Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 novembre 2023, 22-86.349, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° N 22-86.349 F-D

N° 01278


MAS2
7 NOVEMBRE 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 NOVEMBRE 2023




M. [K] [B], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 12 octobre 2022, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de M. [W] [T] des chefs de diffamation et injure publique envers une personne chargée d'un mandat public et injure publique à raison de l'orientation sexuelle.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [K] [B], les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. [W] [T], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 4 novembre 2019, des propos mettant en cause M. [K] [B] ont été publiés sur le site internet « www.ripostelaique.com ».

3. Le 4 février 2020, M. [B] a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et d'injure publique commises à raison de l'orientation sexuelle.

4. Par ordonnance en date du 26 avril 2021, le juge d'instruction a renvoyé M. [W] [T], en sa qualité de président et de directeur de publication du site internet mis en cause, devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.

5. Par jugement du 23 novembre suivant, le tribunal correctionnel a relaxé M. [T] du chef de diffamation publique, l'a déclaré coupable des autres chefs de prévention, l'a condamné à une amende de 1 000 euros, et a prononcé sur les intérêts civils.

6. M. [T], le ministère public, et M. [B], partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé le prévenu des fins de la poursuite, alors :

« 1°/ que le juge français est compétent pour connaître des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 réalisées au moyen d'un réseau de communication électronique commis au préjudice d'une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d'une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République ; qu'en ne s'estimant pas compétent pour connaître des propos diffamatoires et injurieux qualifiés poursuivis par la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [B], et diffusé sur le site internet ripostelaiquecom, cela en raison de l'incertitude sur le lieu d'émission des propos incriminés, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a méconnu les dispositions de l'article 113-2-1 du code pénal ;

2°/ qu'en tout état de cause, il résulte des pièces de la procédure et notamment de la plainte avec constitution de partie civile que M. [B], qui déclarait habiter à [Localité 1], poursuivait les infractions de diffamation et injure publiques envers un citoyen chargé d'un mandat public et d'injure à raison de l'orientation sexuelle le visant nommément commises par le site internet www.riposteIaique.com ; que ces faits constituant des délits commis envers un résident français par le moyen d'un réseau de communication électronique, ils étaient réputés commis sur le territoire français de sorte que le juge français est compétent pour en connaître; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article 113-2-1 du code pénal ;

3°/ que lorsque la responsabilité pénale du prévenu ne peut être engagée à raison de sa seule qualité de directeur de publication, il revient au juge correctionnel d'examiner si le prévenu n'est pas imputable au titre d'un autre mode de participation aux faits incriminés ; qu'en prononçant la relaxe de [W] [T], du seul fait qu'il n'était pas établi qu'il soit le directeur de la publication du site incriminé, sans rechercher si sa responsabilité ne pouvait être engagée à un autre titre, la cour d'appel n'a pas légalementjustífié sa décision au regard de l'artícle 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en ne recherchant pas si la participation personnelle du prévenu aux délits de presse poursuivis ne résultait pas de la qualité de directeur de publication que celui-ci reconnaissait assumer dans ses conclusions et qu'il s'attribuait dans le cadre de ses échanges avec la partie civile, ce qui permettait d'attester des faits d'aide et d'assistance sciemment commis aux infractions poursuivies, la cour d'appeI n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 121-1 du code pénal. »

Réponse de la cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Vu l'article 113-2-1 du code pénal :

8. Aux termes de ce texte, tout crime ou délit réalisé au moyen d'un réseau de communication électronique, lorsqu'il est tenté ou commis au préjudice d'une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d'une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur ledit territoire.

9. Pour relaxer M. [T], l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte des investigations policières et du procès-verbal de constat d'huissier versé aux débats par la partie civile que les propos incriminés ont bien été publiés,
le 4 novembre 2019, sur le site internet « ripostelaïque.com » mais que l'enquête policière, qui indique seulement que l'infraction a été commise en France, ne permet pas de déterminer de façon précise le lieu d'émission.

10. Les juges ajoutent que le seul fait que les propos aient été accessibles depuis le territoire français ne caractérise pas un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître.

11. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, pour les motifs qui suivent.

12. D'une part, il est constant que M. [B] réside en France, de sorte que les infractions poursuivies étaient réputées commises en France.

13. D'autre part, c'est en contradiction avec leur décision d'incompétence que les juges se sont ensuite prononcés sur la responsabilité pénale du prévenu.

14. D'où il suit que la cassation est encourue.

Et sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

15. Il résulte de ce texte que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Après avoir écarté, à juste titre, le régime de responsabilité de plein droit prévu par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui ne s'applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France, les juges ont retenu qu'il n'était pas établi que M. [T] soit le directeur de publication du site internet et ont écarté sa responsabilité de ce chef.

17. En prononçant ainsi, alors qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher, en appréciant le mode de participation du prévenu aux faits poursuivis dans les termes du droit commun, s'il avait contribué personnellement à la diffusion en France, sur un site internet édité à l'étranger, des propos litigieux, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

18. D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue.





PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 12 octobre 2022, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR01278
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