Cour d'appel de Nîmes, 8 novembre 2022, 19/031061

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ARRÊT No

No RG 19/03106 - No Portalis DBVH-V-B7D-HOGW

GLG/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
25 juin 2019

RG :15/00244


[L]


C/

S.E.L.A.R.L. BALINCOURT
AGS CGEA [Localité 4]
AGS - CGEA [Localité 10]
S.A.R.L. GAUTHIER SECURITE PREVENTION

















COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022



APPELANT :

Monsieur [C] [L]
[Adresse 6]
[Localité 3]

Représenté par Me Camille ALLIEZ, avocat au barreau de NIMES



INTIMÉES :

SELARL BALINCOURT es qualité mandataire liquidateur de la société GAUTHIER SECURITE PREVENTION
[Adresse 5]
[Localité 8]


AGS CGEA [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représenté par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, avocat au barreau de NIMES

AGS - CGEA [Localité 10]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 7]

Représenté par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, avocat au barreau de NIMES

S.A.R.L. GAUTHIER SECURITE PREVENTION
[Adresse 1]
[Localité 8]

Représentée par Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON


Ordonnance de clôture du 10 Juin 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel
Madame Virginie HUET, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision


DÉBATS :

à l'audience publique du 24 Juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Septembre 2022 prorogée à ce jour
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 08 novembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :


M. [C] [L] a été embauché par la société Gauthier Sécurité Prévention en qualité d'agent de sécurité cynophile, coefficient 140, niveau III, échelon 2, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 100 heures par mois à compter du 12 avril 2011, transformé en un contrat à temps complet par avenant du 28 juin 2011, à effet au 1er juillet 2011, suivi d'un avenant signé le 28 juin 2012, stipulant que ses horaires de travail seraient organisés sur la base de cycles pouvant aller jusqu'à huit semaines, conformément aux dispositions conventionnelles applicables.

Par requête reçue le 9 mars 2015, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon afin de voir condamner l'employeur à lui payer plusieurs sommes au titre de l'exécution de son contrat de travail.

Prenant acte de la rupture aux torts de l'employeur, par lettre du 6 juillet 2015, il a formé des demandes ampliatives afin de voir dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à lui payer plusieurs sommes à ce titre.

La société Gauthier Sécurité Prévention a été placée en redressement judiciaire par jugement du 19 septembre 2018, désignant la SELARL De Saint Rapt & Bertholet en qualité d'administrateur judiciaire, suivi d'un jugement du 6 mai 2020 homologuant le plan de redressement.

Par jugement du 25 juin 2019, le conseil de prud'hommes a dit que la prise d'acte litigieuse s'analysait en une démission et, déboutant le salarié de ses autres prétentions et l'employeur de ses demandes reconventionnelles, a condamné ce dernier au paiement des sommes suivantes :

– 5 563,68 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires sur mensualisation
– 556,36 euros au titre des congés payés afférents
– 4 800 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale des vacations
– 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [L] a interjeté appel limité de cette décision par déclaration du 29 juillet 2019.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 9 juillet 2021, l'appelant demande à la cour de :

"Réformer le jugement dont appel tend à l'annulation en ce qu'il a :

- Dit que la prise d'acte de rupture s'analyse comme une démission
- Débouté Monsieur [L] de toutes ses autres demandes

Statuant à nouveau sur les chefs réformés :

Condamner l'employeur au paiement de la somme de 19.46 € + 1, 94 € de congés payés afférents à titre de rappel de prime de chien, somme arrêtée à la date du 28 février 2015.


Condamner l'employeur à titre de dommages et intérêts pour non-respect du temps minimal de repos (quand intervention pendant les astreintes après les rondes) au paiement de la somme de 5 000 €.

Condamner l'employeur à titre de dommages et intérêts pour non-respect des règles en matière d'hygiène et de sécurité (mise à disposition d'un local et autres) au paiement de la somme de 5 000 €.

Condamner l'employeur à titre de dommages et intérêts pour non-respect des week-ends obligatoires (2 week-ends par mois selon la convention collective : article 7.1), soit 57 week-ends manquants en 3 ans au paiement de la somme de 17 100 €.

