Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 septembre 2023, 22-13.485 22-13.486 22-13.487 22-13.488 22-13.489 22-13.490 22-13.491 22-13.492 22-13.493 22-13.497 22-13.498 22-13.499 22-13.502 22-13.503 22-13.504 22-13.505 22-13.506 22-13.507 22-13.508 22-
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 septembre 2023, 22-13.485 22-13.486 22-13.487 22-13.488 22-13.489 22-13.490 22-13.491 22-13.492 22-13.493 22-13.497 22-13.498 22-13.499 22-13.502 22-13.503 22-13.504 22-13.505 22-13.506 22-13.507 22-13.508 22-
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 22-13.485, 22-13.486, 22-13.487, 22-13.488, 22-13.489, 22-13.490, 22-13.491, 22-13.492, 22-13.493, 22-13.497, 22-13.498, 22-13.499, 22-13.502, 22-13.503, 22-13.504, 22-13.505, 22-13.506, 22-13.507, 22-13.508, 22-13.509, 22-13.510, 22-13.511, 22-13.512
- ECLI:FR:CCASS:2023:SO00901
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 20 septembre 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, du 20 janvier 2022- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 septembre 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 901 FS-B
Pourvois n°
N 22-13.485
P 22-13.486
Q 22-13.487
R 22-13.488
S 22-13.489
T 22-13.490
U 22-13.491
V 22-13.492
W 22-13.493
A 22-13.497
B 22-13.498
C 22-13.499
F 22-13.502
H 22-13.503
G 22-13.504
J 22-13.505
K 22-13.506
M 22-13.507
N 22-13.508
P 22-13.509
Q 22-13.510
R 22-13.511
S 22-13.512 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 SEPTEMBRE 2023
La société TW, venant aux droits de la société TA, anciennement dénommée société Aptalis Pharma, dont le siège est [Adresse 24], a formé les pourvois n° N 22-13.485, P 22-13.486, Q 22-13.487, R 22-13.488, S 22-13.489, T 22-13.490, U 22-13.491, V 22-13.492, W 22-13.493, A 22-13.497, B 22-13.498, C 22-13.499, F 22-13.502, H 22-13.503, G 22-13.504, J 22-13.505, K 22-13.506, M 22-13.507, N 22-13.508, P 22-13.509, Q 22-13.510, R 22-13.511 et S 22-13.512 contre vingt-trois arrêts rendus le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre) dans les litiges l'opposant respectivement à :
1°/ Mme [A] [ZT], épouse [U], domiciliée [Adresse 17],
2°/ Mme [C] [JB], épouse [I], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [R] [W], domiciliée [Adresse 21],
4°/ M. [K] [T], domicilié [Adresse 8],
5°/ Mme [SE] [P], domiciliée [Adresse 23],
6°/ Mme [BZ] [G], domiciliée [Adresse 13],
7°/ M. [LG] [J], domicilié [Adresse 12],
8°/ M. [NT] [F], domicilié [Adresse 18],
9°/ Mme [LN] [N], domiciliée [Adresse 16],
10°/ M. [BT] [S], domicilié [Adresse 7],
11°/ Mme [A] [L], domiciliée [Adresse 11],
12°/ M. [X] [D], domicilié [Adresse 9],
13°/ Mme [Y] [B], épouse [FX], domiciliée [Adresse 3],
14°/ M. [E] [PY], domicilié [Adresse 22],
15°/ Mme [LN] [WH], épouse [TD], domiciliée [Adresse 19],
16°/ M. [YM] [MM], domicilié [Adresse 14],
17°/ M. [H] [DS], domicilié [Adresse 5],
18°/ Mme [M] [ER], domiciliée [Adresse 15],
19°/ Mme [V] [O], veuve [KH], domiciliée [Adresse 20],
20°/ M. [XN] [VI], domicilié [Adresse 10],
21°/ Mme [RX] [NL], domiciliée [Adresse 2],
22°/ [IC] [ZL], domicilié [Adresse 6],
23°/ Mme [Z] [EY], domiciliée [Adresse 4],
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen de cassation commun.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la Sarl Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société TW, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [ZT] et des vingt-deux autres salariés, ainsi que l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller rapporteur référendaire, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, MM. Le Corre, Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-13.485 à 22-13.493, 22-13.497 à 22-13.499 et 22-13.502 à 22-13.512 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 janvier 2022), Mme [ZT] et vingt-deux autres salariés ont été engagés par la société Aptalis Pharma (la société), exerçant une activité de commercialisation de produits pharmaceutiques, devenue la société TA, aux droits de laquelle vient la société TW.
