Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 19 avril 2023, 22-11.229, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 319 F-D

Pourvoi n° K 22-11.229










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 AVRIL 2023

M. [T] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 22-11.229 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2021 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Reden Solar, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société MJ Corp, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [G] [U], prise en qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Tendances Eco Habitat, Agence Tendances Eco Habitat et Tendances Eco Habitat Install,

3°/ au procureur général près la cour d'appel d'Angers, domicilié en son Parquet général, Palais de justice, 49000 Angers,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bedouet, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [M], de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société MJ Corp, ès qualités, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Bedouet, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [M] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Reden Solar.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 30 novembre 2021), la société Tendances Eco Habitat (la société TEH), dont M. [M] était le directeur général délégué à compter du 21 février 2012, et ses filiales, la société Tendances Eco Habitat Install (la société TEHI) et la société Agence Tendances Eco Habitat (la société ATEH), ont été mises en liquidation judiciaire par trois jugements distincts le 29 janvier 2013, la société Sarthe mandataire, aux droits de laquelle vient la société MJ Corp, étant désignée liquidateur. Un jugement du 26 février 2016 a étendu, pour confusion des patrimoines, la liquidation judiciaire de la société TEH.

3. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [M] et demandé que soit prononcée contre lui une des sanctions professionnelles.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. M. [M] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société MJ Corp, ès qualités, la somme de 4 000 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, alors :

« 3°/ que l'insuffisance d'actif de l'ensemble des sociétés auxquelles une procédure collective a été étendue pour confusion des patrimoines ne peut être mise à la charge d'un dirigeant qui a commis une faute de gestion que si ce dernier a été dirigeant de chacune des sociétés ; que la cour d'appel a constaté que M. [M] était le dirigeant de droit de la société Tendances Eco Habitat, dont il était le directeur général délégué chargé du développement ; qu'elle a relevé "qu'il pourrait à tout le moins être considéré dirigeant de fait de cette société" ; qu'en retenant, pour condamner M. [M] au paiement de la somme de 4 000 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, que l'insuffisance d'actif des trois sociétés objet de la procédure collective s'élevait à une somme de 8 908 483,51 euros, après avoir additionné le passif des trois sociétés, sans constater que M. [M] était le dirigeant, de droit ou de fait, des trois sociétés, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

4°/ que la qualité de gérant de fait suppose l'accomplissement d'une activité positive de gestion et de direction de l'entreprise ; qu'en se bornant à relever, pour condamner M. [M] au paiement de la somme de 4 000 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif des trois sociétés Tendances Eco Habitat, Tendances Eco Habitat Install et Agence Tendances Eco Habitat, que M. [M] était le directeur général délégué salarié de la société Tendances Eco Habitat et que "la direction de la société Tendances Eco Habitat s'étendait de fait à celle des deux autres sociétés filiales", la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'accomplissement par M. [M] d'actes positifs de direction ou de gestion des sociétés Tendances Eco Habitat Install et Agence Tendances Eco Habitat, dont il n'était pas le dirigeant salarié, et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

6. Il résulte de ce texte que les dettes de la personne morale qu'il permet, aux conditions qu'il prévoit, de mettre à la charge des dirigeants, ne peuvent comprendre celles d'autres personnes morales auxquelles la procédure collective a été étendue sur le fondement d'une confusion de patrimoines mais dont ceux-ci n'ont pas été les dirigeants.

7. Pour condamner M. [M] à payer à la société MJ Corp, ès qualités, une certaine somme au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt retient que celui-ci était dirigeant de droit de la société TEH ou à tout le moins dirigeant de fait de cette société au regard de l'indépendance dont il bénéficiait dans l'administration générale de cette dernière, s'étant chargé de la gestion de cette société, des relations avec son fournisseur et actionnaire, le groupe Fonroche, et ayant pris la direction du réseau commercial en ayant la responsabilité hiérarchique des salariés, en disposant d'une signature bancaire illimitée. Il ajoute que la direction de la société s'étendait de fait à celles des sociétés TEHI et ATEH, qui n'avaient aucune indépendance économique par rapport à la société TEH et qu'il existait une fictivité dans les rapports entre chacune des deux filiales et la société TEH, leur actionnaire unique.

8. En statuant ainsi, sans constater que M. [M] avait été dirigeant de droit des sociétés TEHI et ATEH ni caractériser en quoi il avait exercé en toute indépendance une activité positive de direction de ces sociétés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

9. M. [M] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la condamnation d'un dirigeant retiré suppose que l'insuffisance d'actif soit constituée à la date à laquelle il a cessé ses fonctions ; qu'en retenant, pour condamner M. [M] à payer la somme de 4 000 000 euros, que l'état des créances produit par le liquidateur et établi à la date du 1er janvier 2016, faisait ressortir une insuffisance d'actif d'un montant de 8 908 483,51 euros, sans préciser si cette insuffisance d'actif existait le 5 novembre 2012, date à laquelle M. [M] avait cessé ses fonctions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2, alinéa 1er, du code de commerce :

10. Selon ce texte, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant en sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de cessation des fonctions du dirigeant, sa responsabilité ne peut être engagée que s'il existait une insuffisance d'actif à la date de la cessation de ses fonctions.

11. Pour condamner M. [M] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif des sociétés TEH, TEHI, ATEH, l'arrêt retient que les états des créances font apparaître que le passif admis de la première s'élève à 5 841 347,56 euros, celui de la deuxième à 495 050,63 euros et celui de la dernière à 2 572 085,32 euros, soit un total de 8 908 483,51 euros, étant précisé qu'une attestation relative à l'insuffisance manifeste d'actif a été établie, de sorte qu'en l'absence d'actif réalisé, l'insuffisance d'actif s'élève à ce montant.

12. En se déterminant ainsi, sans préciser si l'insuffisance d'actif qu'elle retenait existait à la date à laquelle M. [M] avait cessé ses fonctions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. La cassation intervenue sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt condamnant M. [M] à une mesure d'interdiction de gérer, les mêmes faits étant retenus à l'appui de sa condamnation à supporter pour partie l'insuffisance d'actif.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la jonction des instances n° 21/1009 et 21/1015, constate que le désistement d'action et d'appel incident de la société MJ Corp, en qualité de liquidateur des sociétés Tendances Eco Habitat, Agence Tendances Eco Habitat et Tendances Eco Habitat Install contre la société Reden Solar est parfait, constate que le désistement d'appel principal et incident de la société Reden Solar est parfait, constate, en conséquence, l'extinction de l'instance d'appel opposant la société MJ Corp, ès qualités, à la société Reden Solar, dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés dans l'instance les opposant entre elles, l'arrêt rendu le 30 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société MJ Corp, en qualité de liquidateur des sociétés Tendances Eco Habitat, Agence Tendances Eco Habitat et Tendances Eco Habitat Install, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CO00319
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