Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 21-10.905 21-11.041, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 juillet 2023




Rejet


,



Arrêt n° 485 FS-D


Pourvois n°
N 21-10.905
K 21-11.041 JONCTION



Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [N] [I].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 mai 2021.

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [S] [I].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 mai 2021.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023


I-1°/ M. [T] [L],

2°/ Mme [B] [X], épouse [L],

3°/ M. [P] [L],

4°/ Mme [C] [L],

domiciliés tous quatre [Adresse 7],

5°/ Mme [A] [I],

6°/ Mme [R] [I],

domiciliées toutes deux [Adresse 5],

ont formé le pourvoi n° N 21-10.905 contre un arrêt rendu le 4 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Chambre 2-4), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [N] [I],

2°/ à Mme [S] [I],

domiciliées toutes deux [Adresse 6],

3°/ à Mme [F] [E],

4°/ à Mme [G] [E],

domiciliées toutes deux [Adresse 3] (Afrique du Sud),

5°/ à association le Fonds de dotation de contribuables associés, dont le siège est [Adresse 1],

6°/ à association Institut pour la justice, dont le siège est [Adresse 2],

7°/ à La Mondiale Europartner, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4] (Luxembourg),

8°/ à Mme [Y] [J], domiciliée [Adresse 8] (Portugal),

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui du pourvoi, deux moyens de cassation.

II- Mme [Y] [J], a formé les pourvois n° K 21-11.041 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [N] [I],

2°/ à Mme [S] [I],



3°/ à M. [P] [L],

4°/ à Mme [B] [X], épouse [L],

5°/ à M. [T] [L],

6°/ à Mme [R] [I],

7°/ à Mme [A] [I],

8°/ à Mme [C] [L],

9°/ à Mme [F] [E],

10°/ à Mme [G] [E],

11°/ à l'association le Fonds de dotation de contribuables associés,

12°/ à l'association Institut pour la justice,

13°/ à la société La Mondiale Europartners,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de MM. [P] et [T] [L], de Mme [X], de Mme [C] [L], de Mmes [A] et [R] [I], de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [J], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mmes [N] et [S] [I], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de La Mondiale Europartner et de la société La Mondiale Europartners, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mmes [F] et [G] [E], et l'avis de Mme Caron-Déglise , avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Dard, Beauvois et Agostini, MM. Duval, Buat-Menard et Mme Daniel, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 21-10.905 et K 21-11.041 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 novembre 2020), [M] [I] est décédé le 20 novembre 2016, à [Localité 9] (Portugal), en laissant pour lui succéder ses deux filles, [N] et [S], nées de sa première union, et son épouse, Mme [J].

3. Les 21 mai 2014 et 13 janvier 2015, il avait souscrit un contrat d'assurance sur la vie auprès de la société La Mondiale Europartner (l'assureur) et désigné comme bénéficiaires, outre Mme [J], M. [L] et Mme [X] et leurs enfants mineurs, [C] et [P], Mmes [R] et [A] [I] (les consorts [L]-[X]-[I]), Mmes [F] et [G] [E], l'association le Fonds de dotation de contribuables associés et l'association Institut pour la Justice.

4. Soutenant que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au jour de son décès, Mmes [S] et [N] [I], représentées par leur mère, Mme [W], en sa qualité de tutrice, ont assigné Mme [J] en partage de la succession devant une juridiction française. Elles ont également assigné en intervention forcée les autres bénéficiaires du contrat d'assurances sur la vie. L'assureur est intervenu volontairement à l'instance.

5. Mme [J] a soulevé l'incompétence du juge français.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° N 21-10.905

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable, et sur le moyen, pris en sa seconde branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi n° N 21-10.905 et le moyen du pourvoi n° K 21-11.041 réunis

Enoncé du moyen

7. Par leur second moyen, les consorts [L]-[X]-[I] font grief à l'arrêt de dire qu'au jour du décès, [M] [I] n'avait pas établi de manière stable et effective sa résidence habituelle au Portugal et de dire en conséquence que la juridiction française était compétente pour connaître du présent litige, alors :

« 1°/ qu'il y a fraude à la loi lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit « dans le seul but » de le soustraire à la loi normalement compétente ; que la fraude suppose un élément matériel, résidant dans la manipulation destinée à échapper à la loi normalement applicable, un élément légal qui réside dans les dispositions que l'on cherche à contourner et un élément intentionnel qui doit avoir été déterminant ; qu'il n'y a pas fraude si la modification du rapport de droit s'explique par d'autres considérations que celle d'éluder les dispositions impératives qui lui étaient applicables ; qu'en relevant en l'espèce, que le défunt avait tout mis en oeuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance-vie, pour juger que l'objectif poursuivi par M. [I] était de voir appliquer la loi portugaise à la succession, quand elle avait pourtant relevé la présence régulière du couple [I]-[J] au Portugal, qui avait fait le choix d'établir leur nouveau domicile en 2016 au Portugal où ils avaient de nombreuses relations et d'apprendre le portugais, lorsque M. [I] était guéri de son cancer et ne présentait pas de signe de récidive, après plusieurs séjours à compter de 2014, de sorte que le changement de résidence s'expliquait par une motivation autre que celle de changer de loi successorale et que la diminution de la part accordée aux héritières réservataires n'était qu'une conséquence de la modification du facteur de rattachement mais que celle-ci n'avait pas été faite dans ce seul but, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 4 du Règlement européen du 4 juillet 2012 et du considérant 26 de son préambule ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ;