3. La société, alors filiale du groupe Allergan et dont l'associé unique était la société Axcan Invest, a été rachetée par le groupe Teva, le 2 août 2016, avec cession d'une partie majoritaire de ses produits à celui-ci et rétrocession préalable de produits au groupe Allergan, dans le cadre d'un contrat de distribution transitoire prévoyant la poursuite par la société de ses activités sur les produits exclus du périmètre de l'acquisition jusqu'au 31 décembre 2016. Ce projet de cession entraînant un déséquilibre immédiat de fonctionnement de la société, la cessation d'activité avec transfert au groupe Teva des cinq produits génériques demeurant dans son portefeuille était prévue au cours du premier trimestre 2017.
4. Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été signé, le 14 novembre 2016, entre la société et les organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoyait le licenciement résultant de la suppression des cinquante-et-un postes existants.
5. Cet accord a été validé, le 30 novembre 2016, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).
6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique, par lettres notifiées du 16 janvier 2017 au 12 mai 2017, en raison de la cessation complète et définitive de l'activité de la société.
7. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
8. La société fait grief aux arrêts de dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à payer à chaque salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par la société à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de trois mois et de la condamner à leur payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, qu'elle soit déjà effective au moment du licenciement ou qu'elle soit irrémédiablement engagée et intervienne dans un délai proche du licenciement ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan a été opérée en juin 2016 et qu'un contrat de distribution transitoire le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan pour une période du 2 août au 31 décembre 2016 ; que le "projet de cessation des activités de la société Aptalis Pharma remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016" indique que "pendant toute la durée du contrat, les salariés de la société Aptalis Pharma poursuivent leurs activités opérationnelles, les équipes commerciales continuant à promouvoir/commercialiser l'ensemble du portefeuille de produits et les équipes support continuant à fournir des services habituels au soutien de ses activités" ; que s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, selon document d'information remis au comité d'entreprise le 1er septembre 2016, "la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits (non cédés) au cours du premier trimestre 2017" ; que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés "n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017" ; qu'en décidant que le licenciement du 16 janvier 2017 était sans cause réelle et sérieuse, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations dont il ressortait que si la cessation complète et définitive d'activité de la société Aptalis Pharma n'était pas encore effective au moment du licenciement, le processus devant conduire à cette cessation d'activité était toutefois irrémédiablement engagé avant celui-ci et que la cessation complète et définitive d'activité était intervenue moins de trois mois plus tard, de sorte que le licenciement reposait bien sur cette cessation d'activité complète et définitive, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constituant en soi un motif économique de licenciement, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'employeur soit regardée comme totale et définitive, la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise s'appréciant au seul niveau de l'entreprise et non au sein du groupe auquel elle appartient ; qu'en retenant que la société Aptalis Pharma avait cédé deux produits à la société Teva Santé, filiale du groupe Teva qui devait en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter) et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'était accompagnée d'une "continuation active de leur exploitation" pour au moins deux d'entre eux avec transfert de plusieurs salariés, pour en déduire l'existence d'un "maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail", cependant que la société Aptalis Pharma ayant cessé toute activité en mars 2017, il importait peu que certains de ses produits aient continué à être exploités par une autre société du groupe auquel elle appartenait, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Il résulte de ce texte que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement.
10. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent, d'abord, que la cession de 100 % des titres de la société Axcan Invest au profit du groupe Teva a été opérée le 2 août 2016 pour 56,8 millions d'euros et que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan (produits princeps) a été opérée en juin 2016 tandis que le contrat de distribution transitoire conclu entre la société Aptalis Pharma et la société APIL (Allergan Pharmaceuticals Ireland Limited) le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan durant une période s'étendant entre le 2 août 2016 et le 31 décembre 2016. Ils ajoutent que, s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, soit les produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter, il ressort du document d'information remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016 que « la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter au cours du premier trimestre 2017. »
11. Ils retiennent, ensuite, qu'il découle de ces éléments que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits demeurés non cédés n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017 dans les termes du procès verbal des décisions de l'associé unique du 17 mai 2017 ce, alors même que le licenciement des salariés a été notifié le 16 janvier 2017.