Condamner l'employeur à titre de rappel de salaire (passation de véhicule lors des rondes et astreintes sur [Localité 11]) sur la période du 1er mars 2012 au 31 décembre 2014 au paiement de la somme de 826.52 € outre celle de 82, 65 € au titre des congés payés afférents.

Condamner l'employeur à titre de remboursement des frais kilométriques sur 3 ans au paiement de la somme de 12 086 €.

Dire et juger que la prise d'acte de rupture du 6 juillet 2015 doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

Condamner l'employeur à payer au concluant la somme de 1487,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

Condamner l'employeur à payer au concluant la somme de 3500 € à titre d'indemnité de préavis, outre 350 € au titre des congés payés afférents

Condamner l'employeur à payer au concluant la somme de 21 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Confirmer le jugement pour le surplus.

Y ajoutant :

Condamner La Société GAUTHIER SECURITE PREVENTION à payer à Monsieur [L] [C], la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 CPC au titre des frais irrépétibles d'appel.

Condamner l'employeur aux entiers dépens."

Il expose que :

– l'employeur lui a confié des missions d'agent de sécurité sans lui verser la "prime de chien" alors qu'il exerçait l'emploi d'agent de sécurité cynophile, modifiant ainsi le contrat de travail sans son accord ;

– la répartition de la durée hebdomadaire du travail étant totalement aléatoire d'un cycle à l'autre alors qu'il aurait dû accomplir un nombre d'heures de travail identique pour la même semaine de chaque cycle conformément aux dispositions conventionnelles, il est en droit de prétendre au paiement d'au moins 35 heures par semaine et des heures supplémentaires accomplies au-delà de cette durée ;

– il n'a pas bénéficié du temps minimal de repos compte tenu des interventions réalisées pendant les astreintes ;

– les règles d'hygiène et de sécurité prévues par les articles R. 4221-1 à R. 4228-37 du code du travail n'ont pas été respectées faute de mise à disposition sur chaque site d'un vestiaire, de sanitaires, d'eau potable etc.

– les formations H.O.B.O. et S.S.T. ne lui ont pas été dispensées malgré ses demandes réitérées ;

– l'employeur ne lui a pas accordé deux dimanches de repos par mois en méconnaissance des dispositions de l'article 7.1 de la convention collective, sans pouvoir lui opposer l'arrangement qu'il avait sollicité en vue de travailler les fins de semaine, lequel n'a jamais été conclu ;

– le temps consacré au nettoyage du véhicule de l'entreprise et à sa remise à l'agent qui lui succédait sur le site ne lui a pas été rémunéré pendant les années 2012 à 2014 ;

– il a effectué de nombreuses vacations dépassant la durée maximale de 12 heures ;

– ses frais kilométriques ne lui ont pas été remboursés alors qu'il travaillait sur plusieurs sites situés dans trois départements ;

– ces manquements avérés sont suffisamment graves pour justifier sa prise d'acte de la rupture au torts de l'employeur.

La SARL Gauthier Sécurité Prévention et la SELARL De Saint Rapt & Bertholet présentent les demandes suivantes au dispositif de leurs conclusions récapitulatives du 23 juillet 2021 :

" Déclarer l'appel incident de la SARL Gauthier Sécurité Prévention recevable et bien fondé.

Sur l'appel principal de Monsieur [C] [L] :

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a décidé que la prise d'acte de rupture s'analysait comme une démission.

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Monsieur [C] [L] de ses autres demandes, tendant à la condamnation de la SARL Gauthier Sécurité Prévention à lui payer :

19.46 € pour prime de chien et 1.94 € de congés payés afférents
5 563.68 € de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur la mensualisation
556.36 € au titre des congés payés afférents
5 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du temps minimal de repos
5 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect des règles d'hygiène et de sécurité
17 100 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect des week-ends obligatoires
856.52 € à titre de rappel de salaire pour passation de véhicule
85.65 € à titre de congés payés afférents
14 400 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale des vacations
12 086 € au titre des frais kilométriques
1 487.50 € à titre d'indemnité légale de licenciement
3 500 € à titre d'indemnité de préavis
350 € de congés y afférents
21 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
2 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Sur l'appel incident de la SARL Gauthier Sécurité Prévention :

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SARL Gauthier Sécurité Prévention à payer à Monsieur [C] [L] les sommes suivantes :

5 563.68 € au titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires sur mensualisation
556.36 € au titre des congés payés y afférents
4 800 € au titre de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale des vacations
1 000 € au visa des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens.

