Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 16 janvier 2024, 22-87.421, Inédit
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 16 janvier 2024, 22-87.421, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 22-87.421
- ECLI:FR:CCASS:2024:CR00033
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation sans renvoi
Audience publique du mardi 16 janvier 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 09 novembre 2022- Président
- M. Bonnal (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-87.421 F-D
N° 00033
SL2
16 JANVIER 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024
Mme [G] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 9 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef de diffamation publique envers une personne chargée d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [G] [Z], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [W] [L], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du juge d'instruction, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [W] [L], maire de la commune de [Localité 5], Mme [G] [Z] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef susvisé, en raison de la diffusion, sur son blog internet, d'un article intitulé « Les LBD de [Localité 5] : un manque d'intelligence qui inquiète les Haÿssiens » contenant les propos suivants : « [V] [U] a de la chance. Il a trouvé le maire camelot [W] [L], Son catalogue d'[4] avec tous ses derniers gadgets pour maires-cowboys sont présentés dans la boutique appelée le « Poste de police municipale [Adresse 1] de [Localité 5] » : les LBD Redcore bien-sûr, le drone pour la police (avec formation de télé pilote), les gants détecteurs de métaux, les boucliers invincibles etc?» « [W] [L] s'est installé en bateleur de foire du marché des maires, battant l'estrade tous les jours pour vendre tous les gadgets possibles » « Le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [.], et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville (avec l'aménageur [2], le préféré des LR du 92), à grand renfort de réunions publiques, plaquettes luxueuses dans toutes les boites aux lettres, grandes affiches permanentes et racoleuses sur les palissades des chantiers (tout ça bien évidemment payé par le contribuable) ».
3. Le tribunal correctionnel a relaxé Mme [Z] et a prononcé sur les intérêts civils.
4. Monsieur [L] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, infirmant le jugement entrepris, dit que Mme [Z] avait commis une faute civile, condamné Mme [Z] à payer M. [L] la somme de un euros à titre de dommages et intérêts, et a ordonné sous astreinte à Mme [Z] de supprimer de son Blog les propos suivants : « le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [?] et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville (avec l'aménageur [2], le préféré des LR du 92), à grand renfort de réunions publiques, plaquettes luxueuses dans toutes les boites aux lettres, grandes affiches permanentes et racoleuses sur les palissades des chantiers (tout ça bien évidemment payé par le contribuable) », alors :
« 1°/ que seule l'expression qui contient l'imputation d'un fait précis, susceptible d'être prouvé, et de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation ; que tel n'est pas le cas lorsque les propos incriminés ne sont que l'expression d'une opinion ou d'un jugement de valeur, a fortiori exprimé sur un mode satirique ; qu'en décidant que les propos « le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [.], et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville » imputaient des faits précis à la partie civile, à savoir « d'une part, de s'être fait nommer vice-président de la région Ile de France, afin de vendre les produits commercialisés par la société [4], la présentant comme un « camelot » de celle-ci et, d'autre part, d'avoir « pris » la fonction de maire afin de confier à une société privée, en lien avec les élus Les Républicains des Hauts-de-Seine, une opération immobilière en centre-ville », quand ces propos ne constituaient qu'un jugement de valeur sur l'intérêt des décisions litigieuses et les raisons ayant conduit à leur adoption, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Réponse de la Cour
Vu l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
6. Selon ce texte, est diffamatoire l'allégation ou l'imputation d'un fait précis et déterminé qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée.
7. Pour dire que Mme [Z] a commis une faute civile, susceptible d'être réparée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt attaqué énonce notamment que les propos litigieux imputent à la partie civile, d'une part, de s'être fait nommer vice-président de la région Ile-de-France, afin de vendre les produits commercialisés par la société [4], la présentant comme un « camelot » de celle-ci et, d'autre part, d'avoir « pris » la fonction de maire afin de confier à une société privée, en lien avec les élus Les Républicains des Hauts-de-Seine, une opération immobilière.
