Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 mars 2023, 21-22.852, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 mars 2023, 21-22.852, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 21-22.852
- ECLI:FR:CCASS:2023:SO00262
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle sans renvoi
Audience publique du mercredi 22 mars 2023
Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 22 janvier 2021- Président
- M. Sommer (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 22 mars 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 262 F-D
Pourvoi n° Y 21-22.852
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MARS 2023
La société Méditerranéenne de voyageurs, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-22.852 contre l'arrêt rendu le 22 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à M. [H] [B], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Méditerranéenne de voyageurs, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2021), M. [B] a été engagé, le 15 octobre 2012, en qualité de conducteur scolaire par la société Vortex par contrat de travail intermittent, transféré à la société Méditerranéenne de voyageurs (la société MDV) à compter du 1er septembre 2015.
2. Le 5 décembre 2016, l'employeur a notifié au salarié un avertissement suite à une utilisation abusive du véhicule professionnel à des fins personnelles.
3. Le salarié a été licencié par lettre du 10 mai 2017, son employeur lui reprochant d'avoir continué à utiliser le véhicule de la société à des fins personnelles.
4. Contestant son licenciement et réclamant la requalification de son contrat de travail, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié diverses sommes au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du préavis et des congés payés afférents et au titre de l'indemnité légale de licenciement, alors « que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; que pour juger en l'espèce le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a constaté qu'il n'était pas justifié que la société MDV avait informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées, que la société MDV ne peut prétendre qu'elle n'avait pas d'autre moyen que le système de géolocalisation pour assurer le suivi du temps de travail de son personnel, que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société ne pouvait permettre d'effectuer un contrôle permanent du salarié en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail et que l'utilisation du système de géolocalisation, ayant conduit la société MDV à apporter aux droits et aux libertés individuelles du salarié des restrictions disproportionnées à la finalité recherchée, est illicite ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en balance l'atteinte aux droits du salarié et l'exercice du droit à la preuve de la société MDV, qui n'avait pas d'autre moyen de démontrer que le salarié utilisait son véhicule en dehors de ses périodes de travail, ce en violation des stipulations de son contrat de travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres et insuffisants à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
7. L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée pour localiser le conducteur en dehors du temps de travail.
8. La cour d'appel a d'abord relevé que la société ne justifiait pas avoir informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées et que le recours à la géolocalisation n'était pas indispensable pour mesurer le suivi du temps de travail de son personnel puisqu'elle avait l'obligation, prévue dans le décret n° 2003-1242 du 22 décembre 2003 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de personnes, d'enregistrer la durée du temps de travail au moyen d'un livret individuel de contrôle dont les feuillets doivent être remplis quotidiennement par les intéressés pour y faire mention de la durée des différents travaux effectués.
9. Elle a ensuite retenu que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société avait permis un contrôle permanent du salarié, en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail, de sorte que cette atteinte importante à son droit à une vie personnelle était disproportionnée par rapport au but poursuivi.
10. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par le moyen, laquelle ne lui était pas demandée, a pu déduire que les données collectées à partir du système de géolocalisation portaient une atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale, et étaient dès lors irrecevables.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
12. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la requalification du contrat de travail à temps partiel du salarié en contrat de travail à temps complet et de le condamner en conséquence à lui payer diverses sommes au titre d'un rappel de salaire, pour la période de septembre 2016 à avril 2017, des congés payés afférents, d'un rappel de prime de 13ème mois et des congés payés afférents, alors « que le contrat de travail intermittent est un contrat écrit conclu afin de pourvoir un emploi permanent qui, par nature, comporte une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ; qu'il doit mentionner notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail et la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent ; que pour requalifier en l'espèce le contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet et condamner la société MDV à diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a retenu, sur le fondement de l'article L. 3123-14 du code du travail, qu'en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat du salarié était présumé à temps complet et que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni que le salarié n'avait pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ; qu'en statuant ainsi, quand les dispositions légales applicables au contrat à temps partiel, imposant que soient mentionnées la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, n'avaient pas vocation à s'appliquer au contrat intermittent du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-14, L. 3123-33 et L. 3123-34 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3123-14 et L. 3123-33 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
13. Selon le second de ces textes, le contrat de travail intermittent est un contrat écrit qui comporte notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail, la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent.
