Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 11 mai 2023, 21-23.859 22-12.778, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 312 FS-B


Pourvois n°
T 21-23.859
U 22-12.778 JONCTION







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023

1°/ Mme [F] [Y], domiciliée [Adresse 2],

2°/ M. [H] [B], domicilié [Adresse 3],

ont formé respectivement les pourvois n° T 21-23.859 et U 22-12.778 contre le même arrêt rendu le 23 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans les litiges les opposant à la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle vient la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° T 21-23.859 invoque, à l'appui de son recours, six moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi n° U 22-12.778 invoque, à l'appui de son recours, six moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B] et de Mme [Y], de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle vient la Société générale, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mme Abgrall, conseiller, Mme Djikpa, conseiller référendaire, complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L.431-3 du code de l'organisation judiciaire, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-23.859 et 22-12.778 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 septembre 2021), M. [B] et Mme [Y], qui ont conclu un contrat de construction de maison individuelle, ont souscrit auprès de la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle vient la Société générale (la banque), un prêt immobilier destiné à financer l'opération.

3. Aucune garantie de livraison n'a été souscrite par le constructeur.

4. Ensuite de la défaillance de celui-ci, une expertise a conclu que les désordres affectant les travaux réalisés devaient conduire à la démolition et à la reconstruction de l'ouvrage.

5. Se prévalant des clauses du contrat de prêt stipulant que la mise à disposition des fonds ne pouvait intervenir qu'après la remise au prêteur de deniers d'une attestation de garantie de livraison, M. [B] et Mme [Y] ont assigné la banque en réparation.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens, pris en leur deuxième et troisième branches, et sur les deuxième à sixième moyens, des pourvois n° 21-23.859 et 22-12.778

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premiers moyens, pris en leur quatrième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

7. M. [B] et Mme [Y] font grief à l'arrêt de condamner la société Crédit du Nord à leur payer une somme limitée à 270 000 euros au titre du coût d'achèvement de l'ouvrage et à 33 188 euros au titre des pénalités de retard, alors « qu'en cas de retard de livraison, les pénalités se calculent par rapport au prix convenu ; qu'en retenant le prix de 171 500 euros fixé au contrat de construction initial, sans tenir compte de l'avenant du 6 décembre 2012 ayant augmenté le prix à 180 000 euros (171 500 + 8 500 euros), la cour d'appel a violé les articles L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

8. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de M. [B] et de Mme [Y] que ceux-ci aient soutenu que le calcul des pénalités de retard devait s'opérer sur la base d'un prix convenu de 180 000 euros, ayant invoqué, sans explication, une assiette de calcul des pénalités de 186 500 euros.

9. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.

Mais sur les premiers moyens, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. M. [B] et Mme [Y] font le même grief à l'arrêt, alors « que dès lors que la faute de la banque est à l'origine d'un préjudice certain causé par l'absence de garantie de livraison, l'indemnisation du maître d'ouvrage ne peut être limitée à la perte d'une chance, le maître d'ouvrage ayant droit à la réparation intégrale de tous les préjudices consécutifs à la non-fourniture d'une garantie de livraison ; qu'en considérant que le préjudice subi pour le coût d'achèvement des travaux et pour les pénalités de retard s'analysaient en une simple perte de chance évaluée à 90 %, la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

12. Pour limiter à une certaine somme le préjudice matériel des maîtres de l'ouvrage, résultant de la méconnaissance par la banque de son obligation, stipulée au contrat de prêt, de ne pas débloquer les fonds avant présentation de l'attestation de garantie de livraison souscrite par le constructeur, l'arrêt retient que cette faute a fait perdre aux acquéreurs une chance de bénéficier d'une garantie de livraison, qu'elle a fixée à 90 % de leur préjudice.

13. En statuant ainsi, alors que la faute de la banque était à l'origine d'un préjudice certain causé par l'absence de garantie de livraison, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur les premiers moyens, pris en leur cinquième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

14. M. [B] et Mme [Y] font le même grief à l'arrêt, alors « que les pénalités de retard doivent se calculer jusqu'à l'achèvement de la reconstruction et le maître d'ouvrage a droit à la réparation intégrale de tous les préjudices consécutifs à la non-fourniture d'une garantie de livraison ; qu'en énonçant que la banque ne pouvait pas supporter les conséquences de l'absence de livraison de la maison au 7 septembre 2020, la cour d'appel a violé les articles L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 231-2, k), L. 232-1, g), et L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation :

15. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

16. En application des deux suivants, le constructeur selon contrat de construction de maison individuelle, qu'il comporte ou non fourniture du plan, doit souscrire une garantie de livraison, qui prend notamment en charge, selon le dernier, le coût des travaux nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage et les pénalités de retard de livraison excédant trente jours.

17. Pour limiter le préjudice de jouissance imputable à la banque au titre du retard de livraison, l'arrêt retient que la banque ne saurait supporter les conséquences d'une absence de livraison de la maison au 7 septembre 2020, cette situation ne présentant pas de lien de causalité directe avec la faute retenue et que si un garant de livraison était intervenu, l'achèvement aurait été acquis, compte tenu d'un délai de travaux de démolition-reconstruction fixé à dix-huit mois, à la date du 30 novembre 2015.

18. En statuant ainsi, après avoir retenu que la faute de la banque avait privé les acquéreurs du bénéfice d'une garantie de livraison, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite aux sommes de 270 000 euros et de 33 188 euros les condamnations prononcées, au bénéfice de M. [B] et de Mme [Y], contre la société Crédit du Nord, au titre, respectivement, du coût d'achèvement de l'ouvrage et des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 23 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, et la condamne à payer la somme de 1 500 euros à Mme [Y] et celle de 1 500 euros à M. [B] ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:C300312
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