paiement ou en répétition du salaire mais porte sur l'exécution du contrat de travail et se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Il ajoute que cette action était prescrite dès lors que le salarié a sollicité cette alimentation du PERCO par un courriel du 19 décembre 2016 et n'a saisi la juridiction prud'homale que le 25 avril 2019.

19. En statuant ainsi, alors que l'indemnité pour jours de RTT non pris, qui correspond au montant de la rémunération légalement due en raison de l'exécution d'un travail, a une nature salariale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrites les demandes en transfert de quatre jours de RTT sur la plan épargne pour la retraite collectif et en paiement d'une indemnité compensatrice de quatre jours de RTT perdus de M. [P], l'arrêt rendu le 26 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Spie nucléaire aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Spie nucléaire et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:SO00835
Retourner en haut de la page