Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 28 septembre 2023, 21-20.685, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2023




Rejet


Mme TAILLANDIER-THOMAS, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 967 FS-B

Pourvoi n° T 21-20.685







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2023


La société [2], société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-20.685 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6 - chambre 13), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Ile-de-France, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller, Mmes Coutou, Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Vigneras, Dudit, MM. Labaune, Montfort, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 juin 2021), la société [2] (la société) a fait l'objet d'un contrôle de l'URSSAF d'Ile-de-France (l'URSSAF) portant sur les années 2013 à 2015, qui a donné lieu à l'envoi d'une lettre d'observations du 2 novembre 2016, retenant divers chefs de redressement, puis d'une mise en demeure du 22 décembre 2016.

2. La société a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :

« 1°/ que les bons de souscription d'actions (BSA) sont des instruments financiers, valeurs mobilières, permettant de souscrire à une ou plusieurs actions dites sous-jacentes pendant une période donnée, dans une proportion et à un prix fixé à l'avance ; qu'étant acquis moyennant un investissement financier de la part de leur détenteur et disposant d'une valorisation qui varie en fonction de la valeur des actions auxquelles ils se rattachent, ils sont susceptibles de générer des profits comme des pertes ; que l'acquisition onéreuse de BSA constitue par nature un investissement financier et non un élément de rémunération assujetti à cotisations de sécurité sociale ; qu'elle ne constitue un avantage assujetti à cotisations sociales que lorsque les bons sont proposés aux dirigeants et salariés en contrepartie ou à l'occasion du travail et sont acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, ces deux exigences étant cumulatives ; que pour déduire que les BSA avaient été souscrits par les dirigeants et cadres de la société « en contrepartie ou à l'occasion du travail », la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions des articles 2-1 à 2-4 du contrat d'émission des BSA prévoyant l'émission exclusive des bons pour sept mandataires et salariés de la société « en raison de leur fonctions de dirigeant » et non au profit de tiers, sur la possibilité pour l'employeur d'en solliciter le remboursement en cas de départ, sur le fait que la souscription a été effective pour ces-derniers à une date où ils étaient dans les effectifs de la société, sur le caractère incessible des bons, sur leur absence de justification pour un motif ou une contrepartie d'un service-rendu autre que professionnel et sur le fait que « la plus-value d'acquisition [...] n'a été rendue possible que par l'existence d'un contrat de travail ou d'un mandat social lors de la souscription des bons » ; que de tels motifs sont cependant impropres pour déduire une corrélation entre la souscription des BSA et la relation de travail des sept personnes souscriptrices, dès lors qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que ces dernières avaient pu, pour certaines, conserver et exercer leur BSA au cour de périodes durant lesquelles elles avaient quitté les effectifs de la société, ce dont il s'induit que la souscription des bons était détachable de la relation de travail et n'était pas en corrélation avec celle-ci ; qu'en retenant néanmoins, pour valider le redressement, que les BSA ont été souscrits « en contrepartie ou à l'occasion du travail » et que « les droits attachés à la souscription des BSA étaient bien corrélés à l'existence d'une relation de travail et par suite la possibilité d'acquérir puis d'exercer les bons de souscription d'actions litigieux constitue un avantage », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 242-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale pris en sa version applicable au litige ;

2°/ que l'acquisition onéreuse de bons de souscription d'actions (BSA) par des salariés ou mandataires sociaux constitue un investissement financier exclu par nature de l'assiette des cotisations sociales, à moins qu'elle n'intervienne en contrepartie ou à l'occasion du travail et à des conditions préférentielles ; que seule caractérise de telles conditions préférentielles la souscription des BSA à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette souscription ; que la société a fait valoir dans ses conclusions que la souscription de BSA par sept de ses dirigeants et cadres salariés ne constituait pas un avantage salarial dès lors qu'elle n'était pas intervenue à des conditions tarifaires préférentielles au regard du prix de souscription des BSA ; que pour valider le redressement l'arrêt a néanmoins retenu que « les bons de souscription d'actions proposés par le conseil d'administration de la société aux sept dirigeants et cadres salariés de la société en contrepartie ou à l'occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, constituent un avantage qui entre dans l'assiette des cotisations sociales de la société », que l'investissement des dirigeants avait engendré une « économie de coût réalisé sur l'opération d'investissement » et qu'au jour de l'exercice des actions « l'aléa et le risque liés à la souscription ne s'étaient pas réalisés » ; qu'en statuant ainsi sans caractériser en quoi les BSA avaient été effectivement acquis par les dirigeants et salariés de la société à des conditions tarifaires préférentielles, et sans notamment constater qu'ils aient été souscrits à des prix inférieurs à la valeur du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 242-1, alinéa 1, du code de la sécurité sociale pris en sa version applicable au litige ;

