Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 janvier 2023, 21-11.273, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 janvier 2023, 21-11.273, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 21-11.273
- ECLI:FR:CCASS:2023:SO00040
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 25 janvier 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, du 15 janvier 2021- Président
- Mme Capitaine (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 40 F-D
Pourvoi n° N 21-11.273
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
M. [V] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-11.273 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2021 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Uber France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Uber BV, dont le siège est [Adresse 3], Pays-Bas, société de droit étranger,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Uber France et de la société Uber BV, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 janvier 2021), M. [O], contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d'un formulaire d'enregistrement de partenariat, a exercé une activité de chauffeur à compter du 24 mars 2015 en recourant à la plateforme numérique Uber, après s'être enregistré au répertoire Sirene en tant qu'indépendant, sous l'activité de transport de voyageurs par taxis.
2. En mars 2016, la société Uber BV a suspendu son compte pendant deux semaines au motif d'un taux d'annulation très élevé de ses courses avant de le réactiver le 1er avril 2016.
3. M. [O] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de
travail, et formé des demandes de rappels de salaires et d'indemnités de rupture.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses cinquième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
4. M. [O] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il dit que la relation entre les parties n'entre pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, de dire que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur ses prétentions et le dire mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de le débouter en conséquence de l'intégralité de ses demandes, alors :
« 5°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de
son subordonné ; qu'en constatant que « certaines dispositions du contrat
pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs » notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles comportementales, et en décidant néanmoins que ces « préconisations » relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
7°/ que la détermination par la plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services constitue l'exercice d'un pouvoir de directive et de contrôle de l'activité des chauffeurs dès lors que le tarif peut être ajusté unilatéralement par la société, notamment en cas d'itinéraire inefficace ; qu'en l'espèce, il était constant que les tarifs étaient
contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n'avait pas le libre choix, puisque le contrat prévoyait en son article 4.3 une
possibilité d'ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur avait choisi un « itinéraire inefficace », ce qui traduisait l'existence de directives de la société Uber dont elle contrôlait l'application ; qu'en affirmant, pour écarter l'existence d'un contrat de travail, que S'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
8°/ que constituent l'exercice d'un pouvoir de sanction, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaissait l'existence, les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace", la fixation par la société Uber BV d'un taux d'annulation de commandes, au demeurant variable dans chaque ville" selon la charte de la communauté Uber pouvant entrainer la perte d'accès au compte ainsi que la perte définitive d'accès à l'application Uber en cas de signalements de comportements problématiques" par les utilisateurs ; qu'en estimant que Lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton ; que Mr [O] justifie par contre par un échange de mails de ce que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2014 (sic 2016) en raison d'un taux élevé d'annulation ; que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, ce qui semble avoir été le cas de Mr [O] ainsi qu'il ressort des termes des échanges de mails versés aux débats. Cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs. Cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention. Il est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 8221-6 du code du travail :
5. Il résulte de ce texte que les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail. L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.
6. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
7. Pour dire que M. [O] n'était pas lié par un contrat de travail à la société Uber France, l'arrêt retient que certaines dispositions du contrat pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles mais que ces préconisations relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur.
8. L'arrêt relève ensuite que s'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), et n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire.
9. Il retient encore que lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton et que M. [O] justifie par un échange de mails que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2016 en raison d'un taux élevé d'annulation.
10. Il ajoute que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, que cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs mais, cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention et est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire.