14. Pour requalifier le contrat en contrat de travail à temps complet et allouer des sommes en conséquence, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, les stipulations du contrat de travail ainsi que la règle suivant laquelle en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire du travail prévue ou le cas échéant la durée mensuelle et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat de travail est présumé conclu à temps complet en sorte que l'employeur, qui conteste cette présomption, doit rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur, retient, après avoir examiné les éléments produits par l'employeur, que ce dernier ne rapporte la preuve ni de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni du fait que le salarié n'a pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le contrat de travail du salarié était un contrat de travail intermittent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond en rejetant la demande de requalification du contrat et déboutant en conséquence le salarié des demandes en paiement formulées à ce titre.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et condamne la société Méditerranéenne de voyageurs à payer à M. [B] les sommes de 6 415,13 euros au titre de rappel de salaire sur la base d'un temps complet et 641,51 euros au titre des congés payés afférents ainsi que les sommes de 996,20 euros au titre de rappel de prime de 13e mois et de 99,62 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 22 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande de requalification du contrat et déboute M. [B] de ses demandes de rappel de salaire sur la base d'un temps complet, de congés payés afférents, de rappel de prime de 13e mois et de congés payés afférents ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Méditerranéenne de voyageurs
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société MDV fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la requalification du contrat de travail à temps partiel de M. [B] en contrat de travail à temps complet et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [B] les sommes de 6.415,13 euros au titre du rappel de salaire conséquent à la requalification du contrat de travail à temps plein pour la période de septembre 2016 à avril 2017, 641,51 euros au titre des congés payés afférents, 996,20 euros de rappel de prime de 13ème mois et 99,62 euros de congés payés y afférents ;
ALORS QUE le contrat de travail intermittent est un contrat écrit conclu afin de pourvoir un emploi permanent qui, par nature, comporte une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ; qu'il doit mentionner notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail et la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent ; que pour requalifier en l'espèce le contrat de travail intermittent de M. [B] en contrat de travail à temps complet et condamner la société MDV à diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a retenu, sur le fondement de l'article L. 3123-14 du code du travail, qu'en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat de M. [B] était présumé à temps complet et que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni que le salarié n'avait pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ; qu'en statuant ainsi, quand les dispositions légales applicables au contrat à temps partiel, imposant que soient mentionnées la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, n'avaient pas vocation à s'appliquer au contrat intermittent de M. [B], la cour d'appel a violé les articles L. 3123-14, L. 3123-33 et L. 3123-34 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société MDV fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement pour faute grave de M. [B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamnée à payer à ce dernier les sommes de 9.091,08 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.030,36 euros au titre du préavis, 303,03 euros au titre des congés payés afférents et 1.439,41 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
ALORS QUE l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; que pour juger en l'espèce le licenciement de M. [B] sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a constaté qu'il n'était pas justifié que la société MDV avait informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées, que la société MDV ne peut prétendre qu'elle n'avait pas d'autre moyen que le système de géolocalisation pour assurer le suivi du temps de travail de son personnel, que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société ne pouvait permettre d'effectuer un contrôle permanent de M. [B] en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail et que l'utilisation du système de géolocalisation, ayant conduit la société MDV à apporter aux droits et aux libertés individuelles du salarié des restrictions disproportionnées à la finalité recherchée, est illicite ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en balance l'atteinte aux droits du salarié et l'exercice du droit à la preuve de la société MDV, qui n'avait pas d'autre moyen de démontrer que M. [B] utilisait son véhicule en dehors de ses périodes de travail, ce en violation des stipulations de son contrat de travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres et insuffisants à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00262
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 22 mars 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 262 F-D
Pourvoi n° Y 21-22.852
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MARS 2023
La société Méditerranéenne de voyageurs, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-22.852 contre l'arrêt rendu le 22 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à M. [H] [B], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Méditerranéenne de voyageurs, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2021), M. [B] a été engagé, le 15 octobre 2012, en qualité de conducteur scolaire par la société Vortex par contrat de travail intermittent, transféré à la société Méditerranéenne de voyageurs (la société MDV) à compter du 1er septembre 2015.
