Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 8 février 2023, 22-10.852, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 110 F-B

Pourvoi n° A 22-10.852


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023

Le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5] (GHU [Localité 5]) [6], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 22-10.852 contre l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 12), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 2], actuellement hospitalisée au GHU [Localité 5] [6] site [7], dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [Y] [O], domicilié [Adresse 4],

3°/ au procureur général près de la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 décembre 2021), le 15 janvier 2021, Mme [O] a été admise en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du directeur d'établissement et à la demande de son père, M. [O], sur le fondement de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique. Le 2 novembre 2021, alors qu'un programme de soins était en cours, le directeur d'établissement a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète.

2. Le 4 novembre 2021, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.

Sur l'irrecevabilité du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O], relevée d'office après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile

Vu l'article 609 du code de procédure civile et l'article R. 3211-13 du code de la santé publique :

3. Le pourvoi formé contre M. [O], qui n'était pas partie à l'instance, n'est pas recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le directeur d'établissement fait grief à l'ordonnance de lever la mesure d'hospitalisation sous contrainte de Mme [O] dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation, alors « qu'ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3212-1, I, et L. 3211-12-1 du code de la santé publique :

5. Aux termes du premier texte, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1° ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;
2° son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l'article L. 3211-2-1.

6. Lorsqu'il est saisi sur le fondement du second texte, aux fins de se prononcer sur le maintien de l'hospitalisation complète d'un patient, le juge doit examiner le bien-fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d'ordre médical.

7. Pour prononcer la mainlevée différée de l'hospitalisation complète de Mme [O], après avoir constaté que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, l'ordonnance retient qu'il paraît néanmoins adapté à la situation de l'intéressée, qui a déjà passé de longs mois au sein de l'hôpital et qui a été réhospitalisée à la suite d'une rechute, d'ordonner une mainlevée afin qu'à la suite de permissions de sortie qui se sont avérées positives, l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], cette mesure pouvant être de nature à lui laisser la possibilité de poursuivre ses études, nonobstant sa pathologie chronique dont elle semble désormais être consciente à l'audience.

8. En statuant ainsi, alors que les certificats médicaux, dont le caractère régulier et circonstancié n'était pas contesté, se prononçaient tous en faveur du maintien de l'hospitalisation complète, le premier président, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit statué sur le fond dès lors que, les délais pour statuer étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O] ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel interjeté recevable, l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.

Le conseiller referendaire rapporteur le president

Le greffier de chambre

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5].

L'ordonnance attaquée, critiquée par le Directeur du GHU [Localité 5] [6], encourt la censure ;

EN CE QU'elle a infirmé l'ordonnance du 12 novembre 2021 puis ordonné la mainlevée de la mesure d'hospitalisation sous contrainte de l'intéressée dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation ;

ALORS QUE, premièrement, ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;

ALORS QUE, deuxièmement, en estimant qu'il y avait lieu à mainlevée de la mesure pour que l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], et ce, après des permissions de sortie qui se sont avérées positives, la mesure étant de nature à permettre à l'intéressée de poursuivre des études, le juge du fond s'est déterminé sur le fondement de considérations étrangères à l'état mental ou au consentement que visent les textes ; qu'à cet égard également, l'ordonnance attaquée encourt la censure pour violation des articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;

ET ALORS QUE, troisièmement, à supposer que les motifs mis en avant puissent concerner l'état mental de la patiente, le juge doit alors être considéré comme s'étant arrogé le pouvoir d'émettre une appréciation d'ordre médical, qui lui échappe, dès lors qu'il est tenu de se conformer aux éléments d'ordre médical figurant au dossier ; que de ce point de vue également, l'ordonnance encourt la censure pour violation des articles L. 3211-12-1, L. 3216-1, L. 3212-3 et R. 3211-12 du code de la santé publique.

Le greffier de chambre ECLI:FR:CCASS:2023:C100110
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