3°/ à titre subsidiaire, que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à un avantage salarial est la mise à disposition effective de cet avantage à son bénéficiaire ; qu'en cas de requalification de la souscription de BSA en avantage salarial, c'est à la date où les personnes qui les ont souscrits en ont la libre disposition que naît le fait générateur de l'avantage retenu et que doit être fixée sa valeur ; que la société a fait valoir subsidiairement dans ses conclusions d'appel qu'à supposer que ses dirigeants et cadres ayant souscrit des BSA aient bénéficié d'un avantage, ce dernier devait être évalué à la date de libre disposition des bons, c'est à dire à la date du 7 septembre 2013, date à laquelle ces BSA sont devenus exerçables en vertu du contrat d'émission de bons ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que « l'avantage doit être évalué selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition » et que « les bénéficiaires pouvaient avoir la libre disposition des bons du 7 septembre 2013 au 7 septembre 2017 » ; qu'en validant néanmoins les modalités d'évaluation de l'avantage retenues par l'URSSAF et en décidant ainsi, en dépit de ses propres constatations, que l'avantage salarial retenu devait être évalué, non à la date du 7 septembre 2013 à laquelle les dirigeants et cadres souscripteurs ont eu la libre disposition des bons, mais aux dates ultérieures d'exercice respectif des BSA par chacun des dirigeants et salariés souscripteurs (du 7 septembre 2013 au 7 septembre 2017), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 242-1 alinéa 1 et R. 243-6 du code de la sécurité sociale pris en leur version applicable au litige ;

4°/ à titre subsidiaire, qu'en cas de requalification de la souscription de BSA en avantage salarial, l'avantage doit être évalué selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition ; que la date de libre disposition des BSA constitue un point fixe et non une période s'étirant dans le temps, de sorte que l'avantage doit être évalué au premier jour à compter duquel les souscripteurs des bons ont été libres de les exercer ; qu'en décidant néanmoins que « le contrat d'émission des bons de souscription d'actions prévoit en son article 4-2 « période d'exercice » que les bons de souscription d'actions étaient exerçables du 7 septembre 2013 au 7 septembre 2017. Au regard de cette disposition, il ne peut être retenu comme le soutient la société que l'avantage doit être évalué à la date du 7 septembre 2013, en tenant compte de la valeur des bons à cette dernière date, puisque les bénéficiaires pouvaient avoir la libre disposition des bons du 7 septembre 2013 au 7 septembre 2017 », déterminant ainsi la date d'évaluation de l'avantage retenu, non au premier jour de la libre disposition des bons par ses souscripteurs (le 7 septembre 2013), mais selon une période s'étirant dans le temps à compter de ce jour et en prenant en compte les dates ultérieures d'exercice respectif des bons par chacun des salariés ou mandataires souscripteurs, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1 alinéa 1 et R. 243-6 du code de la sécurité sociale pris en leur version applicable au litige ;