Statuant à nouveau :

Débouter Monsieur [C] [L] de l'intégralité de ses réclamations

Condamner Monsieur [C] [L] au paiement d'une somme de 3 500 € au visa des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, concernant l'instance devant le Conseil des Prud'hommes d'Avignon

En toutes hypothèses,

Condamner Monsieur [C] [L] à payer à la SARL Gauthier Sécurité Prévention une somme de 3 500 € au visa des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile, en cause d'appel


Condamner Monsieur [C] [L] aux entiers dépens."

Ils répliquent que :

– la prime de chien n'est pas due lorsque les missions confiées à l'agent de sécurité cynophile ne nécessitent pas la présence de son chien, ce qui ne constitue pas une modification du contrat de travail ;

– la demande en paiement d'heures supplémentaires est totalement infondée dès lors que, l'activité étant par nature sujette à des modifications permanentes et imprévisibles, le temps de travail a été aménagé dans l'entreprise sous forme de cycles de huit semaines conformément à l'article 7.07 de la convention collective et que des plannings de travail étaient remis à M. [L] comme aux autres salariés 7 jours avant le début de chaque mois ;

– l'astreinte étant considérée comme du temps de repos, M. [L] ne justifie pas sa demande de dommages et intérêts pour non-respect du temps minimal de repos par la simple production d'attestations d'autres salariés qui sont pour la plupart en procès avec leur employeur ;

– M. [L] pouvait utiliser les sanitaires et vestiaires des entreprises dont il assurait la surveillance et il ne produit aucun élément probant au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des règles d'hygiène et de sécurité ;

– les formations H.O.B.O et S.S.T. ont été dispensées au salarié avant sa lettre de rupture ;

– les échanges écrits versés aux débats prouvent que M. [L] a lui-même demandé à travailler pendant les fins de semaines afin de pouvoir s'occuper de sa fille durant la semaine ;

– la demande de rappel de salaire au titre de la passation du véhicule n'est pas fondée car celui-ci était généralement nettoyé durant le temps de travail ;

– M. [L] se plaint du non-respect de la durée maximale des vacations alors que c'est à sa propre demande qu'il a effectué un nombre limité de vacations en semaine et que cette organisation permet aux salariés de limiter leurs frais de déplacements et de disposer de plus de temps libre conformément à leur souhait ;

– les déplacements effectués par un salarié entre son domicile et ses lieux habituels de travail n'ouvrent droit à aucune indemnisation ;

– la preuve de manquements suffisamment graves pour justifier la rupture n'est pas rapportée, M. [L] a mis fin au contrat de travail afin d'être embauché par une société concurrente, et sa prise d'acte produit donc les effets d'une démission.

L'Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 4] et l'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 10] ont remis, le 15 septembre 2021, des conclusions aux fins d'appel incident dans lesquelles, reprenant pour l'essentiel l'argumentation soutenue par l'employeur, elles présentent les demandes suivantes :

"Ordonner la mise hors de cause de l'UNEDIC AGS CGEA de [Localité 4].

Donner acte à l'UNEDIC AGS CGEA d'[Localité 10] de son intervention volontaire.

Infirmer partiellement la décision rendue.

Débouter Monsieur [C] [L] de sa demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires sur mensualisation, de sa demande de congés payés sur heures supplémentaires et de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale des vacations.

Confirmer pour le surplus la décision rendue.

Subsidiairement, allouer à Monsieur [L] une somme de 100 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale de vacation.

Réduire la réclamation de Monsieur [L] au titre des frais kilométriques sollicités.

Dans l'hypothèse où la Cour estimerait que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, apprécier le bien fondé des demandes de Monsieur [L] tendant au règlement d'une indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et tendant au règlement d'une indemnité de licenciement.

Apprécier le montant des dommages et intérêts qui sera alloué à Monsieur [L] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article 1235-5 ancien du Code du Travail.

Dire et juger que les sommes qui ont été fixées sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ou qui pourraient être fixées sur ce fondement devant la Cour, sont hors garantie AGS.

Faire application des dispositions législatives et réglementaires du Code de Commerce.

