Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 18 janvier 2024, 22-22.781, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 janvier 2024




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 33 F-D

Pourvoi n° S 22-22.781







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2024

La société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 22-22.781 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bonnet et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à Mme [X] [B],

3°/ à M. [H] [F],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [B] et de M. [F], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Bonnet et fils, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 13 septembre 2022) et les productions, Mme [B] et M. [F] sont propriétaires d'une maison construite sur un terrain en pente sur lequel ils ont confié la réalisation de travaux d'enrochement à la société Bonnet et fils, assurée auprès de la SMABTP.

2. De fortes précipitations survenues les 27 et 28 mai 2012 ont provoqué le déplacement du premier enrochement sur la voie d'accès et l'effondrement du second enrochement sur la parcelle voisine.

3. Après une expertise judiciaire, ils ont assigné l'entrepreneur et son assureur aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La SMABTP fait grief à l'arrêt de la condamner solidairement avec la société Bonnet et fils, à payer à Mme [B] et M. [F] diverses sommes au titre des travaux de remise en état et du préjudice moral, alors :

1°/ « que si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut pas comporter d'autres clauses d'exclusion que celles qui sont prévues par l'article A 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne peut pas s'étendre au-delà du secteur d'activité professionnel qui lui a été explicitement déclaré par son assuré constructeur ; que, dès lors, si une activité exercée lors d'un sinistre n'est pas celle qui avait été précisément déclarée lors de la souscription de l'assureur, elle n'est pas couverte par l'assurance ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour l'a constaté, l'article 3 du contrat conclu avant les travaux litigieux entre la SMABTP et la société Bonnet & fils, garantissait limitativement les activités suivantes : « Démolition, terrassement, VRD, structure et travaux courants de maçonnerie, béton armé, ouvrage d'art et d'équipements industriels en béton armé, charpente en bois, couverture, zinguerie » ; qu'en jugeant dès lors que cette garantie couvrait aussi l'activité d'enrochement de la société Bonnet & fils, qui était cause du sinistre de 2010, quand cette activité ne figurait pas dans le contrat conclu, la cour a violé l'article 1134 ancien du code civil, applicable au litige, ensemble l'article L. 241-1 du code des assurances.

3°/ que si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut pas comporter d'autres clauses d'exclusion que celles qui sont prévues par l'article A 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne peut pas s'étendre au-delà du secteur d'activité professionnel qui lui a été explicitement déclaré par son assuré constructeur ; que, dès lors, si une activité exercée lors d'un sinistre n'est pas celle qui avait été précisément déclarée lors de la souscription de l'assureur, elle n'est pas couverte par l'assurance ; que, pour juger que l'activité d'enrochement était entrée dans le champ de la garantie souscrite conventionnellement entre la SMABTP et la société Bonnet & fils, encore qu'aucune mention n'en figurât dans le contrat d'assurance conclu entre elles, la cour a retenu qu'un document de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) du 18 décembre 2007, qui n'était certes « qu'un document interne aux assureurs », étant « applicable à la période de réalisation des travaux d'enrochement litigieux (2010) », contenait un poste numéro 2 incluant en particulier, sous le titre « terrassement », une activité « d'enrochement non lié et de comblement »; qu'en se déterminant ainsi, quand ce document et sa nomenclature internes aux assureurs n'étaient pas de nature à s'imposer entre les parties au contrat d'assurance comme une norme devant déterminer la définition des seules activités déclarées par la société Bonnet & fils, la cour a violé l'article 1134 ancien du code civil, dans sa version applicable au litige, ensemble l'article L. 241-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances :

5. Il résulte de ces textes que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur.

6. Pour condamner l'assureur à indemniser les maîtres de l'ouvrage et à garantir son assuré, l'arrêt retient que les désordres provenaient des travaux d'enrochements exécutés par la société Bonnet et fils pour soutenir et stabiliser le terrain et que le périmètre d'activités garanties portait sur celles de démolition, terrassement, VRD, structure et travaux courants de maçonnerie, béton armé, ouvrages d'art et d'équipements industriels en béton armé, charpente en bois, couverture et zinguerie.