2. Le 5 décembre 2016, l'employeur a notifié au salarié un avertissement suite à une utilisation abusive du véhicule professionnel à des fins personnelles.
3. Le salarié a été licencié par lettre du 10 mai 2017, son employeur lui reprochant d'avoir continué à utiliser le véhicule de la société à des fins personnelles.
4. Contestant son licenciement et réclamant la requalification de son contrat de travail, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié diverses sommes au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du préavis et des congés payés afférents et au titre de l'indemnité légale de licenciement, alors « que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; que pour juger en l'espèce le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a constaté qu'il n'était pas justifié que la société MDV avait informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées, que la société MDV ne peut prétendre qu'elle n'avait pas d'autre moyen que le système de géolocalisation pour assurer le suivi du temps de travail de son personnel, que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société ne pouvait permettre d'effectuer un contrôle permanent du salarié en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail et que l'utilisation du système de géolocalisation, ayant conduit la société MDV à apporter aux droits et aux libertés individuelles du salarié des restrictions disproportionnées à la finalité recherchée, est illicite ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en balance l'atteinte aux droits du salarié et l'exercice du droit à la preuve de la société MDV, qui n'avait pas d'autre moyen de démontrer que le salarié utilisait son véhicule en dehors de ses périodes de travail, ce en violation des stipulations de son contrat de travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres et insuffisants à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
7. L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée pour localiser le conducteur en dehors du temps de travail.
8. La cour d'appel a d'abord relevé que la société ne justifiait pas avoir informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées et que le recours à la géolocalisation n'était pas indispensable pour mesurer le suivi du temps de travail de son personnel puisqu'elle avait l'obligation, prévue dans le décret n° 2003-1242 du 22 décembre 2003 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de personnes, d'enregistrer la durée du temps de travail au moyen d'un livret individuel de contrôle dont les feuillets doivent être remplis quotidiennement par les intéressés pour y faire mention de la durée des différents travaux effectués.
9. Elle a ensuite retenu que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société avait permis un contrôle permanent du salarié, en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail, de sorte que cette atteinte importante à son droit à une vie personnelle était disproportionnée par rapport au but poursuivi.
10. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par le moyen, laquelle ne lui était pas demandée, a pu déduire que les données collectées à partir du système de géolocalisation portaient une atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale, et étaient dès lors irrecevables.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
12. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la requalification du contrat de travail à temps partiel du salarié en contrat de travail à temps complet et de le condamner en conséquence à lui payer diverses sommes au titre d'un rappel de salaire, pour la période de septembre 2016 à avril 2017, des congés payés afférents, d'un rappel de prime de 13ème mois et des congés payés afférents, alors « que le contrat de travail intermittent est un contrat écrit conclu afin de pourvoir un emploi permanent qui, par nature, comporte une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ; qu'il doit mentionner notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail et la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent ; que pour requalifier en l'espèce le contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet et condamner la société MDV à diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a retenu, sur le fondement de l'article L. 3123-14 du code du travail, qu'en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat du salarié était présumé à temps complet et que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni que le salarié n'avait pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ; qu'en statuant ainsi, quand les dispositions légales applicables au contrat à temps partiel, imposant que soient mentionnées la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, n'avaient pas vocation à s'appliquer au contrat intermittent du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-14, L. 3123-33 et L. 3123-34 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3123-14 et L. 3123-33 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
13. Selon le second de ces textes, le contrat de travail intermittent est un contrat écrit qui comporte notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail, la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent.
