Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 juin 2024, 22-10.709, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 juin 2024




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 682 F-D

Pourvoi n° V 22-10.709

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15/02/2023.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 JUIN 2024

La société Wavestone, société anonyme à directoire, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Solucom, a formé le pourvoi n° V 22-10.709 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [X] [W], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Wavestone, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [W], après débats en l'audience publique du 28 mai 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 décembre 2021), M. [W] a été engagé, en qualité de responsable des ressources humaines et du recrutement, le 1er octobre 2009 par la société New Arch, aux droits de laquelle se trouve la société Wavestone.

2. La société New Arch a été rachetée, en 2010, par la société Solucom, cabinet de conseil en management et en système d'information. A l'occasion de ce rachat, M. [W] a conclu avec la société Solucom, désormais dénommée Wavestone (la société), un nouveau contrat, en qualité de chargé de recrutement senior, prévoyant une clause d'exclusivité.

3. Le 18 décembre 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement d'une prime de vacances et de frais de déplacement.

4. Il a ensuite contesté devant cette juridiction son licenciement pour faute lourde, notifié par lettre du 26 mai 2015.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes indemnitaires et de dire le licenciement justifié par une faute grave, alors :

« 1°/ la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; qu'au cas présent, il est constant aux débats que la société Solucom, désormais dénommée Wavestone, a engagé le salarié en qualité de chargé de recrutement, niveau sénior, par contrat à durée indéterminée du 1er avril 2010, comportant clause d'exclusivité et des obligations de confidentialité et de respect du secret professionnel ; que la société exposante l'a licencié pour faute lourde par courrier du 26 mai 2015 ; que la cour d'appel a constaté que les fautes reprochées à M. [W] dans la lettre de licenciement sont établies" ; que pour cela, la cour d'appel a premièrement constaté qu'au cours de la relation de travail, il est établi par les nombreux courriels versés aux débats que M. [W] a travaillé pour le compte d'une société tierce ¿ la société AFG ¿ pour laquelle il procédait à du recrutement", que l'implication de M. [W] dans le recrutement des salariés d'AFG était fort [?] et de longue durée puisqu'elle remontait au moins à février 2012", que les profils des salariés appelés à exercer des fonctions opérationnelles au sein des deux sociétés étaient [?] très proches" dès lors que la société exposante exerçait une activité de conseil en management et en système d'information" tandis que la société AFG exerçait une activité de conseil en système logiciels informatiques" ; que deuxièmement, la cour d'appel a constaté que l'organisation de débauchage de la société Solucom est elle aussi démontrée" et que de même sont établies les tentatives de débauchages" au profit d'AFG ; que troisièmement, la cour d'appel a constaté qu'également est démontré le dénigrement de la société Solucom par M. [W]", lequel présentait son employeur comme une boite de daube prétentieuse", la SSII des trous du cul qui croient qu'ils n'en sont pas. Si si" et indiquait j'en ai vraiment plein le c? de ces cons immatures" dans l'attente de son exfiltration de Solucom" ; que la cour d'appel a constaté, quatrièmement, qu' est démontré le fait que M. [W] utilisait les informations et le système d'information de la société Solucom mis à sa disposition dans le cadre des activités de recrutement qui lui étaient confiées" et qu'il avait transféré à la société AFG des documents internes et des informations confidentielles telles que les données salariales des collaborateurs de son employeur affectés au service architecture des systèmes d'information" ; qu'enfin et cinquièmement, la cour d'appel a constaté que le salarié a présenté à la société AFG, courant juillet 2013, des candidatures proposées par la société Rosewoodpartners initialement destinées à la société Solucom" ; qu'en jugeant néanmoins que les agissements du salarié étaient constitutifs d'une faute grave et non d'une faute lourde, aux motifs que s'agissant de l'intention de nuire, élément constitutif d'une faute lourde, s'il est incontestable que les fautes de M. [W] ont de fait pu nuire à la société, il demeure que le salarié poursuivait un objectif personnel", ayant l'intention de greffer [sa] future boîte de conseil" sur la société AFG, cependant qu'il résultait de ses propres constatations factuelles que l'intention de nuire du salarié était caractérisée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations et a violé l'article L. 1235-1 du code du travail ;

2° / que la recherche par le salarié d'un profit personnel n'est pas exclusive d'une intention de nuire à son employeur ; que la faute lourde du salarié est caractérisée lorsque celui-ci a utilisé ses fonctions au sein de l'entreprise pour faire prévaloir, par des agissements fautifs, son intérêt personnel au détriment de celui de son employeur ; qu'en écartant l'existence d'une faute lourde commise par le salarié aux motifs que s'agissant de l'intention de nuire, élément constitutif d'une faute lourde, s'il est incontestable que les fautes de M. [W] ont de fait pu nuire à la société, il demeure que le salarié poursuivait un objectif personnel", en ce qu'il avait l'intention de greffer [sa] future boîte de conseil" sur la société AFG, cependant qu'elle avait expressément constaté que, durant la majeure partie de la relation de travail qui l'avait lié à la société exposante, le salarié avait exercé une activité déloyale au profit d'une société concurrente, avait participé au débauchage du personnel de son employeur au profit de cette société concurrente, avait dénigré et insulté son employeur, avait utilisé les moyens et les informations confidentielles mis à sa disposition par son employeur et détourné les candidatures destinées à son employeur au profit de cette société concurrente, en sorte que l'intention de nuire était caractérisée nonobstant la recherche par le salarié d'un profit personnel futur, la cour d'appel a de plus fort violé l'article L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-1 du code du travail :

6. La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

7. Pour dire que le licenciement du salarié repose sur une faute grave et non sur une faute lourde, l'arrêt retient, d'une part, que le salarié a, malgré la clause d'exclusivité prévue par son contrat de travail, travaillé pour le compte d'une société tierce, la société AFG, pour laquelle il procédait au recrutement de salariés dont les profils étaient très proches de ceux appelés à travailler pour son employeur, d'autre part, que le salarié a participé au débauchage de plusieurs salariés de son employeur ou a tenté d'en débaucher d'autres, en outre, que le salarié a dénigré son employeur et, ensuite, qu'il a utilisé les informations et le système d'information mis à sa disposition par son employeur au bénéfice de la société AFG ou a présenté à cette dernière des candidatures initialement destinées à son employeur.

8. L'arrêt en déduit que, s'il est incontestable que les fautes du salarié ont pu nuire à la société, celui-ci poursuivait un objectif personnel de sorte que la faute lourde ne peut pas être retenue faute d'intention de nuire, laquelle ne peut se déduire des seules nuisances causées à l'entreprise par le comportement fautif du salarié.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait travaillé pour une société tierce, au profit de laquelle il avait recruté des salariés en utilisant les moyens et informations fournis par son employeur, débauché des salariés employés par ce dernier et détourné des candidatures adressées à son employeur, en sorte que l'intention de nuire était caractérisée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement justifié par une faute grave et déboute la société Wavestone de ses demandes indemnitaires, l'arrêt rendu le 15 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne M. [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:SO00682
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