12. Ils ajoutent, encore, que ces produits ont été cédés à la société Teva santé, société filiale du groupe Teva laquelle devait, dans les termes susvisés, en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter).
13. Ils concluent, enfin, que sachant que la société Aptalis Pharma faisait partie intégrante du groupe Teva depuis le 2 août 2016 et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'est accompagnée d'une continuation active de leur exploitation pour au moins deux d'entre eux avec un transfert de plusieurs salariés, il doit être retenu le maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail.
14. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la seule circonstance qu'une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d'activité de la société soit regardée comme totale et définitive et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que la cessation d'activité de l'entreprise était irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d'une activité résiduelle jusqu'au 31 mars 2017, nécessaire à l'achèvement de l'exploitation de certains produits avant leur cession à la société Teva santé, ne caractérisant pas une poursuite d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches
Enoncé du moyen
15. La société fait le même grief aux arrêts, alors :
« 3°/ que la cessation totale et définitive d'activité constituant un motif économique autonome de licenciement, il n'est pas nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité ni de la justifier par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ; que la légèreté blâmable à l'origine de la cessation d'activité de la société ne saurait donc être déduite de l'absence de difficultés économiques ou menaces pesant sur sa compétitivité ; qu'en l'espèce, en retenant que l'acquisition de la société, la rétrocession de différents actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une filiale "puis sa fermeture", visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise "sans justification de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe", cependant que la cessation d'activité complète et définitive et la fermeture de la société Aptalis Pharma constituaient une cause autonome de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
4°/ que la cessation complète de l'activité de l'employeur constitue une cause de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; que ne commet aucune faute ou légèreté blâmable la société contrainte économiquement de cesser ses activités ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, selon lesquelles les cessions d'activités en 2015 et 2016 devaient conduire à "une baisse du chiffre d'affaires de 66 % en 2017 par rapport à 2015 et logiquement à une structure de coûts déséquilibrés impliquant des pertes d'exploitation évaluées à 2 M euros en 2017 pour un chiffre d'affaires de 16,1 M euros ce qui ne permet[tait] pas de pérenniser son organisation sous sa forme actuelle" et que le démantèlement du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma créait un déséquilibre immédiat de fonctionnement de celle-ci, qui "n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des interactions et des synergies et par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi produits", ce dont il résultait que la société Aptalis Pharma n'avait d'autre choix que de cesser son activité et qu'aucune faute ou légèreté blâmable de l'employeur n'était à l'origine de cette cessation, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
5°/ que la faute ou légèreté blâmable de l'employeur doit résulter d'un comportement qui lui soit personnellement imputable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'acquisition de la société Aptalis Pharma, la rétrocession de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités dans une filiale puis sa fermeture visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justifier de difficultés économiques de cette dernière ou d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe ; qu'il ressort des procès-verbaux des réunions de la délégation unique du personnel et de la direction d'Aptalis Pharma que ses dirigeants se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président du 24 juin 2016 permettant de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a bénéficié du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment de l'entreprise ; que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts ; qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser une faute imputable personnellement à la société Aptalis Pharma, qui n'était responsable ni des décisions de son associé ni des choix stratégiques arrêtés au niveau du groupe mondial auquel elle appartenait, sur lesquels elle n'avait aucune prise, la faute de la société Aptalis Pharma étant d'autant plus exclue qu'elle s'était attachée à obtenir du nouvel actionnaire, le groupe Teva, les conditions d'un PSE amélioré et particulièrement avantageux pour ses salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
16. La cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur.
17. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent également, d'une part, que la société Aptalis Pharma présente depuis 2015 des résultats fortement bénéficiaires et une marge opérationnelle de 3,8 M euros sur les huit premiers mois de l'année 2016 et, d'autre part, que le démantèlement du portefeuille de ses produits crée un déséquilibre immédiat de fonctionnement puisqu'elle n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des intéractions et des synergies et, par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi-produits.
