Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 mai 2024, 22-17.036, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mai 2024




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 511 FS-B

Pourvoi n° X 22-17.036




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MAI 2024

La société France Air, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 22-17.036 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à M. [R] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société France Air, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [P], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, Palle, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2022), M. [P] a été engagé par la société France Air, en qualité d'attaché technico-commercial sédentaire comptoir, le 3 septembre 2014.

2. Le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence d'une durée d'un an en France concernant le négoce, la distribution ou la vente de tous produits se rapportant à la distribution, la diffusion, la filtration, la ventilation, l'isolation de tous conduits d'air, la protection incendie, au traitement de l'air, et en général à tous matériels se rapportant à l'aéraulique dans le bâtiment.

3. Le salarié a démissionné le 16 mars 2018.

4. L'employeur a saisi la juridiction prud'homale afin de constater la violation par le salarié de la clause de non-concurrence.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de juger nulle la clause de non-concurrence et de débouter l'employeur de ses demandes de paiement de la clause pénale et de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger que la clause de non-concurrence est nulle et de le débouter de ses demandes de paiement de la clause pénale et de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence, alors :

« 1°/ que pour être valide, une clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié, et comporter l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière ; que la seule extension du champ d'application géographique de la clause à l'ensemble du territoire français ne rend pas en soi impossible l'exercice par le salarié d'une activité professionnelle, de sorte que pour retenir une atteinte excessive au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle, les juges du fond doivent constater que, du fait de l'interdiction de concurrence, le salarié a été empêché d'exercer toute activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle ; qu'en l'espèce, pour caractériser une atteinte excessive à la liberté de travailler du salarié, la cour d'appel s'est bornée à relever que "si cette clause de non-concurrence est limitée dans le temps à un an, elle s'étend dans l'espace à l'ensemble de la France alors qu'il n'est pas démontré que l'activité commerciale de M. [P] s'exerçait sur la France entière, celui-ci étant au contraire rattaché à la région parisienne", que "le caractère concurrentiel et mouvant de l'activité, invoqué par l'employeur, ne justifie pas une telle restriction à la liberté de travail de M. [P]" et que "cette limitation du droit de travail est excessive au regard de sa qualification de technico-commerciale et de la zone géographique dans laquelle il travaillait" ; qu'en limitant ainsi le contrôle de proportionnalité à une appréciation in abstracto du seul champ géographique de l'interdiction de concurrence, sans caractériser qu'en raison de l'étendue géographique de la clause de non-concurrence, qui englobait l'ensemble de la France, le salarié se trouvait concrètement dans l'impossibilité d'exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que si une clause de non-concurrence encourt la nullité quand l'une des conditions de validité fait défaut, le juge a le pouvoir de simplement réduire l'étendue de l'interdiction posée par une clause satisfaisant l'ensemble des dites conditions mais jugée excessive ; que la clause peut alors recevoir application dans ses nouvelles limites, dans la mesure où elle est proportionnée à l'intérêt légitime de l'entreprise ; qu'en jugeant en l'espèce la clause de non-concurrence conclue entre les parties nulle en raison d'une atteinte excessive à la liberté de travailler de M. [P] du fait d'un champ d'application géographique trop vaste, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que l'interdiction de concurrence appliquée à la région parisienne était valable, correspondant à un risque réel de concurrence dans cette zone géographique précise, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et a violé ensemble les articles 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige et L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que le caractère concurrentiel et mouvant de l'activité, invoqué par l'employeur, ne justifie pas la restriction à la liberté de travail du salarié prévue par la clause de non-concurrence, excessive au regard de sa qualification de technico-commercial, et fait ainsi ressortir que cette clause, compte tenu des fonctions effectivement exercées par le salarié, n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise.

7. La cour d'appel, qui ne pouvait réduire le champ d'application de la clause de non-concurrence dès lors que seule sa nullité était invoquée par le salarié, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il fait grief
à l'arrêt de débouter l'employeur de sa demande au titre du remboursement de l'indemnité de non-concurrence perçue en juillet 2018

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre du remboursement de l'indemnité de non-concurrence perçue en juillet 2018, alors « que l'employeur peut obtenir la restitution des sommes versées au titre d'une clause de non-concurrence nulle lorsque cette clause n'a pas été respectée par le salarié ; que pour rejeter en l'espèce la demande de remboursement des sommes perçues par M. [P] à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a retenu que celle-ci était nulle ; qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant à écarter cette demande de la société France Air, sans rechercher si le salarié avait respecté son engagement de non-concurrence sur la période litigieuse et s'il n'avait pas au contraire travaillé pour le compte de la société concurrente Énergie et Transfert Thermique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et l'article L. 1121-1 du code du travail :

9. Si un contrat nul ne peut produire aucun effet, les parties, au cas où il a été exécuté, doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient auparavant, compte tenu des prestations de chacune d'elles et de l'avantage qu'elles en ont retiré.

10. Il s'ensuit que lorsqu'une clause de non-concurrence est annulée, le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite peut prétendre au paiement d'une indemnité en réparation du fait que l'employeur lui a imposé une clause nulle portant atteinte à sa liberté d'exercer une activité professionnelle.

11. Il en résulte que l'employeur n'est pas fondé à solliciter la restitution des sommes versées au titre de la contrepartie financière de l'obligation qui a été respectée.

12. Toutefois, l'employeur qui prouve que le salarié a violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s'est effectivement appliquée, est fondé à solliciter le remboursement de la contrepartie financière indûment versée à compter de la date à laquelle la violation est établie.

13. Pour infirmer le jugement condamnant le salarié à payer une somme au titre du remboursement de l'indemnité de non-concurrence perçue en juillet 2018, l'arrêt retient que la clause de non-concurrence est nulle et que l'employeur est donc mal fondé en ses demandes d'indemnisation pour violation de cette clause.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le salarié avait violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s'est effectivement appliquée avant que la nullité n'en soit judiciairement constatée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation sur la troisième branche qui ne formule aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de débouter l'employeur de ses demandes tendant à condamner le salarié au paiement de sommes au titre du paiement de la clause pénale et à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence ne peut s'étendre à ces dispositions de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement condamnant M. [P] au paiement de la somme de 1 560,43 euros brut au titre du remboursement de l'indemnité de non-concurrence perçue en juillet 2018, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:SO00511
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