Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 14 juin 2023, 22-83.322, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° X 22-83.322 F-B

N° 00758


ECF
14 JUIN 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 JUIN 2023


M. [L] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 23 mars 2022, qui, pour escroquerie et tentative, en récidive, abus de biens sociaux, exécution d'un travail dissimulé, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, une interdiction professionnelle définitive, quinze ans d'interdiction de gérer, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [L] [D], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Au cours de l'année 2011, de nombreux particuliers ont déposé plainte à la suite du démarchage commercial à domicile pratiqué par la société [2] puis la société [1].

3. Ces sociétés, dirigées par M. [L] [D] et sa compagne Mme [E] [N], étaient spécialisées dans la rénovation de maisons individuelles.

4. Une information a été ouverte, aboutissant à la mise en examen de M. [D] et de Mme [N], ainsi que de M. [H] [I] qui leur avait apporté son concours sur plusieurs transactions.

5. Au terme de ses investigations, par ordonnance de règlement du 2 juillet 2015, le juge d'instruction a notamment renvoyé M. [D] devant le tribunal correctionnel sous les qualifications d'escroqueries aggravées, tentatives d'escroquerie aggravée et escroquerie, en récidive, abus de biens sociaux et travail dissimulé par dissimulation de salariés.

6. Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal correctionnel a notamment déclaré M. [D] coupable des faits qui lui sont reprochés, commis de courant mai 2009 au 3 avril 2012, et l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont douze mois assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 600 000 euros d'amende, une interdiction définitive de toute activité de démarchage, a ordonné la confiscation des biens placés sous main de justice et a prononcé sur les intérêts civils.

7. M. [D] a interjeté appel du jugement, ainsi que le procureur de la République et Mme [J], partie civile, à titre incident.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'égard de M. [D] par arrêt contradictoire à signifier, alors « que le prévenu qui ne comparaît pas à l'audience sans excuse reconnue valable par la cour d'appel ne peut être jugé par arrêt contradictoire à signifier que si une citation a été faite à la dernière adresse déclarée ; qu'en statuant à l'encontre de M. [D] par arrêt contradictoire à signifier, après avoir pourtant constaté que le prévenu, non comparant, n'avait pas été cité à l'une des deux adresses qu'il avait régulièrement déclarées en formant appel, la cour d'appel a méconnu l'article 503-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Les pièces de procédure font apparaître que lors de l'appel, M. [D] a déclaré deux adresses, l'une située à [Localité 4] (Essonne) et l'autre à [Localité 3] (Algérie), que le 23 novembre 2021, l'huissier de justice s'est transporté à l'adresse déclarée de l'appelant, sise à [Localité 4] et, ayant constaté l'impossibilité de lui remettre l'acte en personne ou à une personne présente au domicile, a accompli les diligences prévues par les alinéas 2 et 4 de l'article 558 du code de procédure pénale.

11. Pour statuer par décision contradictoire à signifier, l'arrêt attaqué, après avoir mentionné que M. [D], régulièrement cité à l'une des deux adresses déclarées lors de la régularisation de son appel, n'a pas comparu, retient que l'huissier a délivré la citation à comparaître à cette adresse et ce à la date du 23 novembre 2021, ce qui lui laissait le temps de préparer sa défense.

12. En statuant ainsi, dès lors que, dans le cas où plusieurs adresses sont déclarées, il suffit, pour que la citation soit réputée faite à personne, que les formalités de l'article 558, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale soient accomplies à l'une des adresses déclarées, la cour d'appel a justifié sa décision et n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

13. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a écarté la demande de renvoi formée par l'avocat de M. [D] le jour de l'audience, alors « qu'il résulte des notes d'audience et de l'arrêt attaqué que, le jour de l'audience, le conseil de M. [D] avait adressé une demande de renvoi justifiée par les circonstances qu'il venait tout juste d'être désigné par le prévenu, lequel n'avait pas reçu la citation, qu'il n'avait pas eu connaissance des dates d'audience et que, étant retenu par ailleurs, il ne pouvait être présent devant la cour, de sorte qu'en rejetant néanmoins cette demande de renvoi, la cour d'appel a méconnu le droit du prévenu à l'assistance d'un défenseur et ainsi méconnu les articles 410 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

15. Pour écarter la demande de renvoi formulée par courriel reçu le 23 février 2022, jour de l'audience, aux termes duquel l'avocat de M. [D] faisait valoir qu'il avait été désigné tardivement et que son client n'avait pas reçu la citation, l'arrêt attaqué énonce que la citation à comparaître a été délivrée le 23 novembre 2021 par l'huissier, ce qui laissait le temps au prévenu de préparer sa défense, et que rien ne permet d'affirmer que s'il était fait droit à la demande de renvoi, le prévenu comparaîtrait davantage devant la cour ou s'y ferait utilement représenter.

16. Par ailleurs, se considérant tenus par l'exigence de rendre la justice dans un délai raisonnable, les juges soulignent que les parties civiles, particulièrement âgées, ont légitimement le droit de voir le procès aboutir.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

18. En effet, il résulte des pièces de procédure, dont la Cour de cassation exerce le contrôle, que le prévenu, régulièrement cité le 23 novembre 2021 pour l'audience du 23 février 2022, n'a pas fait état de l'existence de circonstances insurmontables l'ayant empêché de bénéficier du temps nécessaire à l'organisation de sa défense notamment en faisant choix d'un avocat.