5°/ à titre subsidiaire, qu'en cas de requalification en salaire, c'est la souscription de BSA à des conditions pécuniaires préférentielles par rapport à leur valeur réelle qui est de nature à révéler l'existence d'un avantage ; qu'un tel avantage doit être évalué selon la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition, à concurrence de la différence entre le prix acquitté lors de la souscription et la valeur réelle du bon à cette date ; que sont en revanche sans incidence, pour l'évaluation de cet avantage, les gains ou pertes réalisés ultérieurement par les détenteurs des bons lors de leur exercice ; que la société a ainsi fait valoir, qu'en admettant que la souscription des bons soit requalifiée en avantage, sa valeur correspondait à la différence entre le prix acquitté pour l'achat des BSA par ses salariés et la valeur de ces bons au jour où ils en ont eu la libre disposition (le 7 septembre 2013) ; qu'en validant au contraire « l'évaluation de l'avantage selon la méthode adoptée par l'URSSAF précisée dans la lettre d'observations », c'est à dire en fonction de « la différence entre : d'une part la valeur de l'action au moment de son acquisition par le salarié, à savoir à la date où il a exercé ses BSA (la valeur de l'action retenue correspond à celle du dernier cours connu au jour de l'acquisition de l'action), et d'autre part le montant cumulé du prix d'acquisition du bon (prix de souscription) et du prix d'acquisition de l'action par le salarié (prix d'exercice) », et en se fondant ainsi pour fixer l'assiette du redressement de cotisations sociales, non sur la valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition, mais sur le montant des éventuelles plus-values réalisées lors de l'exercice respectif des bons, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1 alinéa 1 et R. 243-6 du code de la sécurité sociale pris en leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article L. 242-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale que, dès lors qu'ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons de souscription d'actions génèrent un avantage qui entre dans l'assiette des cotisations sociales.

5. Le caractère préférentiel des conditions d'attribution des bons de souscription d'actions résulte tant de la qualité de salariés ou de mandataires sociaux des bénéficiaires et de leur nombre limité que des conditions d'émission et de cessibilité des bons, les conditions financières de la souscription n'en constituant qu'un simple indice.

6. La Cour de cassation a jugé qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 242-1, alinéa 1er, et R. 243-6 du code de la sécurité sociale, que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage est la mise à disposition effective de l'avantage au salarié bénéficiaire, soit la date à laquelle il a eu la libre disposition des bons de souscription, et que l'avantage doit être évalué selon la valeur des bons à cette date (2e Civ., 4 avril 2019, pourvoi n° 17-24.470, publié au Bulletin).

7. Cette solution présente une difficulté s'agissant, d'une part, de la détermination de la date de libre disposition des bons de souscription dont l'exercice ou la cession s'opère non à une date fixe mais sur une période et, d'autre part, de la méthode d'évaluation des bons.

8. Elle conduit, en outre, à soumettre à cotisations un avantage théorique et non pas l'avantage réel correspondant au gain réalisé par le bénéficiaire, lors de la cession des bons de souscription, ou à l'économie faite lors de leur réalisation par l'acquisition d'actions.

9. Ces considérations amènent la Cour de cassation à juger désormais que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage s'entend de la date de cession ou de réalisation des bons de souscription d'actions, de sorte que l'avantage doit être évalué à cette date en fonction du gain obtenu ou de l'économie réalisée par le bénéficiaire.

10. L'arrêt relève qu'il résulte du contrat d'émission des bons de souscription d'actions que leur émission, décidée par le conseil d'administration de la société par délibération du 7 septembre 2009, l'a été au bénéfice exclusif de sept dirigeants, mandataires sociaux ou salariés de la société, pendant la période de souscription ouverte du 7 septembre au 31 décembre 2009 inclus, et que les bons de souscription d'actions n'étaient pas cessibles.

11. Il retient que les droits attachés à la souscription des bons étaient corrélés à l'existence d'une relation de travail, en sorte que la possibilité d'exercice des bons de souscription d'actions litigieux constitue un avantage qui doit entrer dans l'assiette des cotisations sociales, peu important que deux des dirigeants n'aient plus été au service de la société à la date à laquelle ils les ont exercés.

12. L'arrêt ajoute, pour déterminer la valeur de l'avantage, qu'il convient de prendre en compte la plus-value calculée pour chaque bénéficiaire à la date d'exercice effectif de ses bons de souscription d'actions, laquelle correspond à la différence entre, d'une part, la valeur de l'action à la date de son acquisition et, d'autre part, le prix d'acquisition du bon et celui de l'action.

13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que les bons de souscription d'actions proposés par le conseil d'administration de la société à ses sept dirigeants, en contrepartie ou à l'occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, généraient un avantage qui entrait dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale, dont elle a exactement déterminé le montant pour chaque bénéficiaire à la date d'exercice.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Condamne la société [2] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [2] et la condamne à payer à l'URSSAF d'Ile-de-France la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé en l'audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-trois par Mme Renault-Malignac, conseiller, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2023:C200967
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