Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2024, 22-20.970, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2024, 22-20.970, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 22-20.970
- ECLI:FR:CCASS:2024:SO00304
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 13 mars 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, du 06 juillet 2022- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 304 FS-B
Pourvoi n° Y 22-20.970
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024
La société Crédit agricole Corporate and Investment Bank (CACIB), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-20.970 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. [X] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt,
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2022), M. [E], engagé à compter du 1er mars 1991 en qualité de responsable des risques marché par la banque Indosuez selon un contrat de travail à durée indéterminée transféré au groupe Crédit agricole lors du rachat de la banque, est devenu chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), avec un statut cadre niveau hors classe, par un contrat de travail du 25 novembre 2013 conclu avec la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank (la société).
2. Par lettre du 4 décembre 2013, il a été affecté à [Localité 3] pour y exercer la fonction de responsable GMD Asie pour une prise de poste le 1er février 2014 et renouvellement possible à compter du 31 janvier 2017. Par lettre du 1er février 2017, le contrat de travail prévoyant son expatriation a été prorogé au 31 janvier 2018.
3. Le 20 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire. Il a été licencié le 15 novembre 2017 pour faute grave.
4. Le 3 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement et de demander le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale dont des rappels de rémunération différée.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident du salarié
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié au titre de rémunérations différées des sommes au titre des années 2017, 2016, 2015 et 2014, alors :
« 1°/ que selon les propres termes de l'arrêt attaqué, la question de la rémunération complémentaire à laquelle pouvait prétendre M. [E] pour les années 2014 à 2017 était directement liée au respect des règles déontologiques et aux exigences d'honorabilité, selon les prévisions du plan relatif aux rémunérations variables qui faisait la loi des parties, ce dont il résulte qu'il existe un lien de dépendance nécessaire entre la reconnaissance d'une faute grave à l'encontre de M. [E], susceptible de constituer un manquement à l'obligation d'honorabilité, et le versement de la rémunération différée ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt qui ont condamné la société CACIB à payer à M. [E] les sommes de 435 000 euros au titre de l'année 2017, 195 096 euros au titre de l'année 2016, 144 883 euros au titre de l'année 2015 et 51 533 euros au titre de l'année 2014 ;
2°/ que les dispositions des articles L. 511-84 et R. 511-24 du code monétaire et financier permettent à l'employeur de ne pas verser une rémunération variable différée en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité par le salarié concerné ; que le règlement de la société CACIB relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014-2016 précise le comportement professionnel à risque comme étant tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et/ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et/ou de déontologie et/ou des procédures" ; qu'il en résulte que des manquements à l'honorabilité ou à la déontologie par le salarié d'un établissement financier peuvent justifier le non-versement d'une rémunération variable différée ; que constitue de tels manquements le harcèlement sexuel ou les comportements assimilés, tels que le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'en jugeant que les faits relevés à l'encontre de M. [E] ne caractérisaient pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution en fonction notamment des agissements ou du comportement de la personne concernée.
8. Aux termes de l'article R. 511-24 du code monétaire et financier, pour l'application de l'article L. 511-84, les agissements susceptibles d'entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement en considération notamment des pertes sérieuses qu'ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés. La décision de réduction ou de restitution mentionnée au premier alinéa de cet article tient compte de l'implication de la personne intéressée dans les agissements en cause. Une décision de réduction ou de restitution peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause.
9. Ce dispositif a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d'investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l'égard d'un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l'établissement ou a été responsable de tels agissements ou n'a pas respecté les normes applicables en matière d'honorabilité et de compétences, lesdites normes s'entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l'activité professionnelle d'investissement à risques.
10. L'arrêt retient que la rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers si les conditions de performance et de présence à la date d'acquisition sont réunies, la condition de présence du salarié n'étant pas discutée. Il relève que le règlement de la société du plan relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014 à 2016 donne la définition du comportement professionnel à risque : « tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et ou de déontologie et ou des procédures) ».
11. Ayant retenu à l'encontre du salarié un comportement déplaisant, déplacé, habituel et totalement inadapté pour un salarié ayant une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes contactées, comportement qu'elle a qualifié d'inapproprié, soit un comportement sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d'investissement à risques, la cour d'appel en a exactement déduit que ce comportement ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué de sorte qu'elle a condamné la société à payer certaines sommes au salarié au titre des années 2014 à 2017.