11. En statuant comme elle a fait, alors qu'il résultait de ses constatations l'existence d'un pouvoir de direction, de contrôle de l'exécution de la prestation ainsi que d'un pouvoir de sanction à l'égard du chauffeur, éléments caractérisant un lien de subordination, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne les sociétés Uber France et Uber BV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Uber France et Uber BV et les condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 8 mars 2019 en ce qu'il avait dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, dit que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur ses prétentions, dit qu'il était mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de l'avoir débouté en conséquence de l'intégralité de ses demandes ;
1°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci et que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le chauffeur qui conclut un contrat de partenariat avec la société Uber intègre un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV, qui n'existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers l'utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régies par la société Uber BV et que le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n'exclut pas en soi une relation de travail subordonnée dès lors que lorsqu'un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV ; qu'en affirmant, pour exclure tout contrat de travail entre M. [O] et la société Uber, que M. [O] ne pouvait soutenir que : « chaque connexion s'analyserait en une succession de contrats par l'intermédiaire desquels les chauffeurs seraient placés dans les directives et le contrôle de la société Uber BV. Cette construction juridique innovante ne paraît pas toutefois devoir être retenue dès lors que s'il est possible pour un salarié d'avoir plusieurs employeurs et de se trouver ainsi sous un lien de subordination de manière discontinue, il est certain que dans un tel cas, ce salarié ne choisit pas librement les périodes et le rythme de travail pour chacun des employeurs, ce qui n'est évidemment pas de cas dans l'hypothèse d'une prestation réalisée pour le compte de la société Uber dès lors que, ainsi que rappelé ci-dessus, les chauffeurs ont le choix à tout moment de décider ou non de se connecter » que « Cette participation du chauffeur au sein d'un service organisé ne constitue toutefois qu'un indice de subordination et ne saurait en l'espèce suffire à établir le caractère fictif du statut de travailleur de Mr [O] dès lors qu'il est par ailleurs démontré que les conditions d'organisation du travail cidessus définies ne sont imposées à l'intéressé que lorsque ce dernier fait le choix de se connecter à l'application Uber et qu'il dispose par ailleurs de toute liberté ne pas y adhérer et de travailler en dehors de ce dispositif, en toute indépendance » (cf. arrêt p. 7) et que « les chauffeurs conservent en toute état de cause leur liberté de choisir l'horaire, le lieu et le contenu de leur travail et que la société Uber ne peut rien leur imposer à ce titre » (cf. arrêt p.9 §1), la cour d'appel, qui n'a pas apprécié l'existence du lien de subordination au seul moment de la connexion du chauffeur à la plateforme, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
2°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que lorsque le chauffeur a conclu un contrat de partenariat avec la société Uber, il intègre un service organisé par société Uber BV lorsqu'il se connecte à la plateforme, de sorte que l'appréciation du lien de subordination ne doit être opérée qu'à partir de la connexion à la plateforme, peu important la liberté dont dispose le chauffeur de se connecter, d'avoir une clientèle propre ou de choisir ses horaires de travail ; qu'en jugeant que les relations entre les parties n'entraient pas dans le cadre d'une relation de travail, en se fondant, notamment, sur l'absence de disposition contractuelle faisant obligation au chauffeur de travailler par le biais de l'application Uber et donc de réserver tout ou partie de son temps de travail à cette application, la liberté qu'aurait le chauffeur de se connecter ou non à l'application, l'absence de clause d'exclusivité, la liberté dont il disposerait de travailler pour son propre compte, voir pour celui d'une autre entreprise ou par le biais d'une autre plateforme, la liberté de ne pas adhérer à ce dispositif et de travailler en dehors en toute indépendance, ainsi que l'absence de redevance fixe imposée au chauffeur et de secteur géographique imposé, la cour d'appel, qui a apprécié l'existence du lien de subordination au regard d'éléments extérieurs à toute connexion du chauffeur à la plateforme, a statué par des motifs inopérants et a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