7. Il relève que la nomenclature des activités du bâtiment et des travaux publics de la fédération française des sociétés d'assurance datant du 18 décembre 2007, et donc applicable à la période de réalisation des travaux d'enrochement, ignorait l'activité propre d'enrochement mais définissait celle de terrassement dans les termes suivants « réalisation à ciel ouvert, de creusement, de blindage de fouilles provisoires dans des sols, ainsi que des travaux de rabattement de nappes nécessaires à l'exécution des travaux, de remblai et d'enrochement non lié et de comblement » et retient que, si cette nomenclature ne constituait qu'un document interne aux assureurs, elle permettait d'éclairer leur intention quant au contenu de leurs offres contractuelles de garantie.

8. Il en déduit que la garantie d'assurance des activités de terrassement pouvait comprendre le recours à différentes techniques dont celle non formellement exclue ou distinguée de l'enrochement non lié.

9. Il ajoute qu'à compter du 1er janvier 2013, à la suite d'une nouvelle nomenclature distinguant l'activité d'enrochement, la garantie d'assurance portant sur cette activité avait fait l'objet d'une offre dissociée et autonome par l'assureur, de sorte que la garantie des travaux d'enrochement s'intégrait jusqu'à cette date, conformément à la nomenclature alors disponible, dans l'offre contractuelle de garantie précédemment souscrite en 1999 au titre des travaux de terrassement.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les travaux d'enrochement exécutés par la société Bonnet et fils avaient pour fonction de soutenir et stabiliser le terrain surplombant la voie d'accès et la parcelle voisine et que l'assuré n'avait pas déclaré l'activité d'enrochement, distincte de celle de terrassement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant solidairement la société Bonnet et fils et la SMABTP à payer à Mme [B] et M. [F] certaines sommes au titre des travaux de reprise et du préjudice moral entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la SMABTP à payer les frais d'investigation et à garantir la société Bonnet et fils, qui s'y rattachent par un lien d'indivisibilité.

12. La cassation des condamnations prononcées contre la SMABTP n'atteint pas celles prononcées à l'encontre de la société Bonnet et fils.

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Les travaux exécutés par la société Bonnet et fils consistaient en des travaux d'enrochement ayant pour fonction de soutenir et stabiliser les terres surplombant la voie d'accès et la parcelle voisine et soutenant une plate-forme aménagée devant la maison.

16. De tels travaux, qui se distinguent, par leur objet, de ceux de terrassement, ne font pas partie des activités déclarées du contrat d'assurance décennale souscrit auprès de la SMABTP.

17. Dans ces conditions, les dommages ne sont pas couverts par le contrat d'assurance souscrit par la société Bonnet et fils et les demandes formées contre la SMABTP doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- condamne la SMABTP à payer à Mme [B] et M. [F] les sommes de :
* 62 337 euros au titre du coût de remise en état des deux enrochements, avec indexation sur l'indice BT-01 du coût de la construction de la date du 22 juin 2017 à celle de parfait paiement,
* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
* 6 382, 80 euros au titre du remboursement des factures d'investigations Alpha BTP Nord,
* 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure de première instance et aux dépens et frais afférents à la procédure de première instance, et ce compris ceux afférents à la procédure de référé,
* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d'appel,

- condamne la SMABTP à garantir la société Bonnet et fils de l'intégralité des condamnations pécuniaires qui précèdent,

- condamne la SMABTP à payer à la société Bonnet et fils une indemnité de 8 000 euros en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la SMABTP aux dépens de l'instance en cause d'appel, la SMABTP en devant garantie à la société Bonnet et fils.

l'arrêt rendu le 13 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes formées contre la SMABTP ;

Rejette les demandes formées par la SMABTP devant les juges du fond sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu de condamner la SMABTP aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu de modifier les autres dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles exposés devant les juges du fond ;

Condamne la société Bonnet et fils et Mme [B] et M. [F] aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300033
Retourner en haut de la page