Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 décembre 2023, 22-16.751, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 décembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 827 FS-B

Pourvoi n° N 22-16.751




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2023

Mme [E] [B], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 22-16.751 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant à la société Domaine Bouvet, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [B], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Domaine Bouvet, et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, M. David, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 24 mars 2022), par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 juin 2019, retournée avec la mention « pli avisé et non réclamé », Mme [B] (la bailleresse), propriétaire de parcelles de vigne données à bail à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine Bouvet (la preneuse), a mis en demeure cette dernière de payer les fermages dus au titre des années 2016 à 2018.

2. Par requête du 16 décembre 2019, elle a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail, en expulsion et en paiement des fermages.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail et ses demandes subséquentes, alors :

« 1°/ que les juges du fond, qui doivent en toutes circonstances faire observer et observer eux-mêmes le principe du contradictoire, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen qu'ils ont relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation du bail rural faute de justifier d'une mise en demeure notifiée ou signifiée à la SCEA Domaine Bouvet ou à son gérant, la cour d'appel a retenu qu'il résulte des dispositions des articles 668 et 669 du code de procédure civile que la date de la réception d'une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception est celle qui est apposée par l'administration de la poste lors de la remise à son destinataire, qu'en conséquence Mme [B] n'est pas fondée à soutenir que la lettre recommandée du 27 juin 2019, que la SCEA Domaine Bouvet n'a pas retirée, vaut mise en demeure ; qu'en fondant sa décision sur un tel moyen, sans inviter au préalable les parties à présenter des observations, quand aucune des parties ne l'avait invoqué dans ses conclusions soutenues à l'audience, la SCEA Domaine Bouvet, qui y avait seul intérêt, n'ayant pas même évoqué cette première mise en demeure, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en toute hypothèse, il incombe au destinataire, régulièrement avisé, d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception d'aller la retirer à la Poste ; qu'il s'ensuit que la mise en demeure de payer des fermages, prévue au 1° du I de l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, étant faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, est valablement délivrée et réputée faite à domicile ou à résidence dès lors qu'elle a été adressée au siège social du preneur, personne morale, qui en a été avisé mais n'a rien fait pour la retirer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [B] justifiait avoir envoyé à la SCEA Domaine Bouvet un courrier du 26 juin 2019 contenant mise en demeure de payer plusieurs termes de fermage sous peine de résiliation de son bail, ce par lettre recommandée du 27 juin 2019 adressée à son siège social à [Localité 1] ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation du bail rural, qu'elle ne justifierait pas d'une mise en demeure notifiée ou signifiée à la SCEA Domaine Bouvet ou à son gérant, la lettre recommandée du 27 juin 2019, qui n'avait pu être distribuée lors de sa présentation par les services postaux le 28 juin 2019, n'ayant pas été retirée par la SCEA Domaine Bouvet, ne pouvant valoir mise en demeure, quand elle avait elle-même constaté que la SCEA Domaine Bouvet n'avait entrepris aucune démarche pour prendre connaissance du courrier recommandé qui lui avait été régulièrement adressé à son siège social, la cour d'appel a violé les article L. 411-31 et R. 411-10 du code rural et de la pêche maritime ensemble les articles 668 et 669 du code de procédure civile ;

3°/ que le principe de bonne foi et de loyauté implique qu'une partie à un contrat, destinataire d'un courrier recommandé avec avis de réception expédié par son cocontractant, ne puisse se plaindre de ne pas avoir reçu une notification dès lors qu'il n'a pris aucune mesure lui permettant de prendre connaissance de la notification adressée par son cocontractant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [B] justifiait avoir envoyé à la SCEA Domaine Bouvet un courrier du 26 juin 2019 contenant mise en demeure de payer plusieurs termes de fermage sous peine de résiliation de son bail, ce par lettre recommandée du 27 juin 2019 adressée à son siège social à [Localité 1], que cette lettre recommandée n'a pu être distribuée lors de sa présentation par les services postaux le 28 juin 2019 et que la SCEA Domaine Bouvet ne l'a pas retirée ; qu'en retenant, pour débouter Mme [B] de sa demande en résiliation pour défaut de paiement du fermage, que celle-ci ne pourrait se prévaloir de la mise en demeure envoyée par courrier recommandé du 27 juin 2019 quand il ressortait de ses propres constatations que la SCEA Domaine Bouvet, régulièrement avisée de ce courrier et qui n'alléguait aucune cause justifiant son inaction, ne l'avait pas retiré à la Poste, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1104 du code civil ensemble les articles L. 411-31 et R. 411-10 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 411-31, I, 1°, du code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie de deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur, ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance, cette mise en demeure devant, à peine de nullité, rappeler les termes de ce texte.

5. Selon l'article R. 411-10 du même code, la mise en demeure prévue au 1° du I de l'article L. 411-31 précité est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

6. Il en résulte que cette mise en demeure, qui constitue un acte préalable obligatoire à l'exercice d'une action en résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages, a une nature contentieuse.

7. La cour d'appel, qui a constaté que la lettre recommandée du 26 juin 2019 n'avait pas été retirée, en a, à bon droit, déduit, sans violer le principe de la contradiction, ni méconnaître l'exigence de bonne foi posée par l'article 1104 du code civil, que les articles 668 et 669 du code de procédure civile trouvaient application et que la lettre ne valait pas mise en demeure.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à la société civile d'exploitation agricole Domaine Bouvet la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C300827
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