14. Pour requalifier le contrat en contrat de travail à temps complet et allouer des sommes en conséquence, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, les stipulations du contrat de travail ainsi que la règle suivant laquelle en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire du travail prévue ou le cas échéant la durée mensuelle et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat de travail est présumé conclu à temps complet en sorte que l'employeur, qui conteste cette présomption, doit rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur, retient, après avoir examiné les éléments produits par l'employeur, que ce dernier ne rapporte la preuve ni de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni du fait que le salarié n'a pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le contrat de travail du salarié était un contrat de travail intermittent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond en rejetant la demande de requalification du contrat et déboutant en conséquence le salarié des demandes en paiement formulées à ce titre.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et condamne la société Méditerranéenne de voyageurs à payer à M. [B] les sommes de 6 415,13 euros au titre de rappel de salaire sur la base d'un temps complet et 641,51 euros au titre des congés payés afférents ainsi que les sommes de 996,20 euros au titre de rappel de prime de 13e mois et de 99,62 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 22 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande de requalification du contrat et déboute M. [B] de ses demandes de rappel de salaire sur la base d'un temps complet, de congés payés afférents, de rappel de prime de 13e mois et de congés payés afférents ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Méditerranéenne de voyageurs
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société MDV fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la requalification du contrat de travail à temps partiel de M. [B] en contrat de travail à temps complet et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [B] les sommes de 6.415,13 euros au titre du rappel de salaire conséquent à la requalification du contrat de travail à temps plein pour la période de septembre 2016 à avril 2017, 641,51 euros au titre des congés payés afférents, 996,20 euros de rappel de prime de 13ème mois et 99,62 euros de congés payés y afférents ;
ALORS QUE le contrat de travail intermittent est un contrat écrit conclu afin de pourvoir un emploi permanent qui, par nature, comporte une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ; qu'il doit mentionner notamment la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail et la répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail, qui prévoient que le contrat de travail à temps partiel précise la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ne sont pas applicables au contrat de travail intermittent ; que pour requalifier en l'espèce le contrat de travail intermittent de M. [B] en contrat de travail à temps complet et condamner la société MDV à diverses sommes à ce titre, la cour d'appel a retenu, sur le fondement de l'article L. 3123-14 du code du travail, qu'en l'absence de dispositions contractuelles mentionnant la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, le contrat de M. [B] était présumé à temps complet et que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle de travail convenue entre les parties, ni que le salarié n'avait pas été placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de son employeur ; qu'en statuant ainsi, quand les dispositions légales applicables au contrat à temps partiel, imposant que soient mentionnées la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue ainsi que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, n'avaient pas vocation à s'appliquer au contrat intermittent de M. [B], la cour d'appel a violé les articles L. 3123-14, L. 3123-33 et L. 3123-34 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société MDV fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement pour faute grave de M. [B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamnée à payer à ce dernier les sommes de 9.091,08 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.030,36 euros au titre du préavis, 303,03 euros au titre des congés payés afférents et 1.439,41 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
ALORS QUE l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; que pour juger en l'espèce le licenciement de M. [B] sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a constaté qu'il n'était pas justifié que la société MDV avait informé individuellement le salarié de la mise en oeuvre du système de géolocalisation, de la finalité poursuivie par ce système et des données collectées, que la société MDV ne peut prétendre qu'elle n'avait pas d'autre moyen que le système de géolocalisation pour assurer le suivi du temps de travail de son personnel, que la mise en place du traitement de géolocalisation des véhicules de la société ne pouvait permettre d'effectuer un contrôle permanent de M. [B] en collectant des données relatives à la localisation de son véhicule en dehors de ses horaires et de ses jours de travail et que l'utilisation du système de géolocalisation, ayant conduit la société MDV à apporter aux droits et aux libertés individuelles du salarié des restrictions disproportionnées à la finalité recherchée, est illicite ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en balance l'atteinte aux droits du salarié et l'exercice du droit à la preuve de la société MDV, qui n'avait pas d'autre moyen de démontrer que M. [B] utilisait son véhicule en dehors de ses périodes de travail, ce en violation des stipulations de son contrat de travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres et insuffisants à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.