Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 28 septembre 2023, 22-15.236, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 663 FS-B

Pourvoi n° R 22-15.236







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2023

La société Twinkyco, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 6], a formé le pourvoi n° R 22-15.236 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2022 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société l'Etang du Manoir, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4],

2°/ à la société [Adresse 7], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 3],

défenderesses à la cassation.

La société civile immobilière l'Etang du Manoir et la société [Adresse 7] ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Twinkyco, de la SCP Spinosi, avocat de la société civile immobilière l'Etang du Manoir etla société [Adresse 7], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 juillet 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, conseiller, Mme Djikpa, conseiller référendaire ayant voix délibérative, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, Mme Besse, greffier de chambre ;

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 24 janvier 2022), la société Twinkyco a acquis, d'une part, de la société civile immobilière de L'Etang du manoir (la SCI), suivant contrat de réservation du 6 février 2006, des chambres et leur quote-part des parties communes dans une résidence pour personnes âgées dépendantes, d'autre part, de la société [Adresse 7], les biens mobiliers destinés à les garnir, cette opération bénéficiant d'un régime de défiscalisation.

2. Le même jour, la société Twinkyco a donné les biens à bail commercial à la société [Adresse 7] pour une durée de onze années et neuf mois, celle-ci étant chargée de la gestion de l'établissement et de la sous-location des chambres à des résidents.

3. L'acte authentique de vente a été établi le 18 octobre 2006.

4. Un second bail a été conclu le 1er janvier 2009 jusqu'au 30 septembre 2020.

5. Le 21 octobre 2013, les copropriétaires de la résidence ont été informés de la décision de la société [Adresse 7] de transférer l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dans une nouvelle construction à [Localité 3], seule capable d'abriter des lits supplémentaires.

6. Soutenant que l'utilisation de la résidence en EHPAD était une condition essentielle de son acquisition, la société Twinkyco, a assigné la SCI et la société [Adresse 7] en résiliation des ventes immobilière et mobilière aux torts des vendeurs, sur le fondement principal de la garantie d'éviction, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société Twinkyco fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en garantie d'éviction, alors :

« 1°/ que le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu ; qu'il doit en ce sens s'abstenir de tout acte remettant en cause la destination du bien telle qu'elle a été contractuellement fixée par les parties ; qu'en l'espèce, il résulte des différents contrats de vente que les biens acquis par la société Twinkyco l'ont été pour être exploités dans un EHPAD et il est constant que le transfert de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD vers un autre site résulte d'une décision volontaire des vendeurs ; que dès lors, en affirmant que le transfert de l'EHPAD ne constituait pas un trouble de droit ou de fait à la propriété des biens cédés à la société Twinkyco déclenchant le jeu de la garantie d'éviction du fait personnel, cependant que la destination des biens contractuellement fixée par les parties avait été unilatéralement modifiée par les vendeurs entraînant l'éviction, au moins partielle, de l'acquéreur, la cour d'appel a violé les articles 1625 et 1626 du code civil, ensemble l'article 1134 du même code dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que tout jugement doit être motivé et que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant, d'une part, que "la vente ne portait que sur les droits immobiliers et mobiliers dont les vendeurs étaient propriétaires, et n'emportait nullement cession au profit de l'acquéreur de l'autorisation d'exploiter un EHPAD" (arrêt, p. 8), tout en constatant, d'autre part, que le fait que les biens soient situés dans un ensemble immobilier destiné à un EHPAD constituait une condition essentielle de la vente (arrêt, p. 10), la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a relevé que l'acte authentique de vente mentionnait que les biens et droits immobiliers objet de la vente étaient destinés à l'activité commerciale de loueur en meublé dans une résidence d'habitation avec services, et comportait l'énonciation des autorisations administratives existantes relatives à l'exploitation de l'immeuble, dont l'arrêté de la préfecture d'Indre-et-Loire du 17 décembre 2001 autorisant la transformation d'un établissement existant en EHPAD, l'arrêté du conseil général du même jour autorisant l'exploitation de quarante-cinq lits, et deux arrêtés du maire de la commune du 21 janvier 2004 et du 1er mars 2005 maintenant l'autorisation d'ouverture au public.

