Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.387, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 juillet 2023, 21-23.387, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 21-23.387
- ECLI:FR:CCASS:2023:SO00805
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 05 juillet 2023
Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, du 01 septembre 2021- Président
- M. Sommer
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 805 FS-B
Pourvoi n° E 21-23.387
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
M. [U] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-23.387 contre l'arrêt rendu le 1er septembre 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Alpha mandataires judiciaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Lehericy Hermont, prise en qualité de liquidateur de la société CF Management Holding,
2°/ à la société Alpha mandataires judiciaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Lehericy Hermont, prise en qualité de liquidateur de la société Astriam régions,
3°/ à la société V&V, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Astriam régions,
4°/ à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA d'[Localité 5], dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La société Alpha mandataires judiciaires, prise en qualité de liquidateur de la société CF Management Holding, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, huit moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [R], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Alpha mandataires judiciaires, ès qualités, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 1er septembre 2021), M. [R] a été engagé en qualité de directeur général du développement et marketing, à compter du 1er novembre 2016, par la société CF Management Holding, appartenant au groupe Astriam, suivant contrat de travail « à forfait réduit », soumis à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999.
2. Se plaignant des conditions d'exécution de son contrat de travail et invoquant une situation de co-emploi avec la société Astriam régions, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 9 octobre 2017 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul.
3. Le 12 février 2018, il a été licencié.
4. Par jugements des 4 mars et 15 juillet 2020, les sociétés Astriam régions et CF Management Holding, respectivement, ont été placées en liquidation judiciaire et la société Lehericy-Hermont, aux droits de laquelle se trouve la société Alpha mandataires judiciaires, a été désignée en qualité de liquidatrice de chacune.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal du salarié
Énoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à fixer au passif de la société CF Management Holding un rappel de salaire au titre du minimum conventionnel pour la période comprise entre novembre 2016 et mars 2017, alors « que M. [R] faisait valoir que pour la période comprise entre le 1er novembre 2016 et le 30 mars 2017, la rémunération qu'il avait perçue, d'un montant de 1 460 euros en contrepartie d'un forfait jour réduit de 147 jours, était inférieure au minimum conventionnel rapporté à ce nombre de jours ; qu'en le déboutant de sa demande de rappel de salaire fondée sur les minima conventionnels sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel n'ayant pas statué sur ce chef de demande, le moyen dénonce en réalité une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
8. En conséquence, le moyen n'est pas recevable.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement ayant jugé que la convention de forfait en jours n'était pas opposable et de le débouter de ses demandes tendant à juger la convention de forfait en jours nulle ou à tout le moins privée d'effet, à fixer au passif de la société CF Management Holding diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie en repos et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et des droits au repos, d'indemnité au titre de ses temps de trajet excédentaires, d'indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et à juger nul son licenciement, avec les conséquences indemnitaires afférentes, alors « que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'en jugeant que tel était le cas de l'accord de branche du 11 avril 2000 pris dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, lorsque ce dernier se borne à rappeler en son article 2.8.3 que les cadres soumis à un forfait jours doivent bénéficier d'un repos quotidien de 11 heures consécutives et d'un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, et à prévoir qu'un contrôle du nombre de jours travaillés sera effectué par l'établissement d'un document récapitulatif pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, et qu'un entretien aura lieu avec leur supérieur hiérarchique au cours duquel sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant, lesquelles devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés, afin de permettre un équilibre satisfaisant entre la vie professionnelle et la vie personnelle du cadre concerné, ce qui ne permet pas de garantir au salarié un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, les articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article L. 3121-64, II, du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail, alors en vigueur, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
10. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
11. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
12. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
13. Pour dire la convention de forfait en jours opposable au salarié et débouter ce dernier de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, de contrepartie en repos et de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et non-respect du droit au repos, l'arrêt retient qu'il n'est pas utilement contesté que la convention collective applicable prévoit notamment un rappel du repos quotidien de onze heures consécutives, un rappel du temps de repos hebdomadaire égal à trente-cinq heures consécutives, un contrôle du nombre de jours travaillés, l'établissement d'un document récapitulatif par le salarié des jours de repos, la mise en place d'un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoqués l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et la charge de travail en résultant, ainsi que l'obligation de respecter un équilibre satisfaisant entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Il conclut que l'ensemble de ces dispositions, contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, est conforme aux exigences jurisprudentielles et légales.
