Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 février 2023, 21-21.011, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

AF1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er février 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 81 F-D

Pourvoi n° X 21-21.011




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023

La société Immoplus, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 21-21.011 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [F] [R], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Immoplus, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 15 juin 2021) et les productions, Mme [R] a été engagée à compter du 3 octobre 2013 par la société Immoplus (la société) en qualité de gestionnaire de porte-feuille.

2. Elle a été convoquée le 11 janvier 2019 à un entretien préalable en vue d'un licenciement économique, fixé au 22 janvier 2019, au cours duquel un contrat de sécurisation professionnelle lui a été proposé.

3. Par lettre du 31 janvier 2019, l'employeur lui a notifié les motifs économiques de la rupture en lui précisant qu'en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, cette lettre constituerait la notification de son licenciement.

4. A la suite de son adhésion au dispositif, son contrat de travail a été rompu le 12 février 2019.

5. Elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée la somme de 26 562 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que selon l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsque l'entreprise emploie habituellement au moins onze salariés, le juge octroie au salarié ayant cinq ans d'ancienneté et dont le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse une indemnité comprise entre trois et six mois de salaire ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la salariée a été licenciée par lettre du 31 janvier 2019, qu'elle avait, à la date de son licenciement, moins de six ans d'ancienneté et que son salaire mensuel s'élevait à 2 355 euros ; qu'en condamnant néanmoins la société à lui verser la somme de 26 562 euros, soit l'équivalent de onze mois du salaire relevé par la cour d'appel, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

8. Il résulte de ce texte que si le salarié est licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'existe pas de possibilité de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté exprimée en années complètes du salarié.

9. Pour condamner la société à payer à la salariée la somme de 26 562 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait presque six ans d'ancienneté et avait perçu en 2018 un salaire annuel de 28 262 euros, retient qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi, que son indemnité Pôle emploi va bientôt s'arrêter alors que sa fille étudiante est toujours à sa charge fiscalement et qu'elle n'a bénéficié d'aucune formation au sein de la société.

10. En statuant ainsi, en allouant à l'intéressée une somme représentant onze mois de salaire, alors que pour un salarié dont l'ancienneté dans l'entreprise est de cinq années complètes, le montant minimal de l'indemnité est de trois mois de salaire et le montant maximal est de six mois de salaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Immoplus à verser à Mme [R] la somme de 26 562 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Immoplus

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Immoplus fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement économique prononcé le 31 janvier 2019 par la société Immoplus à l'encontre de Mme [R] est sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR dit que la société Immoplus ne justifie pas avoir effectué des recherches dans le cadre du reclassement de la salariée, d'AVOIR dit que la société Immoplus ne démontre pas avoir mis en place des critères d'ordre de licenciement qui soient définis et connus par la salariée, d'AVOIR condamné la société Immoplus à payer à Mme [R] la somme de 26.562 euros qu'elle réclame pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui AVOIR ordonné le remboursement par Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [R] dans la limite de six mois d'indemnités ;

1. ALORS QUE le juge a l'interdiction de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, il ressort du curriculum-vitae de Mme [R] qu'avant d'exercer des fonctions de gestionnaire de portefeuille au sein de la société Immoplus, Mme [R] avait occupé des emplois d'assistante gestion locative, d'assistante gestion locative et transaction, d'assistante commerciale, d'employée de banque et de secrétaire commerciale ; qu'il résulte donc des termes clairs et précis de ce curriculum vitae qu'elle n'avait jamais exercé un emploi de négociatrice ; qu'au demeurant, dans ses conclusions d'appel, Mme [R] ne prétendait pas avoir jamais exercé des fonctions de négociatrice ; qu'en affirmant cependant, pour reprocher à la société Immoplus d'avoir recruté deux négociateurs en décembre 2018 et janvier 2019 sans proposer ces emplois à Mme [R], avec une formation adéquate, que « la lecture du CV de Mme [R] montre qu'elle avait déjà par le passé travaillé en qualité de négociatrice », la cour d'appel a violé l'interdiction faite au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

2. ALORS QUE l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur ne lui interdit pas d'accorder une augmentation de salaire à un autre salarié, avant le licenciement pour motif économique d'un salarié ; qu'en retenant encore que la société Immoplus a augmenté le salaire d'une autre salariée qui travaillait dans le même service que Mme [R] et effectuait les mêmes tâches qu'elle, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à caractériser un manquement à l'obligation de reclassement, en violation de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

3. ALORS QUE s'il est tenu d'adapter le salarié à l'évolution de son emploi, l'employeur n'est pas tenu de lui fournir une formation nouvelle qui lui fait défaut ; qu'en l'espèce la société Immoplus soutenait que le poste sur lequel Mme [H] a été recrutée était un poste d'assistante polyvalente, incompatible avec les compétences de Mme [R], ce que cette dernière ne contestait pas ; qu'en se bornant à relever ce que poste n'a pas été proposé à Mme [R], sans se prononcer sur la compatibilité de ce poste avec les compétences de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

4. ALORS QU' il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement lorsque l'employeur justifie de l'absence de poste disponible compatible avec les compétences du salarié à l'époque du licenciement dans l'entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient ; qu'en l'espèce, la société Immoplus soutenait qu'aucun poste compatible avec les qualifications de Mme [R] n'était disponible à une époque contemporaine du licenciement et s'offrait de le démontrer en produisant les registres du personnel des sociétés du groupe ; qu'en se bornant à relever que l'employeur ne justifie pas avoir mis en place des recherches de reclassement, sans constater l'existence d'un poste disponible compatible avec les qualifications de Mme [R], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

5. ALORS QUE si la lettre de licenciement doit énoncer la cause économique du licenciement telle que prévue par l'article L. 1233-3 du code du travail et l'incidence matérielle de cette cause économique sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié, l'appréciation de l'existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement faisait état d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et la société Immoplus faisait valoir, pour justifier de l'existence d'une menace sur la compétitivité, que la baisse d'activité enregistrée, au cours de l'exercice 2017/2018, dans le secteur de la gestion locative avait entraîné une dégradation de 6 % de son chiffre d'affaires total et une réduction de 16 % de son résultat net global ; qu'elle justifiait également que l'activité de gestion locative avait continué à se dégrader sur les premiers mois de l'exercice 2018/2019 ; qu'en se bornant à relever, pour dire que le licenciement n'était pas justifié, que la société ne justifie que d'une perte de 5,5 % et non de 20 % ainsi qu'elle l'affirme dans la lettre de licenciement, sans rechercher si cette perte n'était pas suffisante, compte tenu de ses répercussions sur le résultat global, à caractériser une menace sur la compétitivité de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de motif au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

6. ALORS QUE le juge est tenu de motiver ses décisions ; qu'en affirmant, dans le dispositif de son arrêt que « la société Immoplus ne démontre pas avoir mis en place des critères d'ordre de licenciement qui soient définis et connus par la salariée », sans donner aucun motif à une telle affirmation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION , SUBSIDIAIRE

La société Immoplus fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [R] 26.562 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ALORS QUE selon l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsque l'entreprise emploie habituellement au moins onze salariés, le juge octroie au salarié ayant cinq ans d'ancienneté et dont le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse une indemnité comprise entre trois et six mois de salaire ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que Mme [R] a été licenciée par lettre du 31 janvier 2019, qu'elle avait, à la date de son licenciement, moins de six ans d'ancienneté et que son salaire mensuel s'élevait à 2.355 euros (28.262/12) ; qu'en condamnant néanmoins la société Immoplus à lui verser la somme de 26.562 euros, soit l'équivalent de onze mois du salaire relevé par la cour d'appel, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00081
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