12. Le moyen, inopérant en sa première branche faute de lien de dépendance avec le premier moyen du pourvoi principal, n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de dire que le harcèlement sexuel n'était pas constitué, que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave et de la condamner en conséquence à verser au salarié des sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre les congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, de frais de déménagement et de remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, alors :
« 1°/ que l'employeur a pour obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement sexuel, au besoin en procédant au licenciement du salarié auteur de tels agissements ; que doit être qualifié de harcèlement sexuel tout comportement d'un salarié vis-à-vis d'un autre salarié présentant une ambiguïté de nature sexuelle ou tout propos déplacé dans le but manifeste d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ; qu'en l'espèce, le salarié a été licencié pour faute grave pour avoir adopté à l'égard de huit salariées placées sous son autorité un comportement inconvenant, notamment des propos à connotation sexuelle ; que la cour d'appel a notamment retenu que le salarié avait adopté un "comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique" et que ce comportement du salarié avait été "déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel" ; qu'elle a aussi retenu la matérialité d'échanges de messages tels que "j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante...", "vos excuses sont bien acceptées...mais vous devriez chercher à obtenir le pardon", "voulez-vous voir la chambre, je peux la réserver si vous voulez" [cette offre étant suivi des propos suivants, après refus de la salariée] "pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir", et "vous pouvez m'appeler quand vous voulez...J'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois" ; que ces échanges et propos caractérisent un harcèlement sexuel, lequel constitue nécessairement une faute grave ; qu'en refusant de retenir que le comportement répété du salarié caractérisait un harcèlement sexuel bien qu'il ait été a minima de nature à créer, à l'égard des salariées qui l'ont subi, "une situation intimidante, hostile ou offensante", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1153-1 et L. 1153-5 du code du travail ;
2°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que constitue une faute grave le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'un tel comportement, au regard de son caractère récurrent rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, au regard notamment des atteintes auxquelles continueraient d'être exposées les salariées avec qui il resterait en contact ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants que le salarié ne s'était jamais montré insistant ni n'avait commis de pressions graves et qu'il était un excellent collaborateur n'ayant subi aucun reproche tout au long de sa longue collaboration, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L.1234-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1153-1,dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, L. 1153-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, L. 1153-6 et L. 1234-1 du code du travail :
14. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
15. Aux termes du premier alinéa du deuxième de ces textes, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.
16. Pour dire que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les attestations et les courriels versés aux débats par l'employeur suffisent à établir l'attitude déplacée, tendancieuse donc inappropriée du salarié à de nombreuses reprises à l'encontre de salariées de l'entreprise, et notamment de son assistante sans que jamais cette dernière n'ait tenu des propos équivoques dans les échanges, et qu'il ne s'agit donc pas uniquement « d'échanges pour mieux apprécier des collaborateurs dans le cadre professionnel », propos relevés lors de l'entretien préalable dont le compte-rendu est communiqué au dossier par le salarié, ni d'un mode de communication courtois, ces propos allant au-delà d'un management « proche » de ce dernier avec ses équipes, connu et apprécié par l'employeur.
17. Après avoir constaté que le salarié avait adressé à son assistante un message lui indiquant « vous pouvez m'appeler quand vous voulez... j'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois », qu'il avait proposé à une salariée intérimaire « voulez-vous voir la chambre ? Je peux la réserver si vous voulez » puis face au refus de celle-ci « pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir » et qu'il avait écrit à une autre salariée « j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante », l'arrêt ajoute que les courriels adressés aux fins d'obtenir une rencontre ou féliciter une personne ne contiennent pas de propos à caractère professionnel sans pour autant qu'ils soient dégradants ni humiliants, le salarié n'étant jamais insistant dans ses demandes, n'ayant pas commis de pressions graves dans le but apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle et n'ayant jamais créé une situation hostile ou offensante ou intimidante, de sorte qu'il ne sera pas retenu l'existence de faits de harcèlement sexuel de la part du salarié.
18. L'arrêt relève ensuite que le salarié a adopté un comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique, ce qui justifie le licenciement pour motif disciplinaire.
19. L'arrêt retient enfin que, toutefois si le comportement du salarié était déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel, s'agissant d'un salarié qui était un excellent collaborateur et n'avait subi aucun reproche tout au long de la longue collaboration, ce comportement ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et n'était pas constitutif d'une faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
20. En statuant ainsi, alors qu'elle avait, d'une part, constaté la teneur à connotation sexuelle des messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée, d'autre part, relevé que plusieurs salariées avaient témoigné de la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique, ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société au remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, qui ne s'y rattache ni par un lien d'indivisibilité ni par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que l'article 10 du contrat qui détermine les conditions de paiement des frais de scolarité des enfants n'exclut pas leur remboursement en cas de licenciement du salarié.
22. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [E] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros au titre des congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre du remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:SO00304
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 304 FS-B
Pourvoi n° Y 22-20.970
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024
La société Crédit agricole Corporate and Investment Bank (CACIB), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-20.970 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. [X] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt,
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2022), M. [E], engagé à compter du 1er mars 1991 en qualité de responsable des risques marché par la banque Indosuez selon un contrat de travail à durée indéterminée transféré au groupe Crédit agricole lors du rachat de la banque, est devenu chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), avec un statut cadre niveau hors classe, par un contrat de travail du 25 novembre 2013 conclu avec la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank (la société).