18. Ils constatent ensuite que l'acquisition de la société Aptalis Pharma apportera 6 Mds d'euros de ventes supplémentaires à la société Teva et une hausse mécanique de 30 % de son chiffre d'affaires entre 2015 et 2017, sa marge opérationnelle devant bondir de près de 50 % pour atteindre 9 Mds de dollars en 2018.
19. Ils retiennent que par l'acquisition de la société, la rétrocession de différents de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une de ses filiales puis sa fermeture, il a été uniquement recherché à améliorer la propre rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justification ni de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe.
20. Ils ajoutent qu'il ressort des procès-verbaux des réunions entre les membres de la délégation unique du personnel et la direction de la société Aptalis Pharma, que les dirigeants de cette dernière se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a néanmoins signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président en date du 24 juin 2016 permettant aussi de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a été rendue en outre bénéficiaire du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment même de l'entreprise.
21. Ils en déduisent que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts, ce qui traduit une légèreté blâmable et conduit également à retenir le défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture.
22. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de la société à l'origine de la cessation d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils mettent hors de cause la société Téva santé, les arrêts rendus le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne Mmes [ZT], [JB], [W], [P], [G], [L], [B], [ER], [EY], [N], [NL], [WH], [O] et MM. [T], [F], [PY], [MM], [DS], [VI], [J], [ZL], [S] et [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00901
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 septembre 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 901 FS-B
Pourvois n°
N 22-13.485
P 22-13.486
Q 22-13.487
R 22-13.488
S 22-13.489
T 22-13.490
U 22-13.491
V 22-13.492
W 22-13.493
A 22-13.497
B 22-13.498
C 22-13.499
F 22-13.502
H 22-13.503
G 22-13.504
J 22-13.505
K 22-13.506
M 22-13.507
N 22-13.508
P 22-13.509
Q 22-13.510
R 22-13.511
S 22-13.512 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 SEPTEMBRE 2023
La société TW, venant aux droits de la société TA, anciennement dénommée société Aptalis Pharma, dont le siège est [Adresse 24], a formé les pourvois n° N 22-13.485, P 22-13.486, Q 22-13.487, R 22-13.488, S 22-13.489, T 22-13.490, U 22-13.491, V 22-13.492, W 22-13.493, A 22-13.497, B 22-13.498, C 22-13.499, F 22-13.502, H 22-13.503, G 22-13.504, J 22-13.505, K 22-13.506, M 22-13.507, N 22-13.508, P 22-13.509, Q 22-13.510, R 22-13.511 et S 22-13.512 contre vingt-trois arrêts rendus le 20 janvier 2022 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre) dans les litiges l'opposant respectivement à :
1°/ Mme [A] [ZT], épouse [U], domiciliée [Adresse 17],
2°/ Mme [C] [JB], épouse [I], domiciliée [Adresse 1],
3°/ Mme [R] [W], domiciliée [Adresse 21],
4°/ M. [K] [T], domicilié [Adresse 8],
5°/ Mme [SE] [P], domiciliée [Adresse 23],
6°/ Mme [BZ] [G], domiciliée [Adresse 13],
7°/ M. [LG] [J], domicilié [Adresse 12],
8°/ M. [NT] [F], domicilié [Adresse 18],
9°/ Mme [LN] [N], domiciliée [Adresse 16],
10°/ M. [BT] [S], domicilié [Adresse 7],
11°/ Mme [A] [L], domiciliée [Adresse 11],
12°/ M. [X] [D], domicilié [Adresse 9],
13°/ Mme [Y] [B], épouse [FX], domiciliée [Adresse 3],
14°/ M. [E] [PY], domicilié [Adresse 22],
15°/ Mme [LN] [WH], épouse [TD], domiciliée [Adresse 19],
16°/ M. [YM] [MM], domicilié [Adresse 14],
17°/ M. [H] [DS], domicilié [Adresse 5],
18°/ Mme [M] [ER], domiciliée [Adresse 15],
19°/ Mme [V] [O], veuve [KH], domiciliée [Adresse 20],
20°/ M. [XN] [VI], domicilié [Adresse 10],
21°/ Mme [RX] [NL], domiciliée [Adresse 2],
22°/ [IC] [ZL], domicilié [Adresse 6],
23°/ Mme [Z] [EY], domiciliée [Adresse 4],
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, un moyen de cassation commun.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la Sarl Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société TW, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [ZT] et des vingt-deux autres salariés, ainsi que l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller rapporteur référendaire, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, MM. Le Corre, Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-13.485 à 22-13.493, 22-13.497 à 22-13.499 et 22-13.502 à 22-13.512 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 janvier 2022), Mme [ZT] et vingt-deux autres salariés ont été engagés par la société Aptalis Pharma (la société), exerçant une activité de commercialisation de produits pharmaceutiques, devenue la société TA, aux droits de laquelle vient la société TW.