3°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci et que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que s'agissant des conditions d'exercice de la prestation de transport via l'application Uber, celle-ci exerce un contrôle en matière d'acceptation des courses, puisque au bout de trois refus de sollicitations, l'application adresse au chauffeur le message « Êtes-vous encore là ? », la charte invitant les chauffeurs qui ne souhaitent pas accepter de courses à se déconnecter « tout simplement », que cette invitation doit être mise en regard des stipulations du point 2.4 du contrat, selon lesquelles : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l'accès ou l'utilisation de l'Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d'Uber », lesquelles ont pour effet d'inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non, ce d'autant que le point 2.2 du contrat stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l'utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l'Application Chauffeur si l'utilisateur choisit de saisir la destination par l'intermédiaire de l'Application mobile d'Uber » ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l'acceptation d'une course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu'il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber ; que la cour d'appel, après avoir pourtant rappelé qu'étaient versés aux débats le document intitulé « formulaire d'enregistrement de partenariat » daté du 24 mars 2015, les conditions générales dites « conditions du partenariat », un exemplaire du contrat de prestation de services (et notamment ses articles 2.2, 2.4, 2.8 etc..) et la Charte de la communauté Uber, a retenu, pour exclure tout lien de subordination, que « même lorsqu'il utilise l'application, le chauffeur n'a pas l'obligation d'accepter les courses qui lui sont proposées, l'absence de réponses à toutes propositions successives de courses entraînant seulement une mise hors ligne pour des raisons de bon fonctionnement de l'application vis-à-vis des utilisateurs, qu'il peut toutefois rétablir à tout moment dès qu'il le souhaite » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
4°) ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que l'article 2.4 du contrat de prestation de service, visé par la cour, précise : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l'accès ou l'utilisation de l'Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d'Uber », ces dispositions ayant pour effet d'inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non, ce d'autant que le point 2.2 du contrat stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l'utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l'Application Chauffeur si l'utilisateur choisit de saisir la destination par l'intermédiaire de l'Application mobile d'Uber », ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l'acceptation d'une course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu'il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber ; qu'en affirmant que « La circonstance que le chauffeur ne connaît pas le client ni sa destination lorsque celui-ci rentre dans sa voiture ne diffère pas de la situation du taxi indépendant qui prend en charge un passager dans la rue ou à une station de taxi et ne peut refuser la course à ce client, et cet élément ne constitue pas davantage un indice de direction et contrôle de l'employeur », pour en déduire l'inexistence d'un contrat de travail entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
5°) ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'en constatant que « certaines dispositions du contrat pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs » notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles comportementales, et en décidant néanmoins que ces « préconisations » relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
6°) ALORS QUE la géolocalisation du chauffeur par le biais de l'application d'une plateforme numérique de mise en relation de chauffeurs VTC avec des clients et de son système GPS constitue un indice du lien de subordination juridique lorsqu'elle est utilisée par la plateforme pour contrôler les ordres et les directives qu'elle donne ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que lorsque le chauffeur était connecté à l'application Uber, ses informations de géolocalisations devaient être données aux services Uber par l'intermédiaire d'un équipement électronique afin de fournir des services de transports (cf. article 2.8 du contrat de prestation de services, Prod.), que ce système de géolocalisation permettait le suivi en temps réel par la société Uber de la position du chauffeur (cf. charte de la communauté Uber, Prod), ce qui permettait à la société Uber de procéder à un ajustement tarifaire de la course notamment si le chauffeur choisissait un autre itinéraire que celui recommandé ou en cas d'itinéraire « inefficace » (cf. article 4.3 du contrat de prestation de services) ; qu'en affirmant, avoir pourtant rappelé qu'étaient versés aux débats le document intitulé « formulaire d'enregistrement de partenariat » daté du 24 mars 2015, les conditions générales dites « conditions du partenariat », un exemplaire du contrat de prestations de services (et notamment ses articles 2.2, 2.4, 2.8 etc..) et la Charte de la communauté Uber, que « La mise en place de cette géolocalisation qui ne fonctionne évidemment que lorsque le chauffeur est connecté n'a pas pour objet de contrôler le travail des chauffeurs mais seulement de permettre le fonctionnement du système par le repérage géographique des chauffeurs et des passagers potentiels, système sans lequel l'application ne présente évidemment plus aucun intérêt », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
