Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2024, 22-11.708, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2024, 22-11.708, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 22-11.708
- ECLI:FR:CCASS:2024:SO00305
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle partiellement sans renvoi
Audience publique du mercredi 13 mars 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Bourges, du 10 décembre 2021- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2024
Cassation partielle partiellement sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 305 FS-B
Pourvoi n° F 22-11.708
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024
1°/ La société Calibracier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ M. [G] [L], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Calibracier,
3°/ la société BMA, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [K] [F], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Calibracier,
ont formé le pourvoi n° F 22-11.708 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [B] [Z], domicilié chez M. [V] [Z], [Adresse 4],
2°/ à l'AGS GEA de [Localité 5] UNEDIC délégation, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société Calibracier, de M. [L], ès qualités, de la société BMA, ès qualités, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [Z], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Rouchayrole, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 10 décembre 2021), M. [Z] a été engagé en qualité d'assistant commercial export par la société Calibracier (la société) à compter du 6 septembre 2004. Le 1er janvier 2014, il a été promu au poste de directeur général adjoint.
2. Le 6 décembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
3. Il a été licencié le 21 janvier 2019.
4. Le 14 décembre 2020, la société a été placée en redressement judiciaire, la société BMA étant désignée en qualité d'administratrice judiciaire et M. [L] en qualité de mandataire judiciaire.
Examen des moyens
Sur les deuxième et sixième moyens
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de fixer une créance à inscrire au passif du redressement judiciaire de la société d'un montant de 15 250 euros à titre de rappel de primes, outre 4 406,20 euros au titre des congés payés afférents, alors « qu'en fixant au passif de la société une créance de 4 406,20 euros au titre des congés payés afférents au rappel de primes, après avoir retenu, dans les motifs de l'arrêt, que cette créance devait être fixée à la somme de 1 525 euros, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Sous le couvert d'un grief de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à dénoncer une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré l'arrêt et dont la rectification sera ci-après ordonnée.
8. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de fixer au passif du redressement judiciaire de la société une certaine somme au titre des contreparties obligatoires en repos, alors « que les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires, peu important que le salarié n'ait pas effectivement bénéficié de ce repos ; que la cour d'appel qui, pour imputer sur le contingent annuel d'heures supplémentaires de M. [Z] les quatre premières heures supplémentaires hebdomadaires qui pouvaient lui ouvrir droit à un repos compensateur, s'est fondée sur la circonstance inopérante qu'il n'avait pas été en mesure de bénéficier de ce repos compensateur, a violé les articles L. 3121-30 du code du travail et 6.3 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie."
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 3121-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016 et l'article L. 3121-30, alinéa 3, du code du travail, dans sa rédaction issue de cette loi, les heures supplémentaires donnant lieu ou ouvrant droit à un repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.
11. Il en résulte que seules les heures supplémentaires qui ont effectivement été intégralement compensées par la prise d'un repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.
12. Ayant retenu que le salarié n'avait pas été mis en mesure de bénéficier d'un repos compensateur équivalent aux quatre premières heures supplémentaires accomplies, la cour d'appel a exactement décidé que ces heures ne devaient pas être exclues du contingent annuel d'heures supplémentaires applicable.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour licenciement nul, alors « qu'en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la juridiction prud'homale ne peut, le cas échéant, après mise en cause des organes de la procédure, que constater l'existence d'une créance résultant d'un contrat de travail, antérieure au jugement d'ouverture et en fixer le montant au passif de la procédure collective ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que M. [Z] avait saisi la juridiction prud'homale le 6 décembre 2018, qu'il avait été licencié le 21 janvier 2019, que la société Calibracier avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 décembre 2020 et que les organes de la procédure étaient intervenus devant elle, a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes de 58 973,2 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, 5 897,32 euros au titre des congés payés sur rappel d'heures supplémentaires et 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, a méconnu le principe d'interdiction des poursuites et ainsi violé les articles L. 622-21 et L. 625-3 du code de commerce.»
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, la fin de non-recevoir tirée du principe de l'arrêt des poursuites individuelles consécutif à l'ouverture d'une procédure collective n'ayant pas été soulevée devant la cour d'appel.
16. Cependant, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, ce moyen, qui est de pur droit, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
17. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 622-22 et L. 625-3 du code du commerce :
18. Il résulte de ces textes que les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture d'une procédure collective sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance ou ceux-ci dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
19. L'arrêt condamne la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul.
20. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la société avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 décembre 2020, après la rupture du contrat de travail intervenue le 21 janvier 2019, la cour d'appel, qui devait se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci, a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
21. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, alors « que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en se fondant exclusivement, pour dire que M. [Z] restait en permanence à la disposition de son employeur durant ses temps de voyage et que ces temps constituaient bien du temps de travail effectif, sur la circonstance inopérante que les attestations fournies par le salarié mentionnaient que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs, qui pouvaient ainsi prendre son attache aussi bien quand il se trouvait à l'étranger que durant son temps de voyage, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016 et dans celle issue de cette loi :
22. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
23. Selon le second, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
24. Pour condamner la société au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, l'arrêt relève que les attestations produites par le salarié mentionnent toutes que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs qui pouvaient ainsi prendre son attache, aussi bien quand il se trouvait effectivement à l'étranger que durant son temps de voyage. L'arrêt en conclut que le salarié restait alors en permanence à la disposition de son employeur. Il retient que ce temps de voyage constituait un temps de travail effectif.
25. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que, pendant ses déplacements, le salarié devait se tenir à la disposition de l'employeur et qu'il se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond du chef de l'indemnité pour licenciement nul.
28. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le quatrième moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités, fixant à certaines sommes ses créances relatives aux contreparties obligatoires en repos, à l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, au complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, recevant l'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire en leur demande reconventionnelle en répétition des sommes versées au titre des journées de récupération du temps de travail (RTT) et condamnant le salarié au paiement d'une somme correspondant à celles indûment versées au titre des RTT, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
29. La cassation prononcée n'atteint pas les chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile et le déboutant lui-même de ce chef de prétention, justifiées par des dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Calibracier à payer à M. [Z] les sommes de 58 973,21 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 5 897,32 euros de congés payés afférents, de 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités, ordonne à la société Calibracier de remettre à M. [Z] des documents de fin de contrat conformes à ces dispositions, fixe les créances à inscrire au passif du redressement judiciaire de la société Calibracier aux sommes de 30 264,88 euros pour contreparties obligatoires en repos, de 30 186,72 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de 17 886,95 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, en ce qu'il reçoit la société Calibracier, M. [L], pris en qualité de mandataire judiciaire, et la société MBA prise en qualité d'administratrice judiciaire en leur demande reconventionnelle en répétition des sommes versées à M. [Z] au titre des journées de récupération du temps de travail (RTT) et condamne ce dernier au paiement de la somme de 7 196,84 euros correspondant aux sommes indûment versées au titre des RTT, l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de la condamnation à une indemnité pour licenciement nul ;
Fixe au passif de la société Calibracier la créance au titre de l'indemnité pour licenciement nul à la somme de 100 000 euros brut ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Dit que le dispositif de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bourges le 10 décembre 2021 est rectifié en ce sens que la créance de congés payés afférents au rappel de primes est fixée à la somme de 1 525 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:SO00305
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2024
Cassation partielle partiellement sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 305 FS-B
Pourvoi n° F 22-11.708
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024
1°/ La société Calibracier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ M. [G] [L], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Calibracier,
3°/ la société BMA, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [K] [F], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Calibracier,
ont formé le pourvoi n° F 22-11.708 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [B] [Z], domicilié chez M. [V] [Z], [Adresse 4],
2°/ à l'AGS GEA de [Localité 5] UNEDIC délégation, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société Calibracier, de M. [L], ès qualités, de la société BMA, ès qualités, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [Z], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Rouchayrole, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 10 décembre 2021), M. [Z] a été engagé en qualité d'assistant commercial export par la société Calibracier (la société) à compter du 6 septembre 2004. Le 1er janvier 2014, il a été promu au poste de directeur général adjoint.
2. Le 6 décembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
3. Il a été licencié le 21 janvier 2019.
4. Le 14 décembre 2020, la société a été placée en redressement judiciaire, la société BMA étant désignée en qualité d'administratrice judiciaire et M. [L] en qualité de mandataire judiciaire.
Examen des moyens
Sur les deuxième et sixième moyens
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de fixer une créance à inscrire au passif du redressement judiciaire de la société d'un montant de 15 250 euros à titre de rappel de primes, outre 4 406,20 euros au titre des congés payés afférents, alors « qu'en fixant au passif de la société une créance de 4 406,20 euros au titre des congés payés afférents au rappel de primes, après avoir retenu, dans les motifs de l'arrêt, que cette créance devait être fixée à la somme de 1 525 euros, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Sous le couvert d'un grief de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à dénoncer une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré l'arrêt et dont la rectification sera ci-après ordonnée.
8. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de fixer au passif du redressement judiciaire de la société une certaine somme au titre des contreparties obligatoires en repos, alors « que les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires, peu important que le salarié n'ait pas effectivement bénéficié de ce repos ; que la cour d'appel qui, pour imputer sur le contingent annuel d'heures supplémentaires de M. [Z] les quatre premières heures supplémentaires hebdomadaires qui pouvaient lui ouvrir droit à un repos compensateur, s'est fondée sur la circonstance inopérante qu'il n'avait pas été en mesure de bénéficier de ce repos compensateur, a violé les articles L. 3121-30 du code du travail et 6.3 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie."