8. Les juges indiquent qu'il s'agit d'imputations précises, susceptibles de faire l'objet d'un débat probatoire, qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la partie civile en ce qu'il lui est reproché, à tout le moins, un comportement manifestement contraire aux obligations déontologiques d'un maire, si ce n'est la commission d'infractions pénales.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
10. En effet, les propos litigieux, qui se limitent à des jugements de valeur et à une critique sarcastique de l'action politique de M. [L], aux motifs qu'il fait la promotion de matériel sécuritaire et soutient par ailleurs un projet immobilier contesté, sans jamais prétendre ou suggérer qu'il ait reçu en retour une quelconque rétribution ou un avantage personnel de la part des entreprises concernées, ou faire état d'une quelconque illégalité du recours à ces entreprises, ne peuvent être qualifiés de diffamatoires.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 novembre 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:CR00033
N° C 22-87.421 F-D
N° 00033
SL2
16 JANVIER 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024
Mme [G] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 9 novembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef de diffamation publique envers une personne chargée d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [G] [Z], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [W] [L], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du juge d'instruction, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [W] [L], maire de la commune de [Localité 5], Mme [G] [Z] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef susvisé, en raison de la diffusion, sur son blog internet, d'un article intitulé « Les LBD de [Localité 5] : un manque d'intelligence qui inquiète les Haÿssiens » contenant les propos suivants : « [V] [U] a de la chance. Il a trouvé le maire camelot [W] [L], Son catalogue d'[4] avec tous ses derniers gadgets pour maires-cowboys sont présentés dans la boutique appelée le « Poste de police municipale [Adresse 1] de [Localité 5] » : les LBD Redcore bien-sûr, le drone pour la police (avec formation de télé pilote), les gants détecteurs de métaux, les boucliers invincibles etc?» « [W] [L] s'est installé en bateleur de foire du marché des maires, battant l'estrade tous les jours pour vendre tous les gadgets possibles » « Le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [.], et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville (avec l'aménageur [2], le préféré des LR du 92), à grand renfort de réunions publiques, plaquettes luxueuses dans toutes les boites aux lettres, grandes affiches permanentes et racoleuses sur les palissades des chantiers (tout ça bien évidemment payé par le contribuable) ».
3. Le tribunal correctionnel a relaxé Mme [Z] et a prononcé sur les intérêts civils.
4. Monsieur [L] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, infirmant le jugement entrepris, dit que Mme [Z] avait commis une faute civile, condamné Mme [Z] à payer M. [L] la somme de un euros à titre de dommages et intérêts, et a ordonné sous astreinte à Mme [Z] de supprimer de son Blog les propos suivants : « le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [?] et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville (avec l'aménageur [2], le préféré des LR du 92), à grand renfort de réunions publiques, plaquettes luxueuses dans toutes les boites aux lettres, grandes affiches permanentes et racoleuses sur les palissades des chantiers (tout ça bien évidemment payé par le contribuable) », alors :
« 1°/ que seule l'expression qui contient l'imputation d'un fait précis, susceptible d'être prouvé, et de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation ; que tel n'est pas le cas lorsque les propos incriminés ne sont que l'expression d'une opinion ou d'un jugement de valeur, a fortiori exprimé sur un mode satirique ; qu'en décidant que les propos « le maire-racoleur a pris le piédestal de vice-président sécurité de la Région pour vendre les gadgets pour la police municipale du catalogue [4], [.], et puis bien-sûr, le piédestal de maire pour faire accepter la promotion immobilière [3] sur [Adresse 6], plus que contestable, sous prétexte d'opération Coeur de Ville » imputaient des faits précis à la partie civile, à savoir « d'une part, de s'être fait nommer vice-président de la région Ile de France, afin de vendre les produits commercialisés par la société [4], la présentant comme un « camelot » de celle-ci et, d'autre part, d'avoir « pris » la fonction de maire afin de confier à une société privée, en lien avec les élus Les Républicains des Hauts-de-Seine, une opération immobilière en centre-ville », quand ces propos ne constituaient qu'un jugement de valeur sur l'intérêt des décisions litigieuses et les raisons ayant conduit à leur adoption, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Réponse de la Cour
Vu l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
6. Selon ce texte, est diffamatoire l'allégation ou l'imputation d'un fait précis et déterminé qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée.
7. Pour dire que Mme [Z] a commis une faute civile, susceptible d'être réparée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt attaqué énonce notamment que les propos litigieux imputent à la partie civile, d'une part, de s'être fait nommer vice-président de la région Ile-de-France, afin de vendre les produits commercialisés par la société [4], la présentant comme un « camelot » de celle-ci et, d'autre part, d'avoir « pris » la fonction de maire afin de confier à une société privée, en lien avec les élus Les Républicains des Hauts-de-Seine, une opération immobilière.
8. Les juges indiquent qu'il s'agit d'imputations précises, susceptibles de faire l'objet d'un débat probatoire, qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la partie civile en ce qu'il lui est reproché, à tout le moins, un comportement manifestement contraire aux obligations déontologiques d'un maire, si ce n'est la commission d'infractions pénales.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
10. En effet, les propos litigieux, qui se limitent à des jugements de valeur et à une critique sarcastique de l'action politique de M. [L], aux motifs qu'il fait la promotion de matériel sécuritaire et soutient par ailleurs un projet immobilier contesté, sans jamais prétendre ou suggérer qu'il ait reçu en retour une quelconque rétribution ou un avantage personnel de la part des entreprises concernées, ou faire état d'une quelconque illégalité du recours à ces entreprises, ne peuvent être qualifiés de diffamatoires.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 novembre 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-quatre.