7°) ALORS QUE la détermination par la plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services constitue l'exercice d'un pouvoir de directive et de contrôle de l'activité des chauffeurs dès lors que le tarif peut être ajusté unilatéralement par la société, notamment en cas d'itinéraire inefficace ; qu'en l'espèce, il était constant que les tarifs étaient contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n'avait pas le libre choix, puisque le contrat prévoyait en son article 4.3 une possibilité d'ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur avait choisi un « itinéraire inefficace », ce qui traduisait l'existence de directives de la société Uber dont elle contrôlait l'application ; qu'en affirmant, pour écarter l'existence d'un contrat de travail, que « S'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
8°) ALORS QUE constituent l'exercice d'un pouvoir de sanction, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaissait l'existence, les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un « itinéraire inefficace », la fixation par la société Uber BV d'un taux d'annulation de commandes, au demeurant variable dans « chaque ville » selon la charte de la communauté Uber pouvant entrainer la perte d'accès au compte ainsi que la perte définitive d'accès à l'application Uber en cas de signalements de « comportements problématiques » par les utilisateurs ; qu'en estimant que « Lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton ; que Mr [O] justifie par contre par un échange de mails de ce que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2014 (sic 2016) en raison d'un taux élevé d'annulation ; que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, ce qui semble avoir été le cas de Mr [O] ainsi qu'il ressort des termes des échanges de mails versés aux débats. Cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs. Cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention. Il est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
9°) ALORS QUE constitue l'exercice d'un pouvoir disciplinaire, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, le fait pour la société Uber BV de pouvoir désactiver l'accès du chauffeur à l'application Chauffeur et aux services Uber, en cas d'évaluation moyenne par les utilisateurs inférieure à l'évaluation minimale moyenne acceptable fixée par Uber sur le territoire, susceptible d'être mise à jour par Uber à son entière discrétion (cf. article 2.6.2 du contrat de prestation de service intitulé « évaluations ») ; qu'en affirmant que « Ce sont les clients qui ont la possibilité d'attribuer des notes à la fin de chaque course, dans le cadre d'un système d'appréciation de la qualité du service rendu, pratique classique dans ce type de plateforme numérique et non pas la société Uber elle-même ce qui exclut ici toute idée de pouvoir disciplinaire », la cour d'appel a dénaturé l'article 2.6.2 du contrat de prestation de services, régulièrement versé aux débats, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
10°) ALORS QUE le travail indépendant se caractérise par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de fixer les conditions d'exécution de la prestation de service ; qu'au cas présent, il était constant que pendant la connexion du chauffeur Uber à la plateforme du même nom, celui-ci intégrait un service organisé au sein duquel il ne pouvait pas constituer de clientèle propre, il ne fixait pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de la prestation de transport, de sorte qu'il devait être considéré que son statut de travailleur indépendant était fictif ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 II du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 8 mars 2019 en ce qu'il avait dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, dit que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur ses prétentions, dit qu'il était mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de l'avoir débouté en conséquence de l'intégralité de ses demandes ;
ALORS QUE le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient ; qu'en confirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et en décidant, dans le même temps, que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur les prétentions de M. [O], pour ensuite le dire mal-fondées en ses demandes au titre d'un contrat de travail parce qu'il était inexistant, la cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du code du travail, ensemble les articles 86 et 88 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00040
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 40 F-D
Pourvoi n° N 21-11.273
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
M. [V] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-11.273 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2021 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Uber France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Uber BV, dont le siège est [Adresse 3], Pays-Bas, société de droit étranger,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Uber France et de la société Uber BV, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 janvier 2021), M. [O], contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d'un formulaire d'enregistrement de partenariat, a exercé une activité de chauffeur à compter du 24 mars 2015 en recourant à la plateforme numérique Uber, après s'être enregistré au répertoire Sirene en tant qu'indépendant, sous l'activité de transport de voyageurs par taxis.
2. En mars 2016, la société Uber BV a suspendu son compte pendant deux semaines au motif d'un taux d'annulation très élevé de ses courses avant de le réactiver le 1er avril 2016.
