Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 avril 2023, 21-60.127, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC. / ELECT

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 499 F-B

Pourvoi n° Q 21-60.127




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

1°/ M. [Y] [C], domicilié [Adresse 2],

2°/ l'union locale des syndicats CGT du centre-ville de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° Q 21-60.127 contre le jugement rendu le 5 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Nîmes (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant à la société Medard Berton Guedj Elaidouni, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.

Les organisations syndicales et professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ont été auditionnées, en présence des conseils des parties, lors de l'audience publique du 18 janvier 2023, conformément aux articles L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Medard Berton Guedj Elaidouni, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier, Bérard, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Nîmes, 5 mars 2021), les élections des membres du comité social et économique de la société Medard Berton Guedj Elaidouni (la société), étude d'huissiers de justice à [Localité 4], se sont déroulées le 16 janvier 2018.

2. Le 7 septembre 2020, l'union locale CGT [Localité 4] centre-ville (l'union locale) a désigné M. [C] en qualité de délégué syndical. Par requête du 11 septembre 2020, la société a saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de cette désignation.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

Sur l'exception d'irrecevabilité pour tardiveté du pourvoi

3. La société soutient que le pourvoi formé par déclaration du 10 juin 2021 est tardif pour n'avoir pas été formé dans les dix jours de la notification du jugement.

4. L'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de notification d'un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours.

5. Il ressort de l'examen des pièces du dossier de procédure transmis par le greffe du tribunal judiciaire de Nîmes que ne figure pas au dossier la copie des lettres de notification du jugement, mentionnant la voie de recours, son délai et ses modalités d'exercice.

6. Il en résulte que le délai de recours n'a pas commencé à courir, en sorte que l'exception d'irrecevabilité pour tardiveté du pourvoi doit être rejetée.

Sur l'exception d'irrecevabilité pour défaut de pouvoir spécial délivré par une personne ayant qualité pour ce faire

7. La société invoque l'irrégularité du pouvoir spécial donné à M. [X], avocat au barreau de Marseille, par M. [L], secrétaire de l'union locale, au motif qu'il ressort de l'article 13 des statuts de celle-ci que le secrétaire général ne peut engager une action qu'avec l'accord de la commission exécutive, accord dont il n'est nullement justifié.

8. Si un tiers défendeur peut se prévaloir des statuts d'une personne morale pour justifier du défaut de pouvoir d'une personne à figurer dans un litige comme représentant de celle-ci, il ne peut en revanche invoquer, sur le fondement de ces mêmes statuts, l'irrégularité de la nomination de ce représentant pour contester sa qualité à agir en justice.

9. Il en résulte que la société ne peut invoquer, sur le fondement des statuts de l'union locale, l'irrégularité du pouvoir spécial donné par le secrétaire de l'union locale à M. [X] pour former pourvoi contre le jugement critiqué.

10. Le pourvoi est donc recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. M. [C] et l'union locale font grief au jugement d'annuler la désignation du 7 septembre 2020 de M. [C] en qualité de délégué syndical, alors « qu'en application de l'article L. 2143-3 du code du travail, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur. Si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au même premier alinéa, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33 ; que si, lors du premier tour des élections au CSE en date du 16 janvier 2018, le syndicat CGT avait présenté quatre candidats, soit Mme [V], Mme [T], M. [P] et Mme [K], au jour de la désignation litigieuse de M. [C], Mmes [V] et [T] n'étaient plus salariées de l'étude, M. [P] a renoncé à l'activité syndicale et n'a pas versé de cotisation depuis plus de deux ans et, par courrier du 5 août 2020, Mme [K] a renoncé par écrit à son droit d'être désignée déléguée syndicale, en sorte que l'union locale ne disposait plus de candidat et pouvait désigner M. [C] qui au jour de sa désignation était bien adhérent au syndicat CGT et à jour de ses cotisations ; qu'en retenant dès lors que l'argument de l'union locale, selon lequel M. [P] ne pouvait être désigné dans la mesure où il n'était pas à jour de sa cotisation syndicale, n'était pas fondé au motif que cette condition n'était pas une condition légale à retenir, le tribunal a violé les dispositions de l'article L. 2143-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2143-3 du code du travail :

12. L'article L. 2143-3 du code du travail fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.

13. Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises.

14. La Cour a déjà jugé qu'en vertu des dispositions de l'article L. 2143-3 du code du travail, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, est en droit de désigner un délégué syndical. L'obligation de choisir ce délégué en priorité parmi les candidats qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles n'a pas pour objet ou pour effet de priver cette organisation syndicale du droit de disposer d'un représentant dès lors qu'elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation, de sorte que doit être approuvé le tribunal d'instance qui, ayant constaté que suite au départ de l'entreprise de trois candidats présents sur les listes d'un syndicat lors des dernières élections, et à la démission de ses fonctions de délégué syndical de même appartenance du quatrième candidat qui avait rejoint une autre organisation syndicale, le syndicat ne disposait plus de candidats en mesure d'exercer un mandat de délégué syndical à son profit, a jugé que la désignation par le syndicat d'un adhérent qui n'avait pas été candidat aux dernières élections professionnelles était valide (Soc., 27 février 2013, pourvoi n° 12-18.828, Bull. 2013, V, n° 67).

15. Elle a également jugé qu'ayant constaté, en se fondant sur les éléments produits par le syndicat dans le respect du contradictoire, à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification de ses adhérents, dont seul le juge a pris connaissance, que les onze candidats de la liste aux dernières élections ne cotisent plus depuis plus d'une année à l'organisation syndicale en cause ou ne sont plus dans les effectifs de la société, ce dont il résultait que l'organisation syndicale ne disposait plus de candidats en mesure d'exercer un mandat de délégué syndical à son profit, le tribunal a dit à bon droit que la désignation d'un adhérent qui n'avait pas été candidat aux dernières élections professionnelles était valide (Soc., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-20.398).

16. Pour annuler la désignation du 7 septembre 2020 de M. [C] en qualité de délégué syndical, le jugement retient que ce dernier n'a pas été candidat aux élections des membres du comité social et économique et n'a donc pu recueillir au moins 10 % des suffrages au premier tour, que parmi les quatre candidats de l'union locale ayant obtenu un tel score, deux d'entre eux ont quitté l'entreprise et la troisième a quitté son mandat syndical pour un mandat au comité social et économique, que cependant il reste un quatrième candidat, M. [P], qui pouvait prétendre être désigné, peu important qu'il ne soit pas à jour du règlement de ses cotisations syndicales auprès de l'union locale, que ce candidat n'ayant pas renoncé à son droit d'être désigné délégué syndical, l'union locale ne pouvait désigner M. [C], simple adhérent, en cette qualité.

17. En se déterminant ainsi, alors que le syndicat qui ne dispose plus de candidats en mesure d'exercer un mandat de délégué syndical à son profit peut désigner l'un de ses adhérents conformément aux dispositions de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du code du travail, le tribunal, qui n'a pas recherché, comme il était soutenu, si M. [P] avait renoncé à l'activité syndicale et ne cotisait plus depuis plus de deux ans à l'union locale, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la désignation, en date du 7 septembre 2020, par l'union locale CGT [Localité 4] centre-ville de M. [C] en qualité de délégué syndical au sein de la société Medard Berton Guedj Elaidouni, le jugement rendu le 5 mars 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Montpellier ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Medard Berton Guedj Elaidouni et la condamne à payer à M. [C] et à l'union locale CGT [Localité 4] centre-ville la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:SO00499
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