Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 31 janvier 2024, 23-81.704, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 23-81.704 F-B

N° 00082


ECF
31 JANVIER 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2024


M. [E] [U] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 18e chambre, en date du 8 mars 2023, qui, pour abandon de famille, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [E] [U] [M], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, Mme Coste-Floret, greffier de chambre, et M. Maréville, greffier de chambre présent au prononcé,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 8 février 2008, M. [E] [U] [M] a été condamné à verser à Mme [D] [W] une contribution à l'éducation de son enfant, né le [Date naissance 1] 2004, à hauteur de 300 euros par mois.

3. Faute de paiement de cette contribution, M. [U] [M] a fait l'objet de poursuites du chef d'abandon de famille.

4. Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

5. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'encontre de M. [U] [M] l'interdiction de quitter le territoire national pendant la durée d'exécution de sa peine, alors :

« 1°/ que la contradiction entre les termes du dispositif d'une décision équivaut à un défaut de motifs ; Qu'en l'espèce, dans son dispositif, confirmé par la cour d'appel, le jugement a tout à la fois dit M. [U] [M] tenu, au titre des mesures de contrôle prévues à l'article 132-44 du code pénal, d'informer préalablement le juge de l'application des peines de tout déplacement à l'étranger et prononcé à son encontre l'interdiction de quitter le territoire de la République ; Qu'en l'état de ces dispositions incompatibles entre elles, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'interdiction de quitter le territoire national constitue une peine complémentaire prévue par l'article 227-29 du code pénal et non une mesure d'interdiction susceptible d'être prononcée en application de l'article 132-45 du même code ; Que, dès lors, en confirmant le jugement ayant, pour prononcer une telle interdiction, exclusivement visé l'article 132-45 du code pénal, la cour d'appel, qui a méconnu le principe de la légalité des délits et des peines, a violé les textes susvisés, ensemble l'article 111-3 du même code ;

3°/ que si les juges du fond n'ont pas à motiver les obligations et mesures de probation et obligations prévues à l'article 132-45 du code pénal, ils doivent en revanche motiver le choix des peines complémentaires facultatives qu'ils prononcent contre le prévenu ; Que, dès lors, en se bornant à énoncer en l'espèce qu'il convient de confirmer le jugement sur la culpabilité et sur la peine, sans aucunement motiver l'interdiction de quitter le territoire national, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 227-3, 227-29 et 132-1 du code pénal ;

4°/ que conformément à l'article 227-29-4° du code pénal, l'interdiction de quitter le territoire national ne peut être prononcée à l'encontre d'une personne déclarée coupable d'abandon de famille que « pour une durée de cinq ans au plus » ; Que, dès lors, et à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges à cet égard, en décidant que l'interdiction de quitter le territoire doit s'imposer au prévenu « tant que les dommages-intérêts ne sont pas payés », la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble le principe de la légalité des délits et des peines et l'article 111-3 du code pénal ;

5°/ que dans ses conclusions d'appel, l'exposant a fait valoir qu'âgé de plus de 80 ans, il a une famille en Algérie, de sorte que l'interdiction de quitter le territoire français, qui n'est pas nécessaire à l'exécution de ses obligations, porterait atteinte à sa vie privée et familiale, au mépris des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Qu'ainsi, à supposer que l'interdiction de quitter le territoire ait été prononcée par adoption des motifs du tribunal, lequel s'était borné à énoncer que « seule une mesure de sursis probatoire avec une interdiction de sortie du territoire tant que les dommages-intérêts ne sont pas payés est la bonne mesure pour qu'enfin le prévenu paie ce qu'il doit », il appartenait à la cour d'appel de répondre au moyen articulé par l'exposant et tendant à démontrer que cette interdiction n'était pas justifiée au regard des dispositions susvisées ; Que, dès lors, en se bornant à énoncer qu'il convient de confirmer la peine prononcée, laquelle paraît adaptée à la personnalité du prévenu et aux faits reprochés, sans répondre à ce moyen péremptoire des conclusions d'appel du prévenu, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 111-3 et 132-45 du code pénal :

8. Selon le premier de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit.

9. Le second dresse la liste exhaustive des obligations dont la juridiction de condamnation peut imposer spécialement le respect à la personne condamnée à une peine assortie du sursis probatoire. Parmi celles-ci figure l'obligation de s'abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignée, mais ne figure pas l'interdiction de quitter le territoire national.

10. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a interdit au condamné de quitter le territoire national, sur le fondement de l'article 132-45, 9°, du code pénal.

11. En prononçant ainsi, alors que ladite peine n'est pas prévue par la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [U] [M] à payer à la partie civile la somme de 42 300 euros en réparation de son préjudice financier, alors :

« 1°/ que le juge répressif ne peut accorder de réparation que pour les chefs de dommage découlant d'une infraction dont il a constaté l'existence ; Qu'en l'espèce, M. [U] [M] a été déclaré coupable d'abandon de famille par non-paiement d'une pension alimentaire sur la période du 30 juin 2014 au 30 juin 2020, qui correspond à la seule période visée à la prévention ; Que, dès lors, en relevant, pour condamner le prévenu à payer à la partie civile la somme de 42 300 euros en réparation de son préjudice financier, qu'il convient de confirmer les dispositions civiles du jugement, les sommes allouées paraissant adaptées aux préjudices subis par la victime et, par motifs adoptés, qu'au vu des éléments du dossier, il convient d'accorder la somme susvisée en réparation du préjudice financier de la partie civile, tout en relevant, par motifs adoptés, qu'au titre de la pension alimentaire litigieuse, l'exposant « doit, depuis 2008, une somme totale de 42 300 euros dont 21 600 au titre de la prévention », ce dont il résulte qu'une partie au moins du dommage financier invoqué par la partie civile ne découlait pas de l'infraction dont le prévenu a été déclaré coupable, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble les articles 388 et 593 du même code ;

2°/ que les juges du fond ne peuvent se déterminer par un motif hypothétique ; Qu'ainsi, en relevant, pour condamner l'exposant à verser à la partie civile la somme de 42 300 euros à titre de dommages-intérêts, qu'il échet de confirmer les dispositions civiles du jugement entrepris, les sommes allouées « paraissant » adaptées aux préjudices subis par la victime, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 593 du code de procédure pénale :

14. Il résulte du premier de ces textes que l'action civile, lorsqu'elle est exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction, n'est recevable que pour les chefs de dommages qui découlent des faits objet de la poursuite.

15. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Par motifs adoptés, l'arrêt attaqué, après avoir reconnu le prévenu coupable d'abandon de famille, pour la période du 30 juin 2014 au 30 juin 2020, l'a condamné à verser à la partie civile la somme de 42 300 euros au titre de son préjudice financier.

17. Les juges précisent que le prévenu doit à la partie civile, depuis 2008, cette somme de 42 300 euros, dont 21 600 euros au titre de la prévention.

18. En prononçant ainsi, sans préciser la nature et le montant du préjudice subi par la partie civile qu'elle a entendu réparer, et alors que la plainte en abandon de famille n'a pas pour objet le règlement des sommes dues au titre de la pension alimentaire, mais l'obtention de dommages et intérêts à la suite du défaut de paiement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

19. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation sera limitée aux peines, et aux dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, et aux dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-quatre.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et M. Maréville, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.ECLI:FR:CCASS:2024:CR00082
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