Donner acte à la Délégation UNEDIC et l'AGS de ce qu'ils revendiquent le bénéfice exprès et d'ordre public des textes légaux et décrets réglementaires applicables, tant au plan de la mise en oeuvre du régime d'assurance des créances des salariés, que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément les articles L.3253-8, L.3253-1 7 et D.3253-5 du Code du Travail."

La procédure a été cloturée par ordonnance du 5 mai 2022, à effet au 10 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

– sur la "prime de chien"

L'accord du 1er décembre 2006 abrogé relatif aux qualifications professionnelles, applicable en la cause, précise que l'activité de l'agent de sécurité cynophile, coefficient 140, consiste à assurer la protection des biens et/ou des personnes sur un secteur géographique déterminé en application des consignes écrites transmises par l'employeur et un utilisant les qualités combinées du conducteur et du chien.
L'article 7 de l'annexe IV de la convention collective prévoit le versement aux agents de sécurité cynophile, pour toute heures de vacation effectuée par l'équipe homme-chien, d'une indemnité forfaitaire correspondant à l'amortissement ainsi qu'aux dépenses d'entretien, de matériel canin et de santé du chien.

Constatant que cette indemnité ne lui a pas été versée pour 24,33 heures de travail accomplies en qualité d'agent de sécurité, alors qu'il exerçait l'emploi d'agent de sécurité cynophile, ce qui constituerait selon lui une modification du contrat de travail, M. [L] réclame le paiement d'un rappel de 19,46 euros à ce titre, outre 1,94 euros de congés payés afférents.

Cependant, il ne résulte pas des dispositions conventionnelles, rappelées dans l'avenant contractuel du 28 juin 2011, que toutes les missions confiées à l'agent de sécurité cynophile doivent être effectuées avec l'assistance de son chien.


Au surplus, le salarié ne discute pas que les missions réalisées en qualité d'agent de sécurité revêtaient un caractère occasionnel (moins de 15 % selon la réponse de l'employeur du 31 octobre 2014), comme le confirme le montant de sa demande.

Ses fonctions réellement exercées à titre principal n'ayant pas été différentes de celles pour lesquelles il a été embauché, M. [L] ne peut se prévaloir d'aucune modification de son contrat de travail.

En conséquence, l'indemnité litigieuse étant allouée pour toute heure de travail effectuée par l'équipe homme-chien, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.

– sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L'article 7.06 de la convention collective permet d'organiser la durée du travail dans les entreprises sous forme de cycles de travail d'une durée maximale de huit semaines. La répartition de la durée du travail à l'intérieur du cycle est déterminée par le planning de service, elle se répète à l'identique d'un cycle à l'autre. En cas d'aménagement du temps de travail sur un cycle, les heures supplémentaires sont les heures effectuées au-delà de 35 heures en moyenne sur le cycle. Toute modification ayant pour effet de remettre en cause l'organisation du cycle doit être portée à la connaissance des salariés par écrit au moins sept jours avant son entrée en vigueur. En cas d'ajustement ponctuel de l'horaire de travail justifié par des nécessités de service, se traduisant par des services ou heures supplémentaires, le salarié doit en être informé au moins 48 heures à l'avance. Les délais prévus ci-dessus peuvent être réduits à condition que le salarié concerné y consente.

En l'espèce, la société Gauthier Sécurité Prévention a mis en place dans l'entreprise un aménagement du temps de travail sous la forme de cycles de huit semaines à compter du 5 mars 2012, lequel a été accepté par le salarié suivant avenant signé le 28 juin 2012.

Il résulte toutefois des plannings versés aux débats qu'en méconnaissance des dispositions conventionnelles, la répartition des horaires de travail de M. [L] ne se répétait pas "à l'identique d'un cycle à l'autre", sur la base d'un même cycle de huit semaines, ce qui n'excluait pas la possibilité de modifier l'organisation du cycle avec un délai de prévenance de sept jours, sans préjudice de la possibilité de demander au salarié d'accomplir des heures supplémentaires avec un délai de prévenance d'au moins 48 heures en cas d'ajustement ponctuel de l'horaire de travail justifié par des nécessités de service, mais qu'elle variait constamment au fil des semaines sans aucune prévisibilité, la simple remise par l'employeur de plannings mensuels sept jours avant le début du mois ne pouvant pallier l'absence d'organisation du travail et de planning de service sur un cycle de huit semaines.

Fondé dès lors à prétendre au paiement de l'ensemble des heures supplémentaires accomplies au-delà de la de la durée légale du travail, le salarié produit un décompte des heures de travail ainsi réalisées chaque semaine, avec les majorations afférentes, déduction faite de celles déjà rémunérées.

Alors que ces éléments sont suffisamment précis pour lui permettre de répondre, l'employeur se borne à contester la demande dans son principe, sans produire aucun décompte ni élément contraire.

Dès lors, le jugement sera confirmé de ce chef.

– sur le rappel de salaire au titre de la passation du véhicule

M. [L] explique que les heures qu'il consacrait chaque semaine au nettoyage du véhicule de l'entreprise avant sa remise à l'agent qui lui succédait sur le site ne lui ont pas été rémunérées pendant les années 2012, 2013 et 2014, de sorte que la société Gauthier Sécurité Prévention reste lui devoir la somme de 826,52 euros, correspondant à 84 heures de travail à raison de deux passations par semaine représentant chacune une heure de travail, outre 82,65 euros de congés payés afférents.

Alors que ces éléments sont suffisamment précis pour lui permettre de répondre, l'employeur conteste la demande dans son principe au motif que le salarié ne démontre pas la réalité du temps passé au nettoyage du véhicule, lequel était effectué "généralement durant le travail", sans fournir aucun élément précis et objectif ni justifier les heures de travail ainsi réalisées.

La demande sera donc accueillie et le jugement infirmé de ce chef.


– sur le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquels comprennent notamment la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Les articles R. 4228-1 et suivants du même code fixent les conditions dans lesquelles il met à leur disposition les moyens d'assurer leur propreté individuelle, notamment des vestiaires, des lavabos à eau potable, des cabinets d'aisance et, le cas échéant, des douches.

L'article 10.02 de la convention collective prévoit que, conformément au décret no77-1321 du 29 novembre 1977 fixant les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure, les employeurs mettront en oeuvre avec les entreprises utilisatrices les moyens nécessaires permettant d'assurer la sécurité des salariés exerçant leur activité dans des lieux isolés.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.

En l'espèce, la preuve de l'affirmation de la société Gauthier Sécurité Prévention, contestée par M. [L], selon laquelle celui-ci était en mesure d'utiliser les sanitaires et vestiaires situés dans les locaux des entreprises dont il assurait la surveillance, ne peut résulter de son propre courrier adressé à l'intéressé, le 24 février 2015, lui rappelant qu'il disposait d'une salle avec table et sanitaires dans les locaux des services techniques de la ville de [Localité 11], d'autant que les attestations d'autres salariés versées aux débats font également état de sites "sans WC, point d'eau et électricité".

Le préjudice subi à ce titre sera réparé par une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts et le jugement également infirmé de ce chef.

– sur le non-respect des repos hebdomadaires

Selon l'article 7.01 de la convention collective, les repos hebdomadaires des salariés à temps plein sont organisés de façon à laisser 2 dimanches de repos par mois en moyenne sur une période de 3 mois, les dimanches étant accolés soit à un samedi, soit à un lundi de repos.

Constatant qu'il n'a bénéficié que de "4 week-ends au lieu de 24 en 2012, soit 20 manquants, 5 week-ends au lieu de 24 en 2013, soit 19 manquants, 8 week-ends au lieu de 24 en 2014, soit 16 manquants, 2 week-ends au lieu de 4 pour le début de l'année 2015, soit 2 manquants", ce qui représente "57 violations du repos hebdomadaire en 3 ans", M. [L] réclame la somme de 17 100 euros à titre de dommages et intérêts, soit 300 euros par repos hebdomadaire manquant.

Cependant, l'employeur établit que cette situation résulte pour l'essentiel de l'aménagement que le salarié avait lui-même sollicité pour des raisons familiales, afin de ne pas travailler les mercredis, jeudis et vendredis, comme le confirment ses propres courriels adressés fin 2012 et 2013.


Au surplus, M. [L] ne produit aucun élément objectif prouvant qu'il a effectivement subi un préjudice du fait des manquements aux dispositions conventionnelles dont il s'est prévalu tardivement, fin 2014 et début 2015.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

– sur le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail

Selon l'article 7.8 de la convention collective, la durée quotidienne de travail effectif ne peut dépasser 12 heures pour les services englobant un temps de présence vigilante.

En l'espèce, M. [L] reproche à la société Gauthier Sécurité Prévention de lui avoir fait réaliser 96 vacations de plus de 12 heures au cours des années 2012, 2013 et 2014, selon les plannings versés aux débats.

Ne contestant pas ce décompte, l'employeur ne saurait justifier les nombreux dépassements ainsi effectués en invoquant les contraintes et caractéristiques de la profession, ni l'aménagement intervenu à la demande du salarié, lequel n'était pas incompatible avec le respect de la durée maximale quotidienne de travail, ni les témoignages d'autres agents déclarant qu'ils préféraient effectuer des vacations de plus de douze heures pour augmenter leur temps libre.

Si la demande est fondée dans son principe, le préjudice subi à ce titre sera plus exactement réparé par une somme de 2 400 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera ainsi réformé sur le quantum.

– sur le non-respect du repos quotidien

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la durée minimale de repos quotidien prévue par l'article L. 3131-1 du code du travail, l'appelant fait valoir à juste titre que si l'astreinte est considérée en principe comme du temps de repos, les interventions sont du temps de travail effectif.

Il n'en demeure pas moins que les attestations qu'il verse aux débats, établies par d'autres salariés affirmant de manière générale que l'employeur ne respectait pas les temps de repos, ne suffisent pas à établir que les interventions qu'il dit avoir effectuées pendant ses astreintes et sur lesquelles il ne fournit aucune précision l'ont privé du repos quotidien obligatoire.

Le jugement sera confirmé de ce chef.


– sur les frais de déplacement

L'article L. 3261-3 du code du travail prévoit que l'employeur peut prendre en charge, dans les conditions prévues à l'article L. 3261-4, tout ou partie des frais de carburant engagés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail par ceux de ses salariés [...] pour lesquels l'utilisation d'un véhicule personnel est rendue indispensable par des conditions d'horaires de travail particuliers ne permettant pas d'emprunter un mode collectif de transport.

Aux termes de l'article R. 3261-15 du même code, dans sa version applicable, le salarié qui exerce son activité sur plusieurs lieux de travail au sein d'une même entreprise qui n'assure pas le transport entre ces différents lieux et entre ces lieux et la résidence habituelle du salarié peut prétendre à la prise en charge des frais de carburant ou d'alimentation électrique d'un véhicule engagés lui permettant de réaliser l'ensemble des déplacements qui lui sont imposés entre sa résidence habituelle et ses différents lieux de travail, ainsi qu'entre ces lieux de travail.

Plus généralement, les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conserverait la charge moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire.

En l'espèce, il est stipulé au contrat de travail que M. [L] pourra être amené à assurer un service de jour comme de nuit, quel que soit le jour de la semaine, y compris les dimanches et jours fériés, qu'il est prioritairement affecté sur la ville de [Localité 11] ainsi que sur d'autres sites ponctuels de la société situés dans les départements du Gard, des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, mais que ce rattachement n'est pas considéré comme exclusif, et qu'en conséquence, l'employeur se réserve la possibilité de le modifier à tout moment en tout ou partie, dans l'intérêt d'un bon fonctionnement de l'entreprise, sans que cette modification ne soit considéré comme substantielle.

Les plannings versés aux débats confirment que M. [L] a travaillé pour le compte de la société Gauthier Sécurité et Protection, de jour et de nuit, sur divers sites situés dans les trois départements susvisés.

Ayant ainsi exercé son activité sur plusieurs lieux de travail au sein de l'entreprise qui n'assurait pas le transport entre ces différents lieux et sa résidence habituelle, le salarié prétend à bon droit au remboursement des frais de carburant exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur, lequel lui oppose vainement que l'indemnisation est facultative en l'absence de stipulation contractuelle ou d'engagement unilatéral, que les sites sur lesquels il intervenait étaient des lieux habituels de travail et que les déplacements effectués par un salarié entre le domicile et son lieu de travail habituel n'ouvrent droit à aucune indemnisation.

Fondée dans son principe, la demande n'est pas discutée dans son montant fixé, suivant un décompte précis, à la somme de 11 985,67 euros indiquée dans le corps des conclusions, tandis que celle réclamée au dispositif n'est pas justifiée.

Elle sera donc accueillie et le jugement sera infirmé de ce chef.

– sur la prise d'acte

La prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque celui-ci établit que l'employeur a commis un ou plusieurs manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail. À défaut, elle produit les effets d'une démission.

En l'espèce, M. [L] a pris acte de la rupture aux torts de l'employeur par lettre du 6 juillet 2015, ainsi motivée :

"Je vous informe qu'en raison de votre comportement, je suis contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts exclusifs, et ce notamment pour les raisons suivantes :
– Non paiement des primes de chien
– Non respect du temps minimal de repos (quand intervention pendant les astreintes après les rondes)
– Non respect du repos hebdomadaire qui se traduit par 35 heures de repos consécutif dans la semaine, une semaine débutant le lundi à minuit et se terminant le dimanche à 23h59
– non respect des règles en matière d'hygiène et de sécurité (mise à disposition d'un PTI, d'un local et autres)
– Non respect des week-end obligatoires (2 week-end par mois selon la convention collective : art. 7.1)
– Non paiement des salaires pour passation de véhicule lors des rondes et astreintes sur [Localité 11] pendant plus de trois ans
– Non respect de la durée maximale des vacations pendant plus de trois ans (une vacation ne peut excéder 12 heures de travail effectif)
– Absence de formation H.O.B.O et S.S.T pendant plus de 3 ans
– Non remboursement des frais kilométriques sur plus de trois ans
– Absence des visites médicales tous les 6 mois pour les travailleurs de nuit
– Non respect de l'aménagement du temps de travail sous forme de cyle ce qui implique le non paiement de mes heures supplémentaires
– Vous continuez à appliquer les cycles après trois années sans commission paritaire 6 mois avant son terme, un cycle étant un accord à durée déterminée de 3 ans
Je vous remercie par conséquent de me faire parvenir mon solde de tout compte, certificat de travail et attestation pôle emploi.
Je vous prie de croire etc."

Si la société Gauthier Sécurité Prévention justifie que M. [L] a suivi la formation SST le 12 mai 2015 et la formation HOBO le 22 juin 2015, en sorte que le manquement à son obligation de formation avait pris fin lors de la rupture, les autres faits ci-dessus établis, pris dans leur ensemble, sont d'une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte, laquelle produit dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Alors âgé de 29 ans, titulaire d'une ancienneté de plus de deux ans dans l'entreprise employant au moins onze salarié, M. [L] percevait un salaire mensuel brut de 1 750 euros. Il ne communique aucun élément sur sa situation postérieure.

Justifiées dans leur principe, les indemnités de rupture seront allouées conformément à la demande et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 10 500 euros en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable.


Le jugement sera infirmé de ces chefs.







PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la prise d'acte du 6 juillet 2015 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixe la créance de M. [L] au passif du redressement judiciaire de la société Gauthier Sécurité Prévention aux sommes suivantes :

– rappel d'heures supplémentaires bruts 5 563,68 euros
– congés payés afférents bruts 556,36 euros
– non-respect des règles d'hygiène et de sécurité nets 500,00 euros
– rappel de salaire pour passation de véhicule bruts 826,52 euros
– congés payés afférents bruts 82,65 euros
– dépassement de la durée quotidienne de travail nets 2 400,00 euros
– frais de déplacement nets 11 985,67 euros
– indemnité compensatrice de préavis bruts 3 500,00 euros
– congés payés afférents bruts 350,00 euros
– indemnité légale de licenciement nets 1 487,50 euros
– licenciement sans cause réelle et sérieuse nets 10 500,00 euros
– frais irrépétibles art. 700 CPC nets 1 500,00 euros

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2015, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, les dommages-intérêts pour non-respect de la durée maximale de travail quotidien, à compter de la date du jugement, et le surplus de dommages et intérêts à compter du présent arrêt,

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts,

Déboute M. [L] de sa demande de rappel de primes de chien et congés payés afférents, ainsi que de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires,

Met hors de cause l'Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 4],

Donne acte à l'Unedic Délégation AGS CGEA d'[Localité 10] de son intervention volontaire et lui déclare le présent arrêt commun et opposable dans les conditions et limites fixées par les dispositions légales et réglementaires du code du travail,

Rappelle que la créance au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'entre pas dans le champ de la garantie,

Dit que les dépens seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.


Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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