3. M. [O] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de
travail, et formé des demandes de rappels de salaires et d'indemnités de rupture.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses cinquième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
4. M. [O] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il dit que la relation entre les parties n'entre pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, de dire que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur ses prétentions et le dire mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de le débouter en conséquence de l'intégralité de ses demandes, alors :
« 5°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de
son subordonné ; qu'en constatant que « certaines dispositions du contrat
pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs » notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles comportementales, et en décidant néanmoins que ces « préconisations » relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
7°/ que la détermination par la plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services constitue l'exercice d'un pouvoir de directive et de contrôle de l'activité des chauffeurs dès lors que le tarif peut être ajusté unilatéralement par la société, notamment en cas d'itinéraire inefficace ; qu'en l'espèce, il était constant que les tarifs étaient
contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n'avait pas le libre choix, puisque le contrat prévoyait en son article 4.3 une
possibilité d'ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur avait choisi un « itinéraire inefficace », ce qui traduisait l'existence de directives de la société Uber dont elle contrôlait l'application ; qu'en affirmant, pour écarter l'existence d'un contrat de travail, que S'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
8°/ que constituent l'exercice d'un pouvoir de sanction, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaissait l'existence, les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace", la fixation par la société Uber BV d'un taux d'annulation de commandes, au demeurant variable dans chaque ville" selon la charte de la communauté Uber pouvant entrainer la perte d'accès au compte ainsi que la perte définitive d'accès à l'application Uber en cas de signalements de comportements problématiques" par les utilisateurs ; qu'en estimant que Lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton ; que Mr [O] justifie par contre par un échange de mails de ce que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2014 (sic 2016) en raison d'un taux élevé d'annulation ; que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, ce qui semble avoir été le cas de Mr [O] ainsi qu'il ressort des termes des échanges de mails versés aux débats. Cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs. Cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention. Il est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 8221-6 du code du travail :
5. Il résulte de ce texte que les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail. L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.
6. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
7. Pour dire que M. [O] n'était pas lié par un contrat de travail à la société Uber France, l'arrêt retient que certaines dispositions du contrat pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles mais que ces préconisations relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur.
8. L'arrêt relève ensuite que s'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), et n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire.
9. Il retient encore que lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton et que M. [O] justifie par un échange de mails que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2016 en raison d'un taux élevé d'annulation.
10. Il ajoute que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, que cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs mais, cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention et est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire.
11. En statuant comme elle a fait, alors qu'il résultait de ses constatations l'existence d'un pouvoir de direction, de contrôle de l'exécution de la prestation ainsi que d'un pouvoir de sanction à l'égard du chauffeur, éléments caractérisant un lien de subordination, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne les sociétés Uber France et Uber BV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Uber France et Uber BV et les condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 8 mars 2019 en ce qu'il avait dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, dit que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur ses prétentions, dit qu'il était mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de l'avoir débouté en conséquence de l'intégralité de ses demandes ;
