Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 octobre 2023, 22-86.347, Inédit
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 octobre 2023, 22-86.347, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 22-86.347
- ECLI:FR:CCASS:2023:CR01161
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 11 octobre 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 26 octobre 2022- Président
- M. Bonnal (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 22-86.347 F-D
N° 01161
GM
11 OCTOBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2023
Mme [L] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 26 octobre 2022, qui, pour blanchiment, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [L] [S], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [L] [S] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de blanchiment de fraude fiscale par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion.
3. Le tribunal l'a déclarée coupable d'avoir, entre le 9 juin 2010 et le 5 septembre 2017, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit en l'espèce en récupérant les espèces issues d'une activité non déclarée notamment par l'utilisation d'une caisse enregistreuse dont le chiffre d'affaires était occulté aux experts-comptables et aux services fiscaux, et en percevant des versements occultes en espèces relatifs à la location-gérance de l'établissement le « Franc-Tireur », également occultés auprès des experts-comptables et des services fiscaux, détenu des espèces pour un montant de 2 701 755 euros sans pouvoir en justifier la contrepartie par des éléments comptables, en l'espèce ceux relatifs à l'activité des deux établissements détenus ou gérés directement ou indirectement ne pouvant avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectifs de ces sommes.
4. Mme [S] a relevé appel de cette décision, le ministère public formant appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [L] [S] coupable de blanchiment, alors :
« 2°/ en tout état de cause que l'objet du délit blanchiment de fraude fiscale est constitué par le produit de cette fraude qui correspond à l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés ; qu'en retenant que les espèces conservées au domicile que Mme [L] [S] partageait avec ses parents et dans les coffres ouverts à leur nom à la banque étaient le « produit du délit primaire de fraude fiscale », tout en constatant qu'elles correspondaient à des recettes et revenus non déclarés à l'administration fiscale, ce dont il résultait qu'elles ne correspondaient pas à l'économie réalisée par la fraude et n'étaient donc pas le produit de celle-ci, la cour d'appel a méconnu les articles 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale :
6. Aux termes du premier de ces textes, constitue un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
7. Il se déduit des deux premiers que l'objet du délit de blanchiment de fraude fiscale, produit de la fraude fiscale, est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour déclarer la prévenue coupable de blanchiment de fraude fiscale par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion, l'arrêt attaqué, après avoir constaté qu'un montant total de 2 701 755 euros avait été découvert en espèces au domicile que Mme [S] partageait avec ses parents ainsi que dans des coffres bancaires ouverts à leurs noms, énonce notamment que les espèces ainsi conservées correspondent à l'assiette des recettes et revenus non déclarés à l'administration fiscale.
10. Les juges retiennent que les espèces ainsi retrouvées tant au domicile de la prévenue que dans les coffres sont le produit du délit primaire de fraude fiscale.
11. Après avoir rappelé que le fait de garder des liquidités à domicile ou dans un coffre ne caractérise pas à lui seul un acte de blanchiment, les juges considèrent qu'il en va cependant différemment lorsque le montant des espèces conservées issues de l'activité d'une société commerciale est caché aux experts-comptables et ne figure pas dans les livres comptables de la société.
12. Ils retiennent que les espèces sont demeurées à la disposition de la prévenue, et en concluent que cette détention à domicile ou dans des coffres caractérise des opérations de blanchiment par dissimulation.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas d'établir que le délit de blanchiment de fraude fiscale porte sur l'économie d'impôt permise par celle-ci, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 octobre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR01161
N° K 22-86.347 F-D
N° 01161
GM
11 OCTOBRE 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2023
Mme [L] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 26 octobre 2022, qui, pour blanchiment, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [L] [S], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [L] [S] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de blanchiment de fraude fiscale par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion.
3. Le tribunal l'a déclarée coupable d'avoir, entre le 9 juin 2010 et le 5 septembre 2017, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit en l'espèce en récupérant les espèces issues d'une activité non déclarée notamment par l'utilisation d'une caisse enregistreuse dont le chiffre d'affaires était occulté aux experts-comptables et aux services fiscaux, et en percevant des versements occultes en espèces relatifs à la location-gérance de l'établissement le « Franc-Tireur », également occultés auprès des experts-comptables et des services fiscaux, détenu des espèces pour un montant de 2 701 755 euros sans pouvoir en justifier la contrepartie par des éléments comptables, en l'espèce ceux relatifs à l'activité des deux établissements détenus ou gérés directement ou indirectement ne pouvant avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectifs de ces sommes.
4. Mme [S] a relevé appel de cette décision, le ministère public formant appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [L] [S] coupable de blanchiment, alors :
« 2°/ en tout état de cause que l'objet du délit blanchiment de fraude fiscale est constitué par le produit de cette fraude qui correspond à l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés ; qu'en retenant que les espèces conservées au domicile que Mme [L] [S] partageait avec ses parents et dans les coffres ouverts à leur nom à la banque étaient le « produit du délit primaire de fraude fiscale », tout en constatant qu'elles correspondaient à des recettes et revenus non déclarés à l'administration fiscale, ce dont il résultait qu'elles ne correspondaient pas à l'économie réalisée par la fraude et n'étaient donc pas le produit de celle-ci, la cour d'appel a méconnu les articles 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale :
6. Aux termes du premier de ces textes, constitue un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
7. Il se déduit des deux premiers que l'objet du délit de blanchiment de fraude fiscale, produit de la fraude fiscale, est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour déclarer la prévenue coupable de blanchiment de fraude fiscale par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion, l'arrêt attaqué, après avoir constaté qu'un montant total de 2 701 755 euros avait été découvert en espèces au domicile que Mme [S] partageait avec ses parents ainsi que dans des coffres bancaires ouverts à leurs noms, énonce notamment que les espèces ainsi conservées correspondent à l'assiette des recettes et revenus non déclarés à l'administration fiscale.
10. Les juges retiennent que les espèces ainsi retrouvées tant au domicile de la prévenue que dans les coffres sont le produit du délit primaire de fraude fiscale.
11. Après avoir rappelé que le fait de garder des liquidités à domicile ou dans un coffre ne caractérise pas à lui seul un acte de blanchiment, les juges considèrent qu'il en va cependant différemment lorsque le montant des espèces conservées issues de l'activité d'une société commerciale est caché aux experts-comptables et ne figure pas dans les livres comptables de la société.
12. Ils retiennent que les espèces sont demeurées à la disposition de la prévenue, et en concluent que cette détention à domicile ou dans des coffres caractérise des opérations de blanchiment par dissimulation.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas d'établir que le délit de blanchiment de fraude fiscale porte sur l'économie d'impôt permise par celle-ci, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 octobre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.