Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 février 2024, 22-21.135, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 février 2024, 22-21.135, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 22-21.135
- ECLI:FR:CCASS:2024:C100072
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 14 février 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, du 07 juillet 2022- Président
- Mme Champalaune (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 février 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 72 F-D
Pourvoi n° C 22-21.135
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024
1°/ Mme [P] [R], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [I] [S], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° C 22-21.135 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société BNP Paribas Personal Finance a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mme [R] et de M. [S], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 7 juillet 2022), suivant offres acceptées le 1er avril 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [S] (les emprunteurs) deux prêts immobiliers souscrits en francs suisses, à taux révisable tous les trois ans.
2. Les emprunteurs ont assigné la banque en constatation du caractère abusif de la clause de remboursement et en paiement de dommages et intérêts pour manquement aux devoirs d'information et de mise en garde.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en nullité des prêts, alors « qu'en tout état de cause, l'exigence de transparence des clauses d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère qui prévoient que cette devise est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, n'est satisfaite que lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat où celui-ci est domicilié ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait notamment retenu, au titre des obligations d'information et de mise en garde, que les clauses du prêt étaient "peu lisibles", "particulièrement complexes" et "particulièrement abscons", qu'elles ne permettaient pas de réaliser de façon claire et transparente que le capital restant dû à l'issue de la durée initiale allongée de cinq ans pouvait être bien supérieur à celui initialement prévu et que les simulations ne permettaient pas de comprendre les conséquences économiques des crédits, de sorte que la banque avait manqué à son obligation d'information transparente sur les conséquences économiques des prêts, a néanmoins retenu, pour écarter le caractère abusif de la clause de change, que les clauses du prêt étaient "parfaitement claires et compréhensibles", n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
7. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
8. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19, BNP Paribas Personal Finance), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
9. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les clauses critiquées, l'arrêt retient, d'une part, que ces clauses définissent l'objet principal des contrats de prêt, qu'elles sont parfaitement claires et compréhensibles, en ce qu'elles prévoient que la monnaie de compte est le franc suisse, que le remboursement se fait en euros et que les emprunteurs sont soumis au risque du taux de change, d'autre part, que les clauses du prêt sont peu lisibles, particulièrement complexes et qu'elles ne permettent pas de réaliser de façon claire et transparente que le capital restant dû à l'issue de la durée initiale allongée de cinq ans peut être bien supérieur à celui initialement prévu et que les simulations ne permettaient pas de comprendre les conséquences économiques des crédits, de sorte que la banque a manqué à son obligation d'information transparente sur les conséquences économiques des prêts.
4. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
5. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de l'arrêt, qui rejette la demande de nullité des contrats de prêt sur le fondement de la clause abusive entraîne la cassation des chefs de dispositif relatifs au manquement de la banque à son obligation d'information et son devoir de mise en garde, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ni sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer à M. et Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C100072
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 février 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 72 F-D
Pourvoi n° C 22-21.135
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024
1°/ Mme [P] [R], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [I] [S], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° C 22-21.135 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société BNP Paribas Personal Finance a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mme [R] et de M. [S], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 7 juillet 2022), suivant offres acceptées le 1er avril 2009, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [S] (les emprunteurs) deux prêts immobiliers souscrits en francs suisses, à taux révisable tous les trois ans.
2. Les emprunteurs ont assigné la banque en constatation du caractère abusif de la clause de remboursement et en paiement de dommages et intérêts pour manquement aux devoirs d'information et de mise en garde.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en nullité des prêts, alors « qu'en tout état de cause, l'exigence de transparence des clauses d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère qui prévoient que cette devise est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, n'est satisfaite que lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat où celui-ci est domicilié ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait notamment retenu, au titre des obligations d'information et de mise en garde, que les clauses du prêt étaient "peu lisibles", "particulièrement complexes" et "particulièrement abscons", qu'elles ne permettaient pas de réaliser de façon claire et transparente que le capital restant dû à l'issue de la durée initiale allongée de cinq ans pouvait être bien supérieur à celui initialement prévu et que les simulations ne permettaient pas de comprendre les conséquences économiques des crédits, de sorte que la banque avait manqué à son obligation d'information transparente sur les conséquences économiques des prêts, a néanmoins retenu, pour écarter le caractère abusif de la clause de change, que les clauses du prêt étaient "parfaitement claires et compréhensibles", n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a ainsi violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
7. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
8. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19, BNP Paribas Personal Finance), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
9. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les clauses critiquées, l'arrêt retient, d'une part, que ces clauses définissent l'objet principal des contrats de prêt, qu'elles sont parfaitement claires et compréhensibles, en ce qu'elles prévoient que la monnaie de compte est le franc suisse, que le remboursement se fait en euros et que les emprunteurs sont soumis au risque du taux de change, d'autre part, que les clauses du prêt sont peu lisibles, particulièrement complexes et qu'elles ne permettent pas de réaliser de façon claire et transparente que le capital restant dû à l'issue de la durée initiale allongée de cinq ans peut être bien supérieur à celui initialement prévu et que les simulations ne permettaient pas de comprendre les conséquences économiques des crédits, de sorte que la banque a manqué à son obligation d'information transparente sur les conséquences économiques des prêts.
4. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
5. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de l'arrêt, qui rejette la demande de nullité des contrats de prêt sur le fondement de la clause abusive entraîne la cassation des chefs de dispositif relatifs au manquement de la banque à son obligation d'information et son devoir de mise en garde, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ni sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer à M. et Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.