2°/ qu'il y a fraude à la loi lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit « dans le seul but » de le soustraire à la loi normalement compétente ; que la fraude suppose un élément matériel, résidant dans la manipulation destinée à échapper à la loi normalement applicable, un élément légal qui réside dans les dispositions que l'on cherche à contourner et un élément intentionnel qui doit avoir été déterminant ; qu'il n'y a pas fraude si la modification du rapport de droit s'explique par d'autres considérations que celle d'éluder les dispositions impératives qui lui étaient applicables ; qu'en relevant que le défunt avait tout mis en oeuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance-vie, pour juger que l'objectif poursuivi par M. [I] était de voir appliquer la loi portugaise à la succession, sans caractériser le fait que la modification de sa résidence n'avait été faite que dans ce seul but, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au principe selon lequel la fraude corrompt tout ;

3°/ que, subsidiairement, il y a fraude à la loi lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit dans le seul but de le soustraire à la loi normalement compétente ; que la fraude suppose un élément matériel, résidant dans la manipulation destinée à échapper à la loi normalement applicable, un élément légal qui réside dans les dispositions que l'on cherche à contourner et un élément intentionnel qui doit avoir été déterminant ; qu'il n'y a pas fraude si la modification du rapport de droit s'explique par d'autres considérations que celle d'éluder les dispositions impératives qui lui étaient applicables ; que la survenance d'une maladie constitue souvent un élément déclencheur pour modifier certains éléments de son existence sans que le changement soit nécessairement constitutif d'une fraude ; qu'il n'y a pas de droit acquis à une succession ; que le versement du produit d'une vente d'un bien immobilier sur un contrat d'assurance-vie est licite et que l'aléa propre à ce contrat permet au souscripteur, jusqu'à la date de son décès, de racheter le capital ou de modifier le nom des bénéficiaires ; que, pour retenir que le défunt avait tout mis en oeuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance vie, de sorte que l'objectif poursuivi était de voir appliquer la loi portugaise à sa succession, la cour a jugé qu'il « existe une évidente concomitance entre l'apparition du cancer du sein d'[M] [I] en 2014 et les premiers séjours du couple au Portugal » et que c'est « à partir de la connaissance de cette maladie qu'il a commencé à liquider son patrimoine immobilier en France pour placer une partie du produit de ces ventes sur un contrat d'assurance vie qui n'était pas au bénéfice de ses héritières réservataires » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser l'élément intentionnel de la fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du considérant 26 et de l'article 4 du Règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successions internationales ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

8. Par son moyen, Mme [J] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; que la résidence habituelle s'apprécie au regard de l'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès, et notamment de la durée et de la régularité de la présence du défunt dans l'Etat concerné ainsi que des conditions et des raisons de cette présence, la résidence habituelle devant révéler un lien étroit et stable avec l'Etat concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [I], qui s'était installé définitivement au Portugal en 2016, y avait effectué plusieurs séjours avec Mme [J] à compter de l'année 2014, qu'il était alors guéri de son cancer du sein et ne présentait aucun signe de récidive, qu'il s'était inscrit à des cours de portugais et y avait noué des relations amicales, et que son décès survenu en novembre 2016 était consécutif à un infarctus (arrêt, p. 11, § 8 et 9 ; p. 12, § 3 et 6 ; p. 13, § 3-4) ; qu'en jugeant néanmoins les juridictions françaises compétentes pour connaître de la succession de M. [I], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait qu'il avait sa dernière résidence habituelle au Portugal, et a ainsi violé l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 ;

2°/ que sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; que la résidence habituelle s'apprécie au regard de l'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès, et notamment de la durée et de la régularité de la présence du défunt dans l'Etat concerné ainsi que des conditions et des raisons de cette présence, la résidence habituelle devant révéler un lien étroit et stable avec l'Etat concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 ; que la circonstance que le changement de résidence du défunt pouvait lui permettre d'éviter l'application des dispositions impératives de la loi de son ancienne résidence, quand bien même elle aurait en partie motivé le choix du défunt de changer de résidence, n'est pas de nature à empêcher la caractérisation d'un changement de résidence habituelle, dès lors que la nouvelle résidence reflète un lien effectif et stable du défunt avec l'Etat concerné ; qu'en l'espèce, pour juger les juridictions françaises compétentes pour connaître du litige relatif à sa succession, la cour d'appel a estimé qu'il « existe une évidente concomitance entre l'apparition du cancer du sein d'[M] [I] en 2014 et les premiers séjours du couple au Portugal », que c'est « à partir de la connaissance de cette maladie qu'il a commencé à liquider son patrimoine immobilier en France pour placer une partie du produit de ces ventes sur un contrat d'assurance vie qui n'était pas au bénéfice de ses héritières réservataires », que « l'objectif poursuivi était de voir appliquer la loi portugaise à la succession » et que « le défunt a tout mis en oeuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance-vie » (p.14 § 2,3 et 5) ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure la caractérisation de la résidence habituelle de M. [I] au Portugal dès lors qu'il ressortait de ses constatations que M. [I] s'y était effectivement installé, la cour d'appel a violé l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

10. Selon le considérant 23 de ce règlement, afin de déterminer la résidence habituelle, l'autorité chargée de la succession doit procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence, la résidence habituelle ainsi déterminée devant révéler un lien étroit et stable avec l'État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du règlement.

11. Après avoir constaté que [M] [I] ne s'était installé au Portugal qu'à compter du 28 juin 2016 et qu'étant décédé le 20 novembre 2016, il n'y avait résidé que moins de cinq mois, la cour d'appel a relevé que celui-ci avait entrepris très tardivement d'apprendre le portugais, qu'au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s'il était propriétaire avec son épouse d'au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France et que l'examen des nombreuses attestations produites révèlait que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie, étaient domiciliés en France.

12. La cour d'appel en a souverainement déduit qu'à la date de son décès, [M] [I] avait sa résidence habituelle en France et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne M. [L] et Mme [X], tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, [C] et [P], Mmes [R] et [A] [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C100485
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