Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 27 septembre 2023, 22-19.436, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 septembre 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 616 F-D

Pourvoi n° F 22-19.436




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 SEPTEMBRE 2023

La société Jules, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 22-19.436 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société B3J, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la société Colhom, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

3°/ à la société GM Textiles, société à responsabilité limitée,

4°/ à la société GM Textiles bis, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],

5°/ à la société JPoissy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

6°/ à la société SG H, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

7°/ à la société Commercial expansion (Comex), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Jules, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés B3J, Colhom, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Jules du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Commercial expansion (la société Comex).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 juin 2022), rendu en référé, en avril 2019, la société Jules, qui exploite un réseau de magasins de prêt-à-porter masculin, en propre ou sous forme de franchise, a annoncé à ses franchisées sa décision, à la suite de son plan de sauvegarde de l'emploi, de mettre fin à son modèle de distribution et d'adopter un système de commission-affiliation.

3. Par lettres du 20 décembre 2019, elle a notifié aux sociétés franchisées n'ayant pas répondu à cette proposition la rupture des relations contractuelles, à l'issue d'un préavis de 18 mois.

4. Les sociétés B3J, Colhom, Comex, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, franchisées, ont alors mis en demeure la société Jules de leur restituer les fichiers-clients puis ont assigné cette dernière en référé afin d'obtenir la restitution desdits fichiers.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Jules fait grief à l'arrêt de lui ordonner de restituer aux sociétés B3J, Colhom, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H l'intégralité des fichiers-clients leur appartenant, dans un format exploitable, sous astreinte, sauf à constater qu'au jour de l'arrêt, la société Jules avait remis l'intégralité des fichiers-clients aux sociétés B3J, Colhom, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, et de lui interdire d'utiliser les fichiers-clients appartenant aux sociétés B3J, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H et toutes les données les constituant, à compter du 31 juillet 2021, date de fin des contrats de franchise, sous astreinte, alors :

« 1°/ que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en première instance comme en appel, l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent s'apprécie à la date à laquelle le juge des référés se prononce ; qu'en confirmant l'ordonnance du premier juge qui avait retenu que la non-transmission par la société Jules de leurs fichiers-clients aux sociétés B3J, Colhom, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, causait à ces dernières un dommage imminent et constituait un trouble manifestement illicite, tout en constatant qu'à la date à laquelle elle se prononçait, la société Jules avait remis l'intégralité de leurs fichiers-clients à ces sociétés, la cour d'appel a violé l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

2°/ que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent s'apprécie à la date à laquelle le premier juge se prononce ; qu'en confirmant l'ordonnance rendue le 8 juillet 2021 par le premier juge, qui avait retenu que la non-transmission par la société Jules de leurs fichiers-clients aux sociétés B3J, Colhom, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, causait à ces dernières un dommage imminent et constituait un trouble manifestement illicite, en refusant de rechercher, comme excédant ses pouvoirs, si la société Jules n'avait pas transmis l'intégralité de leurs fichiers-clients à ces sociétés dès le 17 juin 2021, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. A cet effet, la juridiction des référés, tant en appel qu'en première instance, doit se placer, pour ordonner ou refuser ces mesures, à la date à laquelle elle prononce sa décision.

8. Toutefois, si la demande est devenue sans objet au jour où elle statue, il appartient à la cour d'appel de déterminer si cette demande était justifiée et si le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent existait au jour où le premier juge a statué.

9. L'arrêt constate que, les franchisés ayant contesté devant le juge des référés la qualité ou la complétude des fichiers qui leur avaient été adressés le 17 juin 2021, la société Jules a, le 15 juillet 2021, indiqué à chacun d'eux qu'un second fichier pouvait leur être envoyé sur demande écrite et officielle par retour de mail avant le lundi 19 juillet 2021, et qu'à défaut, il serait considéré que le premier transfert était validé, que par courriel officiel du 16 juillet 2021, le conseil des franchisés a indiqué au conseil de la société Jules que ses clients n'avaient toujours pas reçu leurs fichiers-clients dans leur intégralité et dans un format exploitable, qu'une nouvelle extraction avait été réalisée en présence d'un huissier de justice, chez le prestataire informatique de la société Jules, et que les fichiers avaient ensuite été remis aux franchisés selon procès-verbaux « de signification de clé USB contenant un fichier » des 28, 29 et 30 juillet 2021. Il en déduit que la société Jules a transmis aux franchisés, qui ne le contestent pas, les fichiers-clients, et que ceux-ci n'ont pas formulé de nouvelles réclamations depuis cette dernière extraction des données.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que le trouble illicite, né de la méconnaissance par la société Jules de son engagement contractuel de transmission aux franchisés de leurs fichiers-clients, existait au jour où le premier juge a statué, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée à la seconde branche, a confirmé l'ordonnance tout en constatant qu'au jour où elle statuait, la société Jules avait restitué aux sociétés franchisées l'intégralité des fichiers-clients en cause.