1°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci et que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le chauffeur qui conclut un contrat de partenariat avec la société Uber intègre un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV, qui n'existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers l'utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régies par la société Uber BV et que le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n'exclut pas en soi une relation de travail subordonnée dès lors que lorsqu'un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV ; qu'en affirmant, pour exclure tout contrat de travail entre M. [O] et la société Uber, que M. [O] ne pouvait soutenir que : « chaque connexion s'analyserait en une succession de contrats par l'intermédiaire desquels les chauffeurs seraient placés dans les directives et le contrôle de la société Uber BV. Cette construction juridique innovante ne paraît pas toutefois devoir être retenue dès lors que s'il est possible pour un salarié d'avoir plusieurs employeurs et de se trouver ainsi sous un lien de subordination de manière discontinue, il est certain que dans un tel cas, ce salarié ne choisit pas librement les périodes et le rythme de travail pour chacun des employeurs, ce qui n'est évidemment pas de cas dans l'hypothèse d'une prestation réalisée pour le compte de la société Uber dès lors que, ainsi que rappelé ci-dessus, les chauffeurs ont le choix à tout moment de décider ou non de se connecter » que « Cette participation du chauffeur au sein d'un service organisé ne constitue toutefois qu'un indice de subordination et ne saurait en l'espèce suffire à établir le caractère fictif du statut de travailleur de Mr [O] dès lors qu'il est par ailleurs démontré que les conditions d'organisation du travail cidessus définies ne sont imposées à l'intéressé que lorsque ce dernier fait le choix de se connecter à l'application Uber et qu'il dispose par ailleurs de toute liberté ne pas y adhérer et de travailler en dehors de ce dispositif, en toute indépendance » (cf. arrêt p. 7) et que « les chauffeurs conservent en toute état de cause leur liberté de choisir l'horaire, le lieu et le contenu de leur travail et que la société Uber ne peut rien leur imposer à ce titre » (cf. arrêt p.9 §1), la cour d'appel, qui n'a pas apprécié l'existence du lien de subordination au seul moment de la connexion du chauffeur à la plateforme, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
2°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que lorsque le chauffeur a conclu un contrat de partenariat avec la société Uber, il intègre un service organisé par société Uber BV lorsqu'il se connecte à la plateforme, de sorte que l'appréciation du lien de subordination ne doit être opérée qu'à partir de la connexion à la plateforme, peu important la liberté dont dispose le chauffeur de se connecter, d'avoir une clientèle propre ou de choisir ses horaires de travail ; qu'en jugeant que les relations entre les parties n'entraient pas dans le cadre d'une relation de travail, en se fondant, notamment, sur l'absence de disposition contractuelle faisant obligation au chauffeur de travailler par le biais de l'application Uber et donc de réserver tout ou partie de son temps de travail à cette application, la liberté qu'aurait le chauffeur de se connecter ou non à l'application, l'absence de clause d'exclusivité, la liberté dont il disposerait de travailler pour son propre compte, voir pour celui d'une autre entreprise ou par le biais d'une autre plateforme, la liberté de ne pas adhérer à ce dispositif et de travailler en dehors en toute indépendance, ainsi que l'absence de redevance fixe imposée au chauffeur et de secteur géographique imposé, la cour d'appel, qui a apprécié l'existence du lien de subordination au regard d'éléments extérieurs à toute connexion du chauffeur à la plateforme, a statué par des motifs inopérants et a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
3°) ALORS QUE selon l'article L. 8221-6 du code du travail, la présomption de non salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère est écartée lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci et que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que s'agissant des conditions d'exercice de la prestation de transport via l'application Uber, celle-ci exerce un contrôle en matière d'acceptation des courses, puisque au bout de trois refus de sollicitations, l'application adresse au chauffeur le message « Êtes-vous encore là ? », la charte invitant les chauffeurs qui ne souhaitent pas accepter de courses à se déconnecter « tout simplement », que cette invitation doit être mise en regard des stipulations du point 2.4 du contrat, selon lesquelles : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l'accès ou l'utilisation de l'Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d'Uber », lesquelles ont pour effet d'inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non, ce d'autant que le point 2.2 du contrat stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l'utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l'Application Chauffeur si l'utilisateur choisit de saisir la destination par l'intermédiaire de l'Application mobile d'Uber » ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l'acceptation d'une course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu'il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber ; que la cour d'appel, après avoir pourtant rappelé qu'étaient versés aux débats le document intitulé « formulaire d'enregistrement de partenariat » daté du 24 mars 2015, les conditions générales dites « conditions du partenariat », un exemplaire du contrat de prestation de services (et notamment ses articles 2.2, 2.4, 2.8 etc..) et la Charte de la communauté Uber, a retenu, pour exclure tout lien de subordination, que « même lorsqu'il utilise l'application, le chauffeur n'a pas l'obligation d'accepter les courses qui lui sont proposées, l'absence de réponses à toutes propositions successives de courses entraînant seulement une mise hors ligne pour des raisons de bon fonctionnement de l'application vis-à-vis des utilisateurs, qu'il peut toutefois rétablir à tout moment dès qu'il le souhaite » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
