Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 septembre 2023, 22-10.529 22-11.106, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 septembre 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 885 FP-B+R


Pourvois n°
Z 22-10.529
B 22-11.106 JONCTION




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023


I. L'Institut national des formations notariales (INFN), dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] a formé le pourvoi n° Z 22-10.529 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, (chambre 4-3) dans le litige l'opposant à Mme [U] [G], domiciliée [Adresse 1],

défenderesse à la cassation.

II. Mme [U] [G] a formé le pourvoi n° B 22-11.106 contre le même arrêt rendu entre les mêmes parties.

Le demandeur au pourvoi n° Z 22-10.529 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° B 22-11.106 invoque, à l'appui de son recours, huit moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'Institut national des formations notariales, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [G], et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Ott, Somme, M. Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.529 et 22-11.106 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2021), Mme [G] a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (l'Institut).

3. La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

4. S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

Examen des moyens

Sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et les quatrième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième à huitième moyens du pourvoi n° 22-11.106, qui sont irrecevables, et sur les trois moyens du pourvoi n° 22-10.529 et le quatrième moyen du pourvoi n° 22-11.106 qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017, alors « que le congé annuel prévu à l'article L. 3141-3 du code du travail ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence et, pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte de l'indemnité de congé de l'année précédente ; que les corrections des copies d'examen, des mémoires et des rapports de stage des étudiants de la licence professionnelle et leur soutenance constituent des tâches occasionnelles nécessitant, pour l'enseignant désigné, un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire qui a pour contrepartie un salaire brut supplémentaire, mentionnée dans les bulletins de salaire des mois concernés, en sus du salaire brut de base auquel il s'additionne pour le calcul du salaire brut mensuel ; qu'en retenant que les corrections de copies et "soutenances LP" ne devaient pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, cependant que ces tâches occasionnelles rétribuaient un travail effectif accompli sur un temps de travail supplémentaire justifiant qu'elles soient intégrées dans le calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-24 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Selon ces textes, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congé payé est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail.

8. Pour limiter à certaines sommes la condamnation de l'employeur au paiement de rappels d'indemnité de congé payé, l'arrêt retient que la correction de copies et « soutenances LP » ne doivent pas être intégrées dans le calcul de l'indemnité de congé payé.

9. En statuant ainsi, alors que la rémunération de la correction des copies et des « soutenances LP » est versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors « que le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et que la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en oeuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer, pour débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, introduite après que l'employeur ait mis fin à leur relation, que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'employeur avait démontré avoir accompli toutes diligences pour mettre la salariée en mesure d'exercer son droit aux congés payés et l'avoir informée des droits s'y rapportant, bien qu'elle ait constaté que, conformément aux textes supranationaux et nationaux, Mme [G], en sa qualité de salariée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avait un droit au repos et au paiement d'une indemnité dont elle n'avait pas bénéficié, a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté et d'effectivité du droit de l'Union Européenne, de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 tels qu'interprétés par la CJUE concernant les congés payés, l'article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi, et de l'article L. 3141-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 21-V de cette même loi, L. 223-11, devenu L. 3141-22, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 et L. 3141-24 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Selon le premier de ces textes, l'action en paiement du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil.

12. Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans conformément à l'article 2244 du code civil.

13. Aux termes du troisième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

14. Selon le quatrième, les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

15. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congé payé, qui est de nature salariale, doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

16. Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE, arrêt du 22 septembre 2022, LB, C-120/21, points 45 et 48).

18. Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit (même arrêt).

19. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

20. Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.

21. Pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, l'arrêt retient que l'action en paiement de l'indemnité de congé payé est soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires et que, dès lors, la demande en paiement de la salariée n'est recevable que pour partie.

22. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-11.106

Enoncé du moyen

23. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, alors « que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ; qu'en retenant, pour rejeter la demande en paiement des indemnités pour la période de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvrait pas droit à congés payés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et L. 1152-3 du code du travail :

24. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

25. Aux termes du deuxième de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ou les avoir relatés.

26. Aux termes du dernier, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

27. Le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.

28. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 1er juin 2018 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, retient que l'indemnité d'éviction ayant la nature d'une réparation et non d'une remise en état, la période d'éviction n'ouvre pas droit à congé payé.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. La cassation des chefs de dispositif relatifs aux demandes en paiement de rappels d'indemnité de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'Institut national des formations notariales aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-10.529 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 6 042,77 euros bruts, 7 088 euros bruts et 6 939,50 euros bruts la condamnation de l'Institut national des formations notariales au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018 et rejette les autres demandes au titre des indemnités de congé payé, l'arrêt rendu le 26 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne l'Institut national des formations notariales aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par l'Institut national des formations notariales et le condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:SO00885
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