2. Par lettre du 4 décembre 2013, il a été affecté à [Localité 3] pour y exercer la fonction de responsable GMD Asie pour une prise de poste le 1er février 2014 et renouvellement possible à compter du 31 janvier 2017. Par lettre du 1er février 2017, le contrat de travail prévoyant son expatriation a été prorogé au 31 janvier 2018.
3. Le 20 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire. Il a été licencié le 15 novembre 2017 pour faute grave.
4. Le 3 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement et de demander le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale dont des rappels de rémunération différée.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident du salarié
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié au titre de rémunérations différées des sommes au titre des années 2017, 2016, 2015 et 2014, alors :
« 1°/ que selon les propres termes de l'arrêt attaqué, la question de la rémunération complémentaire à laquelle pouvait prétendre M. [E] pour les années 2014 à 2017 était directement liée au respect des règles déontologiques et aux exigences d'honorabilité, selon les prévisions du plan relatif aux rémunérations variables qui faisait la loi des parties, ce dont il résulte qu'il existe un lien de dépendance nécessaire entre la reconnaissance d'une faute grave à l'encontre de M. [E], susceptible de constituer un manquement à l'obligation d'honorabilité, et le versement de la rémunération différée ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt qui ont condamné la société CACIB à payer à M. [E] les sommes de 435 000 euros au titre de l'année 2017, 195 096 euros au titre de l'année 2016, 144 883 euros au titre de l'année 2015 et 51 533 euros au titre de l'année 2014 ;
2°/ que les dispositions des articles L. 511-84 et R. 511-24 du code monétaire et financier permettent à l'employeur de ne pas verser une rémunération variable différée en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité par le salarié concerné ; que le règlement de la société CACIB relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014-2016 précise le comportement professionnel à risque comme étant tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et/ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et/ou de déontologie et/ou des procédures" ; qu'il en résulte que des manquements à l'honorabilité ou à la déontologie par le salarié d'un établissement financier peuvent justifier le non-versement d'une rémunération variable différée ; que constitue de tels manquements le harcèlement sexuel ou les comportements assimilés, tels que le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'en jugeant que les faits relevés à l'encontre de M. [E] ne caractérisaient pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution en fonction notamment des agissements ou du comportement de la personne concernée.
8. Aux termes de l'article R. 511-24 du code monétaire et financier, pour l'application de l'article L. 511-84, les agissements susceptibles d'entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement en considération notamment des pertes sérieuses qu'ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés. La décision de réduction ou de restitution mentionnée au premier alinéa de cet article tient compte de l'implication de la personne intéressée dans les agissements en cause. Une décision de réduction ou de restitution peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d'honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause.
9. Ce dispositif a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d'investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l'égard d'un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l'établissement ou a été responsable de tels agissements ou n'a pas respecté les normes applicables en matière d'honorabilité et de compétences, lesdites normes s'entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l'activité professionnelle d'investissement à risques.
10. L'arrêt retient que la rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers si les conditions de performance et de présence à la date d'acquisition sont réunies, la condition de présence du salarié n'étant pas discutée. Il relève que le règlement de la société du plan relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014 à 2016 donne la définition du comportement professionnel à risque : « tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et ou les normes professionnelles applicables à l'activité du bénéficiaire sur la période d'acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et ou de déontologie et ou des procédures) ».
11. Ayant retenu à l'encontre du salarié un comportement déplaisant, déplacé, habituel et totalement inadapté pour un salarié ayant une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes contactées, comportement qu'elle a qualifié d'inapproprié, soit un comportement sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d'investissement à risques, la cour d'appel en a exactement déduit que ce comportement ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d'honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué de sorte qu'elle a condamné la société à payer certaines sommes au salarié au titre des années 2014 à 2017.
