Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 juin 2023, 21-22.269, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 juin 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 680 F-D

Pourvoi n° Q 21-22.269




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 JUIN 2023

M. [E] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-22.269 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à la société Autobacs France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [G], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Autobacs France, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er juillet 2021) et les pièces de la procédure, M. [G] a été engagé le 11 janvier 2006 par la société Autobacs France, et exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur des opérations, statut cadre niveau IV.

2. Le salarié a été licencié pour faute le 21 avril 2017.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et à lui voir allouer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour licenciement brutal et vexatoire, alors :

« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en réponse à la proposition de rétrogradation disciplinaire formulée par l'employeur du poste de directeur des opérations cadre niveau IV à celui de directeur des achats cadre niveau III, accompagnée d'une diminution de salaire de 1 700 euros bruts mensuels, M. [G] a rappelé, par lettre du 5 avril 2017, que les difficultés économiques du secteur d'activité avait amené la société à réviser le positionnement de certains métiers et à restructurer le métier qu'il chapeautait en scindant son activité en trois directions des ventes, du marketing et du merchandising, et des achats, dernière direction que la société souhaitait lui confier et a confirmé qu'eu égard au contexte de grandes difficulté économiques du secteur, dans la mesure où la société jugeait de la nécessité stratégique de réorganiser sa direction en la scindant en trois et où son investissement chez Autobacs était absolu au regard de la réussite du projet professionnel et compte tenu de la forte pression qui s'exerçait actuellement sur lui, il acceptait les nouvelles fonctions proposées par avenant à son contrat de travail déjà signé par la société, mais non les notions de disciplinaire et de sanction ne reflétant ni la réalité du terrain ni son entier dévouement pour Autobacs ; qu'en jugeant que cette lettre ne caractérisait pas un accord clair et non équivoque d'acceptation de la rétrogradation envisagée et que, se heurtant au refus de M. [G] de cette mesure, la société Autobacs France pouvait prononcer une autre sanction, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre de M. [G], en violation du principe susvisé ;

2°/ que l'acceptation par le salarié de la modification du contrat de travail proposée par l'employeur à titre de sanction n'emporte pas renonciation au droit de contester la régularité et le bien-fondé de la sanction ; qu'en jugeant que la lettre du salarié du 5 avril 2017, par laquelle celui-ci acceptait la modification de ses fonctions proposée par l'employeur et consécutive à sa décision de scinder la direction des organisations qu'il occupait en trois directions distinctes et de lui confier celle des achats, dans un contexte de grandes difficultés économiques du secteur d'activité mais refusait la qualification de sanction disciplinaire donnée à cette mesure, s'analysait en un refus de la modification de son contrat de travail justifiant qu'une mesure de licenciement soit substituée à la mesure de rétrogradation proposée, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1, L. 1333-1, L. 1333-2 et du code du travail et 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Une modification du contrat de travail ne pouvant être imposée au salarié, l'employeur qui se heurte au refus d'une mesure de rétrogradation impliquant une modification du contrat de travail, peut, dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction, y compris un licenciement pour faute grave aux lieu et place de la sanction refusée.

5. La cour d'appel a relevé qu'en réponse au courrier de l'employeur du 29 mars 2017, le salarié avait indiqué dans une lettre du 5 avril 2017 : « Eu égard au contexte de grande difficulté économique que vit notre secteur professionnel ; dans la mesure où stratégiquement vous décidez que l'organisation actuelle n'est finalement pas la bonne puisqu'elle nécessite la scission en trois directions de mon poste ; dans la mesure où mon investissement chez Autobacs est absolu au regard de la réussite de notre projet professionnel ; et enfin, compte tenu de la forte pression qui s'exerce sur moi actuellement, j'accepte en conséquence les nouvelles fonctions que vous me proposez par avenant à mon contrat de travail à effet du 10 avril 2017 déjà signé par vous. »

6. C'est en conséquence par une interprétation que les termes ambigus de cette lettre rendaient nécessaire, exclusive de dénaturation, que la cour d'appel a estimé qu'elle ne permettait pas de caractériser une acceptation claire et non équivoque du salarié à la mesure de rétrogradation et en a exactement déduit que la société pouvait prononcer une autre sanction telle qu'un licenciement.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; que la cour d'appel a énoncé qu'alors que l'employeur justifiait avoir donné des instructions au salarié pour remédier aux difficultés constatées au premier semestre 2016 et en particulier aux mauvais résultats des magasins placés sous sa responsabilité, force était de constater que le salarié ne justifiait en rien des actions qu'il aurait mises en oeuvre à cet effet et qu'aucun élément n'était apporté susceptible d'établir que, conformément à ce qui lui était demandé, il aurait renforcé son contrôle sur les magasins dont il avait la charge, formalisé des instructions précises en direction des directeurs défaillants, notamment quant aux procédures à respecter, ou mis en oeuvre des plans d'actions susceptibles de remédier aux difficultés constatées ; que le défaut d'application des directives émanant du supérieur hiérarchique caractérisait une faute du salarié et que compte tenu du niveau de responsabilité qui était celui de M. [G], ses manquements ainsi mis en évidence justifiaient la rupture de son contrat de travail nonobstant ses bons résultats passés ; que la cour d'appel qui a ainsi fait peser la charge de la preuve de l'absence de caractère réel et sérieux du licenciement sur le seul salarié, a violé l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au litige ».

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-1 alinéa 3 du code du travail, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

9. Selon ce texte, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

10. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir relevé que les tableaux produits par l'employeur établissaient que les résultats des magasins dont le salarié avait la charge n'avaient pas connu d'amélioration postérieurement au 26 octobre 2016, et avaient même continué de se dégrader pour certains d'entre eux, retient qu'alors que l'employeur justifie lui avoir donné des instructions pour remédier aux difficultés constatées au premier semestre 2016, et en particulier aux mauvais résultats des magasins placés sous sa responsabilité, force est de constater que celui-ci ne justifie en rien des actions qu'il aurait mises en oeuvre à cet effet et souligne qu'aucun élément n'est apporté susceptible d'établir que le salarié, conformément à ce qui lui avait été demandé, aurait renforcé son contrôle sur les magasins dont il avait la charge, formalisé des instructions précises en direction des directeurs défaillants, notamment quant aux procédures à respecter, ou mis en oeuvre des plans d'action susceptibles de remédier aux difficultés constatées.

11. Il en déduit que le salarié a manqué à ses obligations en s'abstenant de mettre en oeuvre les préconisations de son employeur.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [G] de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'un licenciement brutal et vexatoire, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Autobacs France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Autobacs France et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00680
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