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 3121-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016 et l'article L. 3121-30, alinéa 3, du code du travail, dans sa rédaction issue de cette loi, les heures supplémentaires donnant lieu ou ouvrant droit à un repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.
11. Il en résulte que seules les heures supplémentaires qui ont effectivement été intégralement compensées par la prise d'un repos compensateur équivalent ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.
12. Ayant retenu que le salarié n'avait pas été mis en mesure de bénéficier d'un repos compensateur équivalent aux quatre premières heures supplémentaires accomplies, la cour d'appel a exactement décidé que ces heures ne devaient pas être exclues du contingent annuel d'heures supplémentaires applicable.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour licenciement nul, alors « qu'en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la juridiction prud'homale ne peut, le cas échéant, après mise en cause des organes de la procédure, que constater l'existence d'une créance résultant d'un contrat de travail, antérieure au jugement d'ouverture et en fixer le montant au passif de la procédure collective ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que M. [Z] avait saisi la juridiction prud'homale le 6 décembre 2018, qu'il avait été licencié le 21 janvier 2019, que la société Calibracier avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 décembre 2020 et que les organes de la procédure étaient intervenus devant elle, a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes de 58 973,2 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, 5 897,32 euros au titre des congés payés sur rappel d'heures supplémentaires et 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, a méconnu le principe d'interdiction des poursuites et ainsi violé les articles L. 622-21 et L. 625-3 du code de commerce.»
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, la fin de non-recevoir tirée du principe de l'arrêt des poursuites individuelles consécutif à l'ouverture d'une procédure collective n'ayant pas été soulevée devant la cour d'appel.
16. Cependant, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, ce moyen, qui est de pur droit, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
17. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 622-22 et L. 625-3 du code du commerce :
18. Il résulte de ces textes que les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture d'une procédure collective sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance ou ceux-ci dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
19. L'arrêt condamne la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement nul.
20. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la société avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 14 décembre 2020, après la rupture du contrat de travail intervenue le 21 janvier 2019, la cour d'appel, qui devait se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci, a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
21. L'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire font grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, alors « que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en se fondant exclusivement, pour dire que M. [Z] restait en permanence à la disposition de son employeur durant ses temps de voyage et que ces temps constituaient bien du temps de travail effectif, sur la circonstance inopérante que les attestations fournies par le salarié mentionnaient que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs, qui pouvaient ainsi prendre son attache aussi bien quand il se trouvait à l'étranger que durant son temps de voyage, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016 et dans celle issue de cette loi :
22. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
23. Selon le second, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
24. Pour condamner la société au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, l'arrêt relève que les attestations produites par le salarié mentionnent toutes que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs qui pouvaient ainsi prendre son attache, aussi bien quand il se trouvait effectivement à l'étranger que durant son temps de voyage. L'arrêt en conclut que le salarié restait alors en permanence à la disposition de son employeur. Il retient que ce temps de voyage constituait un temps de travail effectif.
25. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que, pendant ses déplacements, le salarié devait se tenir à la disposition de l'employeur et qu'il se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond du chef de l'indemnité pour licenciement nul.
28. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le quatrième moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités, fixant à certaines sommes ses créances relatives aux contreparties obligatoires en repos, à l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, au complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, recevant l'employeur, le mandataire judiciaire et l'administratrice judiciaire en leur demande reconventionnelle en répétition des sommes versées au titre des journées de récupération du temps de travail (RTT) et condamnant le salarié au paiement d'une somme correspondant à celles indûment versées au titre des RTT, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
29. La cassation prononcée n'atteint pas les chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile et le déboutant lui-même de ce chef de prétention, justifiées par des dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Calibracier à payer à M. [Z] les sommes de 58 973,21 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 5 897,32 euros de congés payés afférents, de 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités, ordonne à la société Calibracier de remettre à M. [Z] des documents de fin de contrat conformes à ces dispositions, fixe les créances à inscrire au passif du redressement judiciaire de la société Calibracier aux sommes de 30 264,88 euros pour contreparties obligatoires en repos, de 30 186,72 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de 17 886,95 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, en ce qu'il reçoit la société Calibracier, M. [L], pris en qualité de mandataire judiciaire, et la société MBA prise en qualité d'administratrice judiciaire en leur demande reconventionnelle en répétition des sommes versées à M. [Z] au titre des journées de récupération du temps de travail (RTT) et condamne ce dernier au paiement de la somme de 7 196,84 euros correspondant aux sommes indûment versées au titre des RTT, l'arrêt rendu le 10 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de la condamnation à une indemnité pour licenciement nul ;
Fixe au passif de la société Calibracier la créance au titre de l'indemnité pour licenciement nul à la somme de 100 000 euros brut ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Dit que le dispositif de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bourges le 10 décembre 2021 est rectifié en ce sens que la créance de congés payés afférents au rappel de primes est fixée à la somme de 1 525 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.