14. En statuant ainsi, alors que l'article 2.8.3. de l'accord du 11 avril 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, attaché à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, qui se borne à prévoir que l'employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l'établissement d'un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail, ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, et que les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d'un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes tendant à la fixation de sa créance au titre des dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, limitant la créance du salarié à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de préavis, outre congés payés afférents, ordonnant la remise de documents de fin de contrat conformes et fixant la créance de remboursement des indemnités de chômage, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
MISE HORS DE CAUSE
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Astriam régions, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, le pourvoi principal ne formulant aucune critique contre le chef de l'arrêt l'ayant mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de ses demandes tendant à juger la convention de forfait en jours nulle ou à tout le moins privée d'effet, à fixer au passif de la société CF Management Holding sa créance à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, de contrepartie en repos, outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et des droits au repos, d'indemnité au titre de ses temps de trajet excédentaires, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail, à prononcer la résiliation judiciaire et à juger nul son licenciement pour inaptitude, avec les conséquences indemnitaires afférentes, en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il limite la créance de M. [R] fixée au passif de la société CF Management Holding aux sommes de 5 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 14 389,88 euros à titre d'indemnité de préavis, outre congés payés afférents, en ce qu'il ordonne la remise de documents de fin de contrat conformes, en ce qu'il fixe au passif de la société CF Management Holding la créance de remboursement des indemnités de chômage, et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et que le salarié et le liquidateur de la société CF Management Holding conserveront chacun la charge de ses propres dépens, l'arrêt rendu le 1er septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Met hors de cause la société Astriam régions ;
Remet, sur les points objet de la cassation, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Alpha mandataires judiciaires en qualité de liquidatrice judiciaire de la société CF Management Holding aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alpha mandataires judiciaires ès qualités et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00805
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 805 FS-B
Pourvoi n° E 21-23.387
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
M. [U] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-23.387 contre l'arrêt rendu le 1er septembre 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Alpha mandataires judiciaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Lehericy Hermont, prise en qualité de liquidateur de la société CF Management Holding,
2°/ à la société Alpha mandataires judiciaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Lehericy Hermont, prise en qualité de liquidateur de la société Astriam régions,
3°/ à la société V&V, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Astriam régions,
4°/ à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA d'[Localité 5], dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La société Alpha mandataires judiciaires, prise en qualité de liquidateur de la société CF Management Holding, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, huit moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [R], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Alpha mandataires judiciaires, ès qualités, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 1er septembre 2021), M. [R] a été engagé en qualité de directeur général du développement et marketing, à compter du 1er novembre 2016, par la société CF Management Holding, appartenant au groupe Astriam, suivant contrat de travail « à forfait réduit », soumis à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999.
2. Se plaignant des conditions d'exécution de son contrat de travail et invoquant une situation de co-emploi avec la société Astriam régions, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 9 octobre 2017 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul.
