Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 mars 2024, 22-24.812, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 mars 2024




Cassation partielle


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 124 F-D

Pourvoi n° Z 22-24.812


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2024

1°/ M. [T] [O], domicilié [Adresse 1] (Suisse),

2°/ Mme [K] [V], domiciliée [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Z 22-24.812 contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2022 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige les opposant à la caisse régionale du Crédit agricole mutuel des Savoie, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [O], de Mme [V], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale du crédit agricole mutuel des Savoie, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 27 octobre 2022), M. [O] et Mme [V] (les emprunteurs) ont souscrit en 2000 un emprunt immobilier auprès de la caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Savoie (la banque) libellé en franc suisse et remboursable dans cette devise, dont la banque a prononcé la déchéance du terme courant 2015 et 2016.

2. Les emprunteurs ont assigné la banque en annulation de la déchéance du terme et en responsabilité, sur le fondement d'un manquement de celle-ci à ses devoirs d'information et de conseil à l'occasion de la souscription du prêt, en ce qu'il comportait une clause de remboursement mettant à leur charge un risque de change.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation de la déchéance du terme et de la demande d'indemnisation subséquente, et de rejeter leur demande subsidiaire de dommages et intérêts fondée sur le prononcé de la déchéance du terme, alors « que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultât des éléments de fait et de droit débattus devant elle que si le prêt était remboursable en francs suisses, devise dans laquelle il avait été consenti, le tableau d'amortissement était établi en francs français, devise du compte bancaire depuis lequel était opéré le paiement des échéances, de sorte qu'une opération de change, sur les risques de laquelle le contrat ne contenait aucun avertissement, devait être réalisée, la cour d'appel qui s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause de remboursement n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

5. Interprétant la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l'appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08)

6.Pour rejeter les demandes des emprunteurs, l'arrêt retient que c'est sans commettre d'abus que la banque a pu prononcer la déchéance du terme dès lors que l'arriéré, constitué depuis le mois de juillet 2013, n'était pas apuré et que si Mme [K] [V] travaillait à l'étranger au moment de l'envoi de l'avis de déchéance du terme, il lui appartenait soit de communiquer ses nouvelles adresses à la banque, soit de faire en sorte que son courrier puisse lui parvenir.

7. En statuant ainsi, sans examiner d'office si la clause de remboursement en franc suisse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors qu'elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite la demande présentée à titre très subsidiaire de dommages et intérêts fondée sur le remboursement en devise du prêt, alors « que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement ; qu'en prenant la date du contrat comme point de départ de la prescription de l'action des emprunteurs en responsabilité de la banque, qu'elle a déclarée irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

9. Il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.

10. Pour déclarer irrecevable la demande de condamnation de la banque à des dommages et intérêts fondée sur le remboursement en franc suisse du prêt, l'arrêt retient la date du contrat comme point de départ de la prescription.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [O] et Mme [V] de leur demande d'annulation de la déchéance du terme et de la demande d'indemnisation subséquente, de leur demande subsidiaire de dommages et intérêts fondée sur le prononcé de la déchéance du terme et dit irrecevable comme prescrite la demande de dommages et intérêts fondée sur le remboursement en devise du prêt, l'arrêt rendu le 27 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne la caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Savoie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Savoie et la condamne à payer à M. [O] et Mme [V] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100124
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