12. Le moyen, inopérant en sa première branche faute de lien de dépendance avec le premier moyen du pourvoi principal, n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de dire que le harcèlement sexuel n'était pas constitué, que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave et de la condamner en conséquence à verser au salarié des sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre les congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, de frais de déménagement et de remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, alors :
« 1°/ que l'employeur a pour obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement sexuel, au besoin en procédant au licenciement du salarié auteur de tels agissements ; que doit être qualifié de harcèlement sexuel tout comportement d'un salarié vis-à-vis d'un autre salarié présentant une ambiguïté de nature sexuelle ou tout propos déplacé dans le but manifeste d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ; qu'en l'espèce, le salarié a été licencié pour faute grave pour avoir adopté à l'égard de huit salariées placées sous son autorité un comportement inconvenant, notamment des propos à connotation sexuelle ; que la cour d'appel a notamment retenu que le salarié avait adopté un "comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique" et que ce comportement du salarié avait été "déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel" ; qu'elle a aussi retenu la matérialité d'échanges de messages tels que "j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante...", "vos excuses sont bien acceptées...mais vous devriez chercher à obtenir le pardon", "voulez-vous voir la chambre, je peux la réserver si vous voulez" [cette offre étant suivi des propos suivants, après refus de la salariée] "pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir", et "vous pouvez m'appeler quand vous voulez...J'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois" ; que ces échanges et propos caractérisent un harcèlement sexuel, lequel constitue nécessairement une faute grave ; qu'en refusant de retenir que le comportement répété du salarié caractérisait un harcèlement sexuel bien qu'il ait été a minima de nature à créer, à l'égard des salariées qui l'ont subi, "une situation intimidante, hostile ou offensante", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1153-1 et L. 1153-5 du code du travail ;
2°/ que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que constitue une faute grave le fait pour un salarié qui exerce un très haut niveau de responsabilité d'avoir adressé à des salariées placées sous son autorité, de manière régulière et répétée, des messages à connotation sexuelle (manger une banane de manière inspirante), de les avoir invitées à partager des chambres d'hôtel, d'avoir fait des commentaires déplacés sur leur tenue vestimentaire ou de leur avoir proposé de manière tendancieuse de venir prendre un verre le soir ou de passer le reste de la nuit avec lui, ce qui avait conduit certaines de ces salariées à exprimer leur gêne et leur intimidation ; qu'un tel comportement, au regard de son caractère récurrent rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, au regard notamment des atteintes auxquelles continueraient d'être exposées les salariées avec qui il resterait en contact ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants que le salarié ne s'était jamais montré insistant ni n'avait commis de pressions graves et qu'il était un excellent collaborateur n'ayant subi aucun reproche tout au long de sa longue collaboration, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L.1234-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1153-1,dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, L. 1153-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, L. 1153-6 et L. 1234-1 du code du travail :
14. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
15. Aux termes du premier alinéa du deuxième de ces textes, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.
16. Pour dire que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les attestations et les courriels versés aux débats par l'employeur suffisent à établir l'attitude déplacée, tendancieuse donc inappropriée du salarié à de nombreuses reprises à l'encontre de salariées de l'entreprise, et notamment de son assistante sans que jamais cette dernière n'ait tenu des propos équivoques dans les échanges, et qu'il ne s'agit donc pas uniquement « d'échanges pour mieux apprécier des collaborateurs dans le cadre professionnel », propos relevés lors de l'entretien préalable dont le compte-rendu est communiqué au dossier par le salarié, ni d'un mode de communication courtois, ces propos allant au-delà d'un management « proche » de ce dernier avec ses équipes, connu et apprécié par l'employeur.
17. Après avoir constaté que le salarié avait adressé à son assistante un message lui indiquant « vous pouvez m'appeler quand vous voulez... j'ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois », qu'il avait proposé à une salariée intérimaire « voulez-vous voir la chambre ? Je peux la réserver si vous voulez » puis face au refus de celle-ci « pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir » et qu'il avait écrit à une autre salariée « j'aime votre façon de manger des bananes...très inspirante », l'arrêt ajoute que les courriels adressés aux fins d'obtenir une rencontre ou féliciter une personne ne contiennent pas de propos à caractère professionnel sans pour autant qu'ils soient dégradants ni humiliants, le salarié n'étant jamais insistant dans ses demandes, n'ayant pas commis de pressions graves dans le but apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle et n'ayant jamais créé une situation hostile ou offensante ou intimidante, de sorte qu'il ne sera pas retenu l'existence de faits de harcèlement sexuel de la part du salarié.
18. L'arrêt relève ensuite que le salarié a adopté un comportement totalement inadapté pour un salarié qui avait une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qu'il a contactées, plusieurs d'entre elles ayant témoigné de la gêne occasionnée par cette situation qui leur a été imposée par un supérieur hiérarchique, ce qui justifie le licenciement pour motif disciplinaire.
19. L'arrêt retient enfin que, toutefois si le comportement du salarié était déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel, s'agissant d'un salarié qui était un excellent collaborateur et n'avait subi aucun reproche tout au long de la longue collaboration, ce comportement ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et n'était pas constitutif d'une faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
20. En statuant ainsi, alors qu'elle avait, d'une part, constaté la teneur à connotation sexuelle des messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée, d'autre part, relevé que plusieurs salariées avaient témoigné de la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique, ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société au remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, qui ne s'y rattache ni par un lien d'indivisibilité ni par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que l'article 10 du contrat qui détermine les conditions de paiement des frais de scolarité des enfants n'exclut pas leur remboursement en cas de licenciement du salarié.
22. La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [E] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros au titre des congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre du remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.