3. Le 12 février 2018, il a été licencié.
4. Par jugements des 4 mars et 15 juillet 2020, les sociétés Astriam régions et CF Management Holding, respectivement, ont été placées en liquidation judiciaire et la société Lehericy-Hermont, aux droits de laquelle se trouve la société Alpha mandataires judiciaires, a été désignée en qualité de liquidatrice de chacune.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal du salarié
Énoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à fixer au passif de la société CF Management Holding un rappel de salaire au titre du minimum conventionnel pour la période comprise entre novembre 2016 et mars 2017, alors « que M. [R] faisait valoir que pour la période comprise entre le 1er novembre 2016 et le 30 mars 2017, la rémunération qu'il avait perçue, d'un montant de 1 460 euros en contrepartie d'un forfait jour réduit de 147 jours, était inférieure au minimum conventionnel rapporté à ce nombre de jours ; qu'en le déboutant de sa demande de rappel de salaire fondée sur les minima conventionnels sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel n'ayant pas statué sur ce chef de demande, le moyen dénonce en réalité une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
8. En conséquence, le moyen n'est pas recevable.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement ayant jugé que la convention de forfait en jours n'était pas opposable et de le débouter de ses demandes tendant à juger la convention de forfait en jours nulle ou à tout le moins privée d'effet, à fixer au passif de la société CF Management Holding diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie en repos et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et des droits au repos, d'indemnité au titre de ses temps de trajet excédentaires, d'indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et à juger nul son licenciement, avec les conséquences indemnitaires afférentes, alors « que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'en jugeant que tel était le cas de l'accord de branche du 11 avril 2000 pris dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, lorsque ce dernier se borne à rappeler en son article 2.8.3 que les cadres soumis à un forfait jours doivent bénéficier d'un repos quotidien de 11 heures consécutives et d'un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, et à prévoir qu'un contrôle du nombre de jours travaillés sera effectué par l'établissement d'un document récapitulatif pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, et qu'un entretien aura lieu avec leur supérieur hiérarchique au cours duquel sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant, lesquelles devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés, afin de permettre un équilibre satisfaisant entre la vie professionnelle et la vie personnelle du cadre concerné, ce qui ne permet pas de garantir au salarié un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article 17, §§ 1 et 4, de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, les articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article L. 3121-64, II, du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail, alors en vigueur, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
10. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
11. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
12. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
13. Pour dire la convention de forfait en jours opposable au salarié et débouter ce dernier de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, de contrepartie en repos et de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et non-respect du droit au repos, l'arrêt retient qu'il n'est pas utilement contesté que la convention collective applicable prévoit notamment un rappel du repos quotidien de onze heures consécutives, un rappel du temps de repos hebdomadaire égal à trente-cinq heures consécutives, un contrôle du nombre de jours travaillés, l'établissement d'un document récapitulatif par le salarié des jours de repos, la mise en place d'un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoqués l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et la charge de travail en résultant, ainsi que l'obligation de respecter un équilibre satisfaisant entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Il conclut que l'ensemble de ces dispositions, contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, est conforme aux exigences jurisprudentielles et légales.
14. En statuant ainsi, alors que l'article 2.8.3. de l'accord du 11 avril 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, attaché à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, qui se borne à prévoir que l'employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l'établissement d'un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail, ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, et que les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d'un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes tendant à la fixation de sa créance au titre des dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, limitant la créance du salarié à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de préavis, outre congés payés afférents, ordonnant la remise de documents de fin de contrat conformes et fixant la créance de remboursement des indemnités de chômage, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
MISE HORS DE CAUSE
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Astriam régions, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, le pourvoi principal ne formulant aucune critique contre le chef de l'arrêt l'ayant mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de ses demandes tendant à juger la convention de forfait en jours nulle ou à tout le moins privée d'effet, à fixer au passif de la société CF Management Holding sa créance à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, de contrepartie en repos, outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et des droits au repos, d'indemnité au titre de ses temps de trajet excédentaires, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail, à prononcer la résiliation judiciaire et à juger nul son licenciement pour inaptitude, avec les conséquences indemnitaires afférentes, en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il limite la créance de M. [R] fixée au passif de la société CF Management Holding aux sommes de 5 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 14 389,88 euros à titre d'indemnité de préavis, outre congés payés afférents, en ce qu'il ordonne la remise de documents de fin de contrat conformes, en ce qu'il fixe au passif de la société CF Management Holding la créance de remboursement des indemnités de chômage, et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et que le salarié et le liquidateur de la société CF Management Holding conserveront chacun la charge de ses propres dépens, l'arrêt rendu le 1er septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Met hors de cause la société Astriam régions ;
Remet, sur les points objet de la cassation, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Alpha mandataires judiciaires en qualité de liquidatrice judiciaire de la société CF Management Holding aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alpha mandataires judiciaires ès qualités et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.