10. Elle en a déduit que la société Twinkyco avait acquis des lots de copropriété dans un groupe d'immeubles à destination de maison de retraite, aux fins de louer des chambres en meublé.

11. Ayant retenu à bon droit que l'autorisation d'exploiter un EHPAD n'était attachée ni à l'immeuble ni à son propriétaire, mais à l'établissement médico-social exploité par la société [Adresse 7], et constaté que l'acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente, elle en a exactement déduit, sans contradiction, que le transfert de l'EHPAD [Adresse 7] ne constituait pas un trouble de fait ou de droit à la propriété des biens cédés à la société Twinkyco.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société Twinkyco fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement des venderesses à leur obligation pré-contractuelle d'information, alors :

« 1°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que l'intervention d'un mandataire chargé de commercialiser le bien au nom et pour le compte du vendeur ne dispense pas ce dernier de son obligation d'information ; qu'en affirmant, pour juger que les sociétés venderesses n'avaient pas méconnu leur obligation d'information, qu'elles n'avaient pas procédé elles-mêmes à la promotion et à la commercialisation d'une opération d'optimisation fiscale, réalisée par des professionnels de ce secteur, la cour d'appel a violé l'article 1602 du code civil ;

2°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu'en l'espèce, les sociétés venderesses avaient l'obligation d'appeler l'attention de l'acquéreur non professionnel sur la nécessité du maintien de l'autorisation administrative et donc sur la durée possiblement limitée de l'exploitation de L'EHPAD ; qu'en affirmant que les sociétés venderesses n'avaient pas méconnu leur obligation précontractuelle d'information sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si les acquéreurs avaient été informés du caractère temporaire de l'exploitation de l'immeuble en EHPAD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1602 du code civil ;

3°/ que le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige et que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu'en l'espèce, les sociétés venderesses avaient l'obligation d'appeler l'attention de l'acquéreur non professionnel sur la nécessité du maintien de l'autorisation administrative et donc sur la durée possiblement limitée de l'exploitation de l'EHPAD ; qu'en affirmant péremptoirement que ne pèse pas sur les vendeurs une obligation de conseil et d'information de l'acquéreur sur la rentabilité ou la pérennité de son investissement immobilier et sur les risques précisément encourus en cas de retrait de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD ou de congé délivré par le preneur, lorsque la loyauté contractuelle obligeait le vendeur à attirer l'attention de l'acquéreur sur le caractère temporaire de l'autorisation administrative, la cour d'appel a violé l'article 1602. »

Réponse de la Cour

14. La cour d'appel a relevé que l'acte authentique de vente stipulait que les biens devaient être loués par l'acquéreur au profit de la société [Adresse 7], qui assurerait la gestion de la maison de retraite, et énumérait les décisions administratives relatives à cette exploitation.

15. Elle a constaté que le contrat de bail commercial, conclu en même temps que la vente des biens immobiliers, pour une durée de onze ans et neuf mois à compter du 18 octobre 2006, stipulait que le preneur devrait se conformer aux prescriptions administratives et autres concernant l'activité de maison de retraite médicalisée et qu'il ferait son affaire de l'obtention et du maintien, pendant toute la durée du bail et ses éventuelles reconductions, de toutes les autorisations légales, administratives et réglementaires requises par la réglementation régissant les EHPAD, et mentionnait l'arrêté du 17 décembre 2001 autorisant l'exploitation, par la société [Adresse 7] de quarante-cinq lits dans le cadre d'un EHPAD.

16. Elle a pu en déduire que l'acquéreur était informé, lors de la vente, que seul l'exploitant était titulaire d'une autorisation d'exploitation en EHPAD, qu'il avait la possibilité de délivrer congé à l'issue de la période convenue et de quitter les lieux avec l'autorisation administrative dont il bénéficiait pour l'exploitation de l'établissement médico-social.

17. Elle a exactement retenu, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à l'intervention d'autres professionnels du secteur, sans être tenue de procéder à une recherche relative à l'information donnée sur le caractère temporaire de l'exploitation en EHPAD que ses constatations rendaient inopérante, que les venderesses n'avaient pas manqué à leur obligation pré-contractuelle d'information ni à la loyauté contractuelle.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Twinkyco aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Letourneur, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. ECLI:FR:CCASS:2023:C300663
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