Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 décembre 2023, 22-86.871, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 22-86.871 F-D

N° 01480


ODVS
13 DÉCEMBRE 2023


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 DÉCEMBRE 2023



La société [Localité 2]-Diderot a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 15 novembre 2022, qui, dans l'information suivie contre MM. [R] [O], [W] [O] et [M] [J], des chefs de blanchiment aggravé, faux et usage, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [Localité 2] Diderot, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information ouverte le 24 août 2020 des chefs précités, le juge d'instruction a autorisé, conformément aux dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale, la saisie de la somme figurant sur le compte bancaire de la société [Localité 2]-Diderot à la banque BNP Paribas pour un montant de 29 737,38 euros.

3. Le 21 décembre 2021, il a ordonné le maintien de la saisie de cette somme.

4. La société [Localité 2]-Diderot a interjeté appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de maintien d'une saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire ouvert dans les livres de la BNP PARIBAS par la société [Localité 2] Diderot, pour un montant de 29 737,38 euros, alors :

« 1°/ que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ; que, lorsque plusieurs saisies sont prononcées afin de garantir la peine de confiscation encourue en raison des infractions poursuivies, c'est le montant de la totalité des sommes ou biens saisis qui doit être pris en compte, le montant total des saisies ne pouvant pas dépasser la valeur de la créance ou du bien susceptible de confiscation ; qu'il résulte des ordonnances de saisies du 22 décembre 2021 que le montant du produit direct et indirect des infractions poursuivies est de 7 438 441 euros ; qu'il résulte encore des pièces de la procédure que la valeur des biens immobiliers déjà saisis est estimé à 34 858 900 euros, soit près de cinq fois le montant des sommes suspectées d'avoir été blanchies ; qu'en jugeant que la saisie querellée d'un montant total de 29 737,38 euros est proportionnée au montant du produit direct et indirect des infractions, lorsqu'il lui appartenait de prendre en compte, afin d'apprécier la proportionnalité de la mesure et si le montant des sommes saisies n'excédait pas la valeur du produit des infractions, l'ensemble des saisies déjà pratiquées, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 706-141-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour

Vu les articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 706-141-1, 706-150 et 593 du code procédure pénale,

7. Il résulte du deuxième de ces textes que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation. Lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité soit à une partie de ceux-ci, chacun d'eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées, à la condition que la valeur totale des biens confisqués n'excède pas celle du produit total de cette ou de ces infractions.

8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence.

9. Pour confirmer l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte des éléments de la procédure des indices graves ou concordants laissant présumer l'implication de la société [Localité 2]-Diderot, détenue à hauteur de 20 % par la société Idc Invest dirigée par M. [M] [J], mis en examen, dans un vaste schéma de blanchiment en bande organisée.

10. Les juges précisent que M. [W] [O], également mis en examen, dirigeant d'Idc Invest, a mis en place un réseau d'opérations financières et d'acquisitions immobilières destinées à rapatrier depuis la société Gateway Ltd et à recycler des fonds provenant de contrats illicites réalisés au Cameroun pour un montant supérieur à 60 500 000 euros.

11.Ils indiquent que l'un des véhicules du blanchiment est constitué de la création, le 31 octobre 2016, de la société [Localité 2]-Diderot, dont ils excluent la bonne foi, de l'acquisition par celle-ci le 17 novembre 2016 au prix de 15 000 700 euros d'un ensemble immobilier de 101 lots situés [Adresse 1] à [Localité 2], et de la revente ou mise en location de certains lots, pour une opération immobilière générant un produit de près de 30 000 000 euros, précisant que ces phases sont indissociables entre elles.

12.Ils relèvent que le juge d'instruction a énoncé dans son ordonnance de saisie pénale immobilière du 22 mars 2022, qui porte sur les lots non encore vendus dont la valeur vénale, grevée d'un privilège de prêteur de deniers et d'hypothèques conventionnelles évalué à 4 293 774 euros, est estimée à 18 000 000 euros, que l'acquisition a été financée par des fonds propres à hauteur de 3 000 000 euros constitués à hauteur de 1 013 245,21 euros de fonds provenant de la société Idc Invest et de 2 030 490,41 euros de la société Financière d'Argenson, qui ont permis à la société [Localité 2]-Diderot de bénéficier d'un emprunt de 14 000 000 euros constitué d'un découvert autorisé n'entraînant aucun remboursement effectif pendant trois ans, dont le remboursement était assuré par la revente de certains lots ou leur mise en location.

13.Ils retiennent que les produits financiers ainsi générés constituent également le produit indirect de l'infraction de blanchiment.

14.Ils ajoutent que les activités commerciales de vente d'armes de M. [W] [O], inconnues du ministère des armées, et les recettes s'élèvent à un total de 65 539 467 euros occulté via ses sociétés off-shore, et que l'ensemble des saisies opérées dans le patrimoine de la société [Localité 2]-Diderot est proportionné au montant des sommes blanchies par M. [W] [O], la société Idc Invest, la société Excellim et la société Immobilière 3 Martel.

15. Ils concluent qu'en application de l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal, les sommes inscrites au crédit du compte bancaire de la société [Localité 2]-Diderot sont susceptibles de confiscation en valeur dans la limite du montant de cette somme qui constitue le produit direct ou indirect des infractions de blanchiment de tout délit et de blanchiment de fraude fiscale susceptibles de lui être reprochées, et que la saisie querellée d'un montant de 29 737,38 euros est par conséquent proportionnée au montant du produit tiré des infractions par cette société, dont les éventuelles difficultés financières sont indifférentes, dès lors qu'elles ne sont que la conséquence d'une activité découlant d'une opération de blanchiment et que la société est, elle-même, l'instrument d'un délit.

16. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à justifier le montant global du produit des infractions reprochées à la société [Localité 2]-Diderot, qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la valeur de l'ensemble des biens saisis n'excède pas ce produit, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 15 novembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR01480
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