Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 juillet 2023, 22-18.914, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 juillet 2023




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 515 FS-B

Pourvoi n° P 22-18.914




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUILLET 2023

Mme [T] [C], épouse [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 22-18.914 contre l'arrêt rendu le 31 mai 2022 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Sanofi Pasteur, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [M], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Sanofi Pasteur, l'avis écrit de M. Chaumont, avocat général, et l'avis oral de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mme Le Gall, conseiller référendaire, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 31 mai 2022), le 20 mars 2003, Mme [M] a été vaccinée contre la diphtérie, le tétanos et la polyomyélite au moyen du vaccin Revaxis, fabriqué par la société Sanofi Pasteur (la société).

2. Le 17 juin 2020, éprouvant différents troubles imputés par elle à une myofasciite à macrophages consécutive à la vaccination, elle a assigné la société en responsabilité et indemnisation. La société lui a opposé la prescription de son action.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et seconde branches

Enoncé du moyen

3. Mme [M] fait grief à l'arrêt de constater l'irrecevabilité de son action à l'encontre de la société, de déclarer irrecevables ses demandes fondées sur les dispositions des articles 1245-1 et suivants du code civil et de constater l'extinction de l'instance, alors :

« 1°/ que l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; que, lorsque le dommage est un dommage corporel, la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage est celle de la consolidation, qui est la date de la manifestation du dommage et, donc, la seule permettant au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci ; qu'il en résulte que le point de départ du délai de prescription auquel est soumise l'action en réparation d'un dommage corporel fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ne peut être fixé à une date antérieure à la date de la consolidation ; que, d'autre part, la date de la consolidation d'un dommage corporel est la date de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques, c'est-à-dire celle à laquelle les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que l'action de Mme [M], à l'encontre de la société Sanofi Pasteur fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux était prescrite et pour, en conséquence, déclarer irrecevables les demandes de Mme [M], fondées sur les dispositions des articles 1245-1 et suivants du code civil et constater l'extinction de l'instance entre Mme [M], et la société Sanofi Pasteur, qu'au plus tard le 15 octobre 2013, Mme [M], disposait d'éléments complets sur ses différentes pathologies et sur leur étiologie prétendue, c'est-à-dire sur leur cause résidant dans la défectuosité prétendu du vaccin à l'origine du syndrome de myofasciite à macrophage diagnostiqué au mois de mars 2008 et qu'au plus tard à la date du 15 octobre 2013, Mme [M], avait une connaissance précise du dommage, c'est-à-dire des diverses pathologies alléguées à la suite des multiples examens et bilans réalisés en 2013, quand, en se déterminant de la sorte, elle ne caractérisait pas que le 15 octobre 2013 était la date de consolidation des pathologies invoquées par Mme [M], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1386-17 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et des dispositions de l'article 1245-16 du code civil ;

2°/ que l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; l'action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; que, lorsque le dommage est un dommage corporel, la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage est celle de la consolidation, qui est la date de la manifestation du dommage et, donc, la seule permettant au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci ; qu'il en résulte que le point de départ du délai de prescription auquel est soumise l'action en réparation d'un dommage corporel fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ne peut être fixé à une date antérieure à la date de la consolidation ; que la circonstance que le dommage est un dommage corporel présentant un caractère évolutif est de nature à faire obstacle à la fixation de la date de la consolidation ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que l'action de Mme [M] à l'encontre de la société fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux était prescrite et pour, en conséquence, déclarer irrecevables les demandes de Mme [M] fondées sur les dispositions des articles 1245-1 et suivants du code civil et constater l'extinction de l'instance entre Mme [M] et la société, qu'au plus tard le 15 octobre 2013, Mme [M] disposait d'éléments complets sur ses différentes pathologies et sur leur étiologie prétendue, c'est-à-dire sur leur cause résidant dans la défectuosité prétendu du vaccin à l'origine du syndrome de myofasciite à macrophage diagnostiqué au mois de mars 2008 et qu'au plus tard à la date du 15 octobre 2013, Mme [M] avait une connaissance précise du dommage, c'est-à-dire des diverses pathologies alléguées à la suite des multiples examens et bilans réalisés en 2013, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par Mme [M], si les pathologies invoquées par Mme [M] ne présentaient pas un caractère évolutif et si cette circonstance n'avait pas eu pour conséquence que le délai de prescription auquel était soumise l'action de Mme [M] à l'encontre de la société fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux n'avait pu commencer à courir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1386-17 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et des dispositions de l'article 1245-16 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1386-17, devenu 1245-16, du code civil :

4. Selon ce texte, l'action en réparation fondée sur les dispositions des articles 1245 et suivants de ce code se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

5. En cas de dommage corporel, la date de la connaissance du dommage doit s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage.

6. En cas de pathologie évolutive, qui rend impossible la fixation d'une date de consolidation, le délai de prescription fixé par le texte susvisé ne peut commencer à courir.

7. Pour déclarer irrecevables les demandes de Mme [M] fondées sur la responsabilité du fait des produits défectueux, l'arrêt retient que celle-ci a subi, en 2013, de multiples examens et bilans de ses différentes pathologies, dont la plupart étaient apparues entre 2004 et 2007 et qu'au plus tard le 15 octobre 2013, jour du dernier examen médical, elle avait donc une connaissance précise de son dommage.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le dommage de Mme [M] était consolidé et, à défaut, si sa pathologie présentait un caractère évolutif faisant obstacle à la consolidation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. Mme [M] fait grief à l'arrêt de constater l'irrecevabilité de son action à l'encontre de la société, de déclarer irrecevables ses demandes fondées sur les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil et de constater l'extinction de l'instance, alors « que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; qu'en retenant, par conséquent, pour constater que l'action de Mme [M], à l'encontre de la société fondée sur la responsabilité délictuelle pour faute était prescrite et pour, en conséquence, déclarer irrecevables les demandes de Mme [M], fondées sur les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil et constater l'extinction de l'instance entre Mme [M], et la société, que l'action de Mme [M], à l'encontre de la société fondée sur la responsabilité délictuelle pour faute était soumise au délai de prescription de cinq ans prévu par les dispositions de l'article 2224 du code civil, quand il résultait de ses propres constatations que cette action était née d'un événement ayant entraîné un dommage corporel et quand il en résultait que cette action était soumise à un délai de prescription de dix ans, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 2224 et 2226 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

11. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.

12. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 2226 du code civil :

13. Aux termes de ce texte, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.

14. Pour déclarer irrecevables les demandes de Mme [M] fondées sur la responsabilité pour faute, l'arrêt fait application de l'article 2224 du code civil.

15. En statuant ainsi, après avoir constaté que Mme [M] agissait en réparation de préjudices résultant d'un dommage corporel, la cour d'appel a violé le texte susvisé, par refus d'application.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les conclusions déposées au greffe et notifiées par Mme [M] le 8 mars 2022 comme étant tardives, l'arrêt rendu le 31 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Sanofi Pasteur aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sanofi Pasteur et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C100515
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