3. La société, alors filiale du groupe Allergan et dont l'associé unique était la société Axcan Invest, a été rachetée par le groupe Teva, le 2 août 2016, avec cession d'une partie majoritaire de ses produits à celui-ci et rétrocession préalable de produits au groupe Allergan, dans le cadre d'un contrat de distribution transitoire prévoyant la poursuite par la société de ses activités sur les produits exclus du périmètre de l'acquisition jusqu'au 31 décembre 2016. Ce projet de cession entraînant un déséquilibre immédiat de fonctionnement de la société, la cessation d'activité avec transfert au groupe Teva des cinq produits génériques demeurant dans son portefeuille était prévue au cours du premier trimestre 2017.
4. Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été signé, le 14 novembre 2016, entre la société et les organisations syndicales représentatives. Cet accord prévoyait le licenciement résultant de la suppression des cinquante-et-un postes existants.
5. Cet accord a été validé, le 30 novembre 2016, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).
6. Les salariés ont été licenciés pour motif économique, par lettres notifiées du 16 janvier 2017 au 12 mai 2017, en raison de la cessation complète et définitive de l'activité de la société.
7. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
8. La société fait grief aux arrêts de dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à payer à chaque salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par la société à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de trois mois et de la condamner à leur payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, qu'elle soit déjà effective au moment du licenciement ou qu'elle soit irrémédiablement engagée et intervienne dans un délai proche du licenciement ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan a été opérée en juin 2016 et qu'un contrat de distribution transitoire le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan pour une période du 2 août au 31 décembre 2016 ; que le "projet de cessation des activités de la société Aptalis Pharma remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016" indique que "pendant toute la durée du contrat, les salariés de la société Aptalis Pharma poursuivent leurs activités opérationnelles, les équipes commerciales continuant à promouvoir/commercialiser l'ensemble du portefeuille de produits et les équipes support continuant à fournir des services habituels au soutien de ses activités" ; que s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, selon document d'information remis au comité d'entreprise le 1er septembre 2016, "la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits (non cédés) au cours du premier trimestre 2017" ; que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés "n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017" ; qu'en décidant que le licenciement du 16 janvier 2017 était sans cause réelle et sérieuse, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations dont il ressortait que si la cessation complète et définitive d'activité de la société Aptalis Pharma n'était pas encore effective au moment du licenciement, le processus devant conduire à cette cessation d'activité était toutefois irrémédiablement engagé avant celui-ci et que la cessation complète et définitive d'activité était intervenue moins de trois mois plus tard, de sorte que le licenciement reposait bien sur cette cessation d'activité complète et définitive, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constituant en soi un motif économique de licenciement, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'employeur soit regardée comme totale et définitive, la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise s'appréciant au seul niveau de l'entreprise et non au sein du groupe auquel elle appartient ; qu'en retenant que la société Aptalis Pharma avait cédé deux produits à la société Teva Santé, filiale du groupe Teva qui devait en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter) et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'était accompagnée d'une "continuation active de leur exploitation" pour au moins deux d'entre eux avec transfert de plusieurs salariés, pour en déduire l'existence d'un "maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail", cependant que la société Aptalis Pharma ayant cessé toute activité en mars 2017, il importait peu que certains de ses produits aient continué à être exploités par une autre société du groupe auquel elle appartenait, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Il résulte de ce texte que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement.
10. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent, d'abord, que la cession de 100 % des titres de la société Axcan Invest au profit du groupe Teva a été opérée le 2 août 2016 pour 56,8 millions d'euros et que la cession d'une partie du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma au groupe Allergan (produits princeps) a été opérée en juin 2016 tandis que le contrat de distribution transitoire conclu entre la société Aptalis Pharma et la société APIL (Allergan Pharmaceuticals Ireland Limited) le 2 août 2016 a organisé les modalités d'exploitation des produits ayant vocation à rejoindre le groupe Allergan durant une période s'étendant entre le 2 août 2016 et le 31 décembre 2016. Ils ajoutent que, s'agissant des activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits non cédés, soit les produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter, il ressort du document d'information remis aux membres du comité d'entreprise le 1er septembre 2016 que « la cessation de facto des activités de la société liées aux produits transférés au groupe Allergan entraîne un certain nombre de conséquences opérationnelles et organisationnelles qui aboutissent à la nécessité pour la société Aptalis Pharma de cesser l'exploitation des produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter au cours du premier trimestre 2017. »
11. Ils retiennent, ensuite, qu'il découle de ces éléments que les activités de la société Aptalis Pharma portant sur les produits demeurés non cédés n'ont vu cesser leur exploitation au sein de cette société que dans le courant du premier trimestre 2017, l'activité pharmaceutique de la société cessant le 31 mars 2017 dans les termes du procès verbal des décisions de l'associé unique du 17 mai 2017 ce, alors même que le licenciement des salariés a été notifié le 16 janvier 2017.
12. Ils ajoutent, encore, que ces produits ont été cédés à la société Teva santé, société filiale du groupe Teva laquelle devait, dans les termes susvisés, en poursuivre une exploitation dépassant la simple gestion d'une fin de cycle de vie pour au moins deux d'entre eux (Colobreathe et Flutter).
13. Ils concluent, enfin, que sachant que la société Aptalis Pharma faisait partie intégrante du groupe Teva depuis le 2 août 2016 et que la cession au sein du groupe de ses produits Delursam, Transulose, Transitol, Colobreathe et Flutter s'est accompagnée d'une continuation active de leur exploitation pour au moins deux d'entre eux avec un transfert de plusieurs salariés, il doit être retenu le maintien pour le moins partiel de son activité au sein du groupe en contravention avec les termes de l'article L. 1233-3 du code du travail.
14. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la seule circonstance qu'une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d'activité de la société soit regardée comme totale et définitive et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que la cessation d'activité de l'entreprise était irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d'une activité résiduelle jusqu'au 31 mars 2017, nécessaire à l'achèvement de l'exploitation de certains produits avant leur cession à la société Teva santé, ne caractérisant pas une poursuite d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches
Enoncé du moyen
15. La société fait le même grief aux arrêts, alors :
« 3°/ que la cessation totale et définitive d'activité constituant un motif économique autonome de licenciement, il n'est pas nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité ni de la justifier par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ; que la légèreté blâmable à l'origine de la cessation d'activité de la société ne saurait donc être déduite de l'absence de difficultés économiques ou menaces pesant sur sa compétitivité ; qu'en l'espèce, en retenant que l'acquisition de la société, la rétrocession de différents actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une filiale "puis sa fermeture", visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise "sans justification de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe", cependant que la cessation d'activité complète et définitive et la fermeture de la société Aptalis Pharma constituaient une cause autonome de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
4°/ que la cessation complète de l'activité de l'employeur constitue une cause de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; que ne commet aucune faute ou légèreté blâmable la société contrainte économiquement de cesser ses activités ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, selon lesquelles les cessions d'activités en 2015 et 2016 devaient conduire à "une baisse du chiffre d'affaires de 66 % en 2017 par rapport à 2015 et logiquement à une structure de coûts déséquilibrés impliquant des pertes d'exploitation évaluées à 2 M euros en 2017 pour un chiffre d'affaires de 16,1 M euros ce qui ne permet[tait] pas de pérenniser son organisation sous sa forme actuelle" et que le démantèlement du portefeuille de produits de la société Aptalis Pharma créait un déséquilibre immédiat de fonctionnement de celle-ci, qui "n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des interactions et des synergies et par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi produits", ce dont il résultait que la société Aptalis Pharma n'avait d'autre choix que de cesser son activité et qu'aucune faute ou légèreté blâmable de l'employeur n'était à l'origine de cette cessation, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
5°/ que la faute ou légèreté blâmable de l'employeur doit résulter d'un comportement qui lui soit personnellement imputable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'acquisition de la société Aptalis Pharma, la rétrocession de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités dans une filiale puis sa fermeture visaient à améliorer la rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justifier de difficultés économiques de cette dernière ou d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe ; qu'il ressort des procès-verbaux des réunions de la délégation unique du personnel et de la direction d'Aptalis Pharma que ses dirigeants se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président du 24 juin 2016 permettant de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a bénéficié du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment de l'entreprise ; que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts ; qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser une faute imputable personnellement à la société Aptalis Pharma, qui n'était responsable ni des décisions de son associé ni des choix stratégiques arrêtés au niveau du groupe mondial auquel elle appartenait, sur lesquels elle n'avait aucune prise, la faute de la société Aptalis Pharma étant d'autant plus exclue qu'elle s'était attachée à obtenir du nouvel actionnaire, le groupe Teva, les conditions d'un PSE amélioré et particulièrement avantageux pour ses salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3, 4°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
16. La cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur.
17. Pour juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent également, d'une part, que la société Aptalis Pharma présente depuis 2015 des résultats fortement bénéficiaires et une marge opérationnelle de 3,8 M euros sur les huit premiers mois de l'année 2016 et, d'autre part, que le démantèlement du portefeuille de ses produits crée un déséquilibre immédiat de fonctionnement puisqu'elle n'est plus en mesure de s'appuyer sur un portefeuille de produits interdépendants permettant des intéractions et des synergies et, par conséquent, l'emploi d'un personnel mixte et multi-produits.
18. Ils constatent ensuite que l'acquisition de la société Aptalis Pharma apportera 6 Mds d'euros de ventes supplémentaires à la société Teva et une hausse mécanique de 30 % de son chiffre d'affaires entre 2015 et 2017, sa marge opérationnelle devant bondir de près de 50 % pour atteindre 9 Mds de dollars en 2018.
19. Ils retiennent que par l'acquisition de la société, la rétrocession de différents de ses actifs au groupe Allergan, le transfert partiel de ses activités au profit d'une de ses filiales puis sa fermeture, il a été uniquement recherché à améliorer la propre rentabilité du groupe Teva au détriment de la situation économique et de la stabilité de l'emploi de l'entreprise sans justification ni de difficultés économiques de cette dernière ni d'une menace sur sa compétitivité au sein du groupe.
20. Ils ajoutent qu'il ressort des procès-verbaux des réunions entre les membres de la délégation unique du personnel et la direction de la société Aptalis Pharma, que les dirigeants de cette dernière se sont limités, le 13 octobre 2016, à observer que la cessation de l'activité ne relevait pas de leur choix sans répondre aux arguments du comité visant que la société a néanmoins signé les contrats de cession de ses produits et de son usine, le procès-verbal des décisions du président en date du 24 juin 2016 permettant aussi de relever que la société Axcan France, associée unique de la société Aptalis Pharma, a été rendue en outre bénéficiaire du produit de la cession de la vente des médicaments au groupe Allergan (soit 41,4 M euros) au détriment même de l'entreprise.
21. Ils en déduisent que la société Aptalis Pharma, notamment par le biais de son associé unique, a participé à la stratégie du groupe visant son démantèlement au détriment de ses intérêts, ce qui traduit une légèreté blâmable et conduit également à retenir le défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture.
22. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de la société à l'origine de la cessation d'activité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils mettent hors de cause la société Téva santé, les arrêts rendus le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne Mmes [ZT], [JB], [W], [P], [G], [L], [B], [ER], [EY], [N], [NL], [WH], [O] et MM. [T], [F], [PY], [MM], [DS], [VI], [J], [ZL], [S] et [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille vingt-trois.