19. Par ailleurs, les juges ont refusé de faire droit à la demande de renvoi par des motifs justifiant leur décision.

20. Dès lors, le moyen sera écarté.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [D] à une peine d'emprisonnement de quatre ans, dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve, alors « que le tribunal qui prononce une peine d'emprisonnement ferme doit motiver ce choix en faisant apparaître qu'il a tenu compte des faits de l'espèce, de la personnalité de leur auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, et doit établir, au regard de ces éléments, que la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et que toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en se contentant de relever, pour dire que le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme à l'encontre de M. [D] était indispensable et que toute autre sanction était manifestement inadéquate, que les faits, compte tenu du nombre de victimes et des préjudices causés, étaient graves et que le prévenu était en état de récidive légale, sans mieux s'expliquer sur la personnalité du prévenu, ni sur sa situation personnelle, la cour d'appel a méconnu les articles 132-1 et 132-19 du code pénal et l'article 464-2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-19 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale :

22. Il résulte de ces textes que le juge qui prononce, en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis doit motiver ce choix en faisant apparaître qu'il a tenu compte des faits de l'espèce, de la personnalité de leur auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. Il lui appartient d'établir, au regard de ces éléments, que la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et que toute autre sanction est manifestement inadéquate.

23. Pour condamner M. [D] à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans assortis d'un sursis probatoire, l'arrêt attaqué énonce que les faits résultent d'une organisation à grande échelle et qu'ils ont eu des conséquences extrêmement préjudiciables sur les quarante-deux victimes dénombrées tant sur le plan financier, les opérations totalisant 1 709 000 euros au titre des escroqueries consommées et 1 368 000 euros au titre des tentatives d'escroqueries, que sur le plan extra-patrimonial.

24. Les juges retiennent qu'au regard de la gravité objective des faits et des circonstances de leur commission, étant rappelé que le prévenu est en état de récidive légale, une peine d'emprisonnement ferme est indispensable pour réprimer les faits de manière appropriée, toute autre sanction étant manifestement inadéquate.

25. En prononçant ainsi la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée au regard de la personnalité du prévenu et de sa situation personnelle, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

26. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, à titre de peines complémentaires, prononcé à l'encontre de M. [D] une interdiction d'exercer l'activité professionnelle de démarchage à titre définitif, a ordonné la confiscation des biens placés sous main de justice et l'a condamné à une peine d'interdiction de gérer pendant une durée de quinze ans, alors :

« 1°/ que la peine d'interdiction temporaire de gérer, prévue par l'article 131-27 du code pénal dans sa version en vigueur à la date de commission des faits, soit entre mai 2009 et avril 2012, ne peut excéder une durée de dix ans, de sorte qu'en condamnant néanmoins le prévenu à une peine d'interdiction temporaire de gérer de quinze ans, la cour d'appel a méconnu les articles 112-1 et 131-27 du code pénal ;

2°/ qu'il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; qu'en se contentant de relever, pour ordonner à l'encontre du prévenu la confiscation des objets saisis, que ces derniers ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité, la cour d'appel a méconnu les articles 131-21 et 132-1 du code pénal et l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [D] une interdiction définitive d'exercer l'activité professionnelle de démarchage, la confiscation des biens placés sous main de justice et une peine d'interdiction temporaire de gérer, sans s'expliquer autrement sur la personnalité et la situation personnelle du prévenu, la cour d'appel a méconnu les articles 132-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

Vu l'article 112-1 du code pénal :

28. Selon ce texte, seules peuvent être prononcées les peines applicables à la date de la commission des faits qu'elles répriment.

29. La cour d'appel a condamné le prévenu à quinze ans d'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise ou une société, pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 qui a porté la durée de cette peine à quinze ans, alors qu'elle était auparavant de dix ans.

30. En prononçant ainsi une peine illégale, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Vu les articles 131-21 et 132-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

31. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. La confiscation porte alors sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction, ou étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit de l'infraction, et ne peuvent être restitués. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné.

32. Selon le deuxième, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.

33. Enfin, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

34. Pour prononcer la confiscation des biens saisis, l'arrêt énonce qu'ils ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité et pour condamner M. [D] à une interdiction définitive d'exercer l'activité de démarchage, les juges ont pris en considération les escroqueries et tentatives d'escroqueries commises.

35. En statuant ainsi, sans préciser sur quels biens portait la mesure de confiscation ni à quel titre ils ont été confisqués, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision, et, sans s'expliquer sur les éléments tenant à la personnalité et à la situation personnelle du prévenu, n'a pas justifié sa décision en méconnaissance des textes susvisés et des principes ci-dessus rappelés.

36. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ces chefs.

Portée et conséquences de la cassation

37. La cassation sera limitée aux peines prononcées à l'encontre de M. [D], dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 23 mars 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de M. [D], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00758
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