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

11. La société Jules fait grief à l'arrêt de lui interdire d'utiliser les fichiers-clients appartenant aux sociétés B3J, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H et toutes les données les constituant, à compter du 31 juillet 2021, date de fin des contrats de franchise, sous astreinte, alors :

« 1°/ que tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut statuer par voie de pure affirmation ; que la société Jules faisait valoir devant la cour d'appel que les sociétés franchisées ne rapportaient pas la preuve du dommage imminent qu'elles étaient susceptibles de subir en raison de l'exploitation par le franchiseur, au terme du contrat de franchise, des données des consommateurs ayant choisi de s'approvisionner au sein de son réseau, après en avoir remis une copie aux sociétés franchisées, dès lors que celles-ci quittaient le réseau et avaient souscrit une obligation de non-concurrence d'une année sur la zone prioritaire qui leur était attribuée par le contrat de franchise ; qu'en se bornant à affirmer, sans plus de précision, que la clause de non-concurrence était indifférente à la solution du litige, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en retenant qu'il existait un dommage imminent pour les sociétés franchisées qu'il convenait de prévenir en faisant interdiction au franchiseur d'utiliser les fichiers-clients leur appartenant ainsi que toutes les données les constituant, à compter du 31 juillet 2021, date de fin des contrats de franchise, et ce, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, la cour d'appel, qui n'a pas prescrit une mesure conservatoire ou de remise en état, peu important son caractère provisoire propre à toutes les mesures prescrites en référé, a violé l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

3°/ que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que les clients dont les données à caractère personnel sont contenues dans un fichier-clients ont la maîtrise de ces données en choisissant eux-mêmes, sans exclusivité, toutes les personnes pouvant les collecter, pour quelle durée et pour quelles finalités ; qu'en interdisant à la société Jules d'utiliser non seulement les fichiers-clients appartenant aux sociétés B3J, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H, mais aussi toutes les données les constituant, dont ces sociétés ne pouvaient être les propriétaires, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé le dommage imminent que cette mesure prévenait, a violé l'article 873, al. 1er, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. L'arrêt relève qu'il résulte de l'article 7.1.3 des contrats de franchise que le franchisé doit constituer un fichier-clients à première demande du franchiseur, que le franchiseur assure la gestion active du fichier-clients grâce à un droit d'usage et de jouissance de ce fichier que lui concède le franchisé, lequel en conserve toutefois la pleine propriété et que le franchisé est propriétaire de son fichier-clients et en assure les frais de constitution. Il ajoute que le contrat précise par ailleurs les conditions dans lesquelles le franchiseur pourra exercer un droit de préemption sur la cession du fichier-clients et que, si le contrat prévoit que le franchisé confie la maintenance du fichier-clients au franchiseur, le coût des opérations de maintenance est facturé au franchisé. L'arrêt retient qu'aucune clause contractuelle ne permet en revanche au franchiseur d'accéder aux fichiers-clients de ses franchisés, après la fin des contrats de franchise. L'arrêt retient ensuite, par motifs propres et adoptés, que dans sa lettre du 14 mai 2021 adressée au conseil des sociétés franchisées, le conseil de la société Jules a indiqué que celle-ci poursuivrait l'exploitation des données constituant ces fichiers-clients, nonobstant la fin de ses relations contractuelles avec les franchisés. Il ajoute qu'il ressort des pièces que la non-transmission des fichiers-clients par le franchiseur est une manoeuvre destinée à s'approprier le fichier-clients des franchisés pour assurer la promotion des nouveaux magasins à l'enseigne Jules qui s'implanteront sur les zones de chalandise des anciens franchisés.

13. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'existence d'un dommage imminent qu'il convenait de prévenir, résidant dans le risque d'une utilisation par le franchiseur des fichiers-clients de chacun des magasins franchisés, pour exploiter les données y figurant collectées par le franchisé, à l'expiration des contrats de franchise, et qui n'avait pas à répondre au moyen inopérant tiré de l'existence d'une clause de non-concurrence post-contractuelle, qui avait seulement pour effet de restreindre temporairement l'usage des données de ces fichiers par les franchisés eux-mêmes, a pu, sans excéder ses pouvoirs ni être tenue de limiter dans le temps la mesure ordonnée à titre provisoire, confirmer l'ordonnance en ce qu'elle avait fait interdiction au franchiseur, sous astreinte, d'utiliser les fichiers-clients appartenant aux franchisés et toutes données les constituant, à compter de la date de fin des contrats de franchise.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Jules aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Jules et la condamne à payer aux sociétés B3J, GM Textiles, GM Textiles bis, JPoissy et SG H la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00616
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