4°) ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que l'article 2.4 du contrat de prestation de service, visé par la cour, précise : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l'accès ou l'utilisation de l'Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d'Uber », ces dispositions ayant pour effet d'inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non, ce d'autant que le point 2.2 du contrat stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l'utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l'Application Chauffeur si l'utilisateur choisit de saisir la destination par l'intermédiaire de l'Application mobile d'Uber », ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l'acceptation d'une course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu'il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber ; qu'en affirmant que « La circonstance que le chauffeur ne connaît pas le client ni sa destination lorsque celui-ci rentre dans sa voiture ne diffère pas de la situation du taxi indépendant qui prend en charge un passager dans la rue ou à une station de taxi et ne peut refuser la course à ce client, et cet élément ne constitue pas davantage un indice de direction et contrôle de l'employeur », pour en déduire l'inexistence d'un contrat de travail entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
5°) ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'en constatant que « certaines dispositions du contrat pourraient s'apparenter à l'exercice d'un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs » notamment celles relatives à la mise en place d'un itinéraire défini par le logiciel, à l'obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu'ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d'attendre au moins 10 minutes qu'un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l'engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d'utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l'hypothèse où ils seraient d'accord, à l'obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d'autre personne que l'utilisateur et à s'engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l'engagement du chauffeur de s'abstenir d'afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s'abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l'effigie ou aux couleurs d'Uber et à la préconisation de règles comportementales, et en décidant néanmoins que ces « préconisations » relevaient plus de la fixation d'un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d'une prestation plutôt que la mise en oeuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;
6°) ALORS QUE la géolocalisation du chauffeur par le biais de l'application d'une plateforme numérique de mise en relation de chauffeurs VTC avec des clients et de son système GPS constitue un indice du lien de subordination juridique lorsqu'elle est utilisée par la plateforme pour contrôler les ordres et les directives qu'elle donne ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que lorsque le chauffeur était connecté à l'application Uber, ses informations de géolocalisations devaient être données aux services Uber par l'intermédiaire d'un équipement électronique afin de fournir des services de transports (cf. article 2.8 du contrat de prestation de services, Prod.), que ce système de géolocalisation permettait le suivi en temps réel par la société Uber de la position du chauffeur (cf. charte de la communauté Uber, Prod), ce qui permettait à la société Uber de procéder à un ajustement tarifaire de la course notamment si le chauffeur choisissait un autre itinéraire que celui recommandé ou en cas d'itinéraire « inefficace » (cf. article 4.3 du contrat de prestation de services) ; qu'en affirmant, avoir pourtant rappelé qu'étaient versés aux débats le document intitulé « formulaire d'enregistrement de partenariat » daté du 24 mars 2015, les conditions générales dites « conditions du partenariat », un exemplaire du contrat de prestations de services (et notamment ses articles 2.2, 2.4, 2.8 etc..) et la Charte de la communauté Uber, que « La mise en place de cette géolocalisation qui ne fonctionne évidemment que lorsque le chauffeur est connecté n'a pas pour objet de contrôler le travail des chauffeurs mais seulement de permettre le fonctionnement du système par le repérage géographique des chauffeurs et des passagers potentiels, système sans lequel l'application ne présente évidemment plus aucun intérêt », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
7°) ALORS QUE la détermination par la plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services constitue l'exercice d'un pouvoir de directive et de contrôle de l'activité des chauffeurs dès lors que le tarif peut être ajusté unilatéralement par la société, notamment en cas d'itinéraire inefficace ; qu'en l'espèce, il était constant que les tarifs étaient contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n'avait pas le libre choix, puisque le contrat prévoyait en son article 4.3 une possibilité d'ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur avait choisi un « itinéraire inefficace », ce qui traduisait l'existence de directives de la société Uber dont elle contrôlait l'application ; qu'en affirmant, pour écarter l'existence d'un contrat de travail, que « S'il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n'a aucune prise, cette situation n'est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d'une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d'ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), n'est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
8°) ALORS QUE constituent l'exercice d'un pouvoir de sanction, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaissait l'existence, les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un « itinéraire inefficace », la fixation par la société Uber BV d'un taux d'annulation de commandes, au demeurant variable dans « chaque ville » selon la charte de la communauté Uber pouvant entrainer la perte d'accès au compte ainsi que la perte définitive d'accès à l'application Uber en cas de signalements de « comportements problématiques » par les utilisateurs ; qu'en estimant que « Lorsqu'un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l'application ce qui ne peut là encore s'analyser en l'exercice d'un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu'il le souhaite en cliquant sur un bouton ; que Mr [O] justifie par contre par un échange de mails de ce que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2014 (sic 2016) en raison d'un taux élevé d'annulation ; que la société Uber ne discute pas qu'elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d'un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu'après avoir accepté une course, il l'a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, ce qui semble avoir été le cas de Mr [O] ainsi qu'il ressort des termes des échanges de mails versés aux débats. Cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d'ailleurs rappelée à l'article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation pour un client ou un chauffeur de l'application en cas notamment d'infraction au contrat... ou pour toute autre raison, sans d'ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d'annulation de courses par les chauffeurs. Cet élément s'il peut certes constituer un indice de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire par un employeur, s'assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu'il n'aurait pas respecté les termes de leur convention. Il est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l'exercice d'un pouvoir disciplinaire », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;
9°) ALORS QUE constitue l'exercice d'un pouvoir disciplinaire, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, le fait pour la société Uber BV de pouvoir désactiver l'accès du chauffeur à l'application Chauffeur et aux services Uber, en cas d'évaluation moyenne par les utilisateurs inférieure à l'évaluation minimale moyenne acceptable fixée par Uber sur le territoire, susceptible d'être mise à jour par Uber à son entière discrétion (cf. article 2.6.2 du contrat de prestation de service intitulé « évaluations ») ; qu'en affirmant que « Ce sont les clients qui ont la possibilité d'attribuer des notes à la fin de chaque course, dans le cadre d'un système d'appréciation de la qualité du service rendu, pratique classique dans ce type de plateforme numérique et non pas la société Uber elle-même ce qui exclut ici toute idée de pouvoir disciplinaire », la cour d'appel a dénaturé l'article 2.6.2 du contrat de prestation de services, régulièrement versé aux débats, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
10°) ALORS QUE le travail indépendant se caractérise par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs et la liberté de fixer les conditions d'exécution de la prestation de service ; qu'au cas présent, il était constant que pendant la connexion du chauffeur Uber à la plateforme du même nom, celui-ci intégrait un service organisé au sein duquel il ne pouvait pas constituer de clientèle propre, il ne fixait pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de la prestation de transport, de sorte qu'il devait être considéré que son statut de travailleur indépendant était fictif ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 II du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 8 mars 2019 en ce qu'il avait dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et, le reformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, dit que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur ses prétentions, dit qu'il était mal fondé en ses demandes au titre d'un contrat de travail qui est inexistant et de l'avoir débouté en conséquence de l'intégralité de ses demandes ;
ALORS QUE le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient ; qu'en confirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a dit que la relation entre les parties n'entrait pas dans le cadre d'une relation de travail et en décidant, dans le même temps, que le conseil de prud'hommes de Lyon était compétent pour statuer sur les prétentions de M. [O], pour ensuite le dire mal-fondées en ses demandes au titre d'un contrat de travail parce qu'il était inexistant, la cour d'appel a violé l'article L. 1411-1 du code du travail, ensemble les